Chapitre 3 : La nouvelle Sodome
«A quoi sert notre action ici si des prédateurs sexuels, des VIP, des very important pédophiles, continuent de sévir grâce à l’omerta des politiques ? (SlateAfrique, juin 2011). Depuis qu’a éclaté l’affaire Ferry, la présidente de l’association Touche pas à mon enfant, Najat Anwar, fait entendre sa forte voix dans les médias français qui découvrent le combat de cette femme joviale, mère de trois enfants et sa dénonciation d’un Maroc devenu le terrain de chasse des pédotouristes, et Marrakech la capitale de la débauche tarifée. Même s’il date d’une dizaine d’années, Raja, le beau film de Jacques Doillon avec Pascal Greggory -tous les deux partagent leur vie entre Paris et Marrakech-, reflète cette réalité : celle des jeunes filles de Marrakech qui se prostituent pour quelques dirhams au profil de maîtres venus de l’autre côté de la Méditerranée.
Depuis 2005, les bas-fonds de la ville mais aussi les riads repliés sur eux-mêmes, les palaces étoilés, les bars branchés, les night-clubs baroques, les restos chics, les résidences tapageuses et les villas cossues avec leurs vigiles sourcilleux ont supplanté Bangkok, longtemps destination phare du tourisme sexuel. Aujourd’hui, la capitale thaïlandaise est moins attirante. Trop éloignée de l’Europe. Trop exposée aux tsunamis. Et trop turbulente du point de vue politique.
A Marrakech la paisible, quel que soit le lieu de sortie, le sexe tarifé est omniprésent et les prix aussi varis que les prestations. Tarif de la soirée pour une «ambianceuse» croisée dans un endroit à la mode dans le quartier huppé de l’Hivernage : environ 200 euros, soit à peine moins que le smic local.
(...) Au total, elles seraient à Kech plus de 20 000, âgées de 16 à 30 ans, à offrir leurs services avec l’espoir de gagner jusqu’à 15 000 euros par mois pour les plus sollicitées. La passe furtive, elle, se négocie aux alentours de 10 euros dans les bosquets attenants au minaret de la Koutoubia, la vénérable mosquée du XIIe siècle, symbole de la cité au même titre que la tour Eiffel pour Paris. Tarifs identiques dans les jardins du centre-ville et sur la fameuse place Djema’a el Fna, lieu de drague improbable entre joueurs de tambour, charmeurs de serpents, cartomanciennes et vendeurs de jus d’orange rebaptisée «le souk des pédés» par les Marrakchis.
Ne dit-on pas sur les sites des tour-opérateurs que la sulfureuse Kech est la troisième destination «gay friendly» du monde ? (...) L’Etat n’a pas hésité à sévir pour apaiser les islamo-conservateurs. Il l’a fait par opportunisme : le roi du Maroc, avec son titre de Commandeur des croyants et de gardien de la foi musulmane, tire sa légitimité institutionnelle de l’islam la religion de l’Etat, est-il inscrit dans la Constitution. Aux yeux de la monarchie, en faire fi serait mettre en péril la Couronne et fragiliser la dynastie alaouite.
(...) Si la prostitution impliquant des étrangers existait au Maroc bien avant le raz-de-marée asiatique, il n’en demeure pas mois que le tsunami de 2004 a constitué un catalyseur pour le tourisme sexuel, faisant déferler sur le royaume les pédocriminels occidentaux, clients habituels des bordels thaïlandais...
Au Maroc, comme dans d’autres pays touristiques en voie de développement, la prostitution -notamment celle des enfants- est fille de la misère et de l’exclusion sociale. Dans la seule ville de Marrakech, 28 000 familles vivent sans eau ni électricité à deux pas des hôtels de luxe, de l’aveu même de Mme le maire, Fatima Zahra Mansouri. Le niveau de vie de la majorité de la population marocaine est si bas, la justice si corrompue, qu’un Européen peut abuser d’un mineur en toute impunité ou presque... Il faut l’admettre : une frange de touristes se rendent au Maroc pour le sexe, pour la drogue, pour une gamme de plaisirs qu’ils ne peuvent se permettre aussi facilement dans leur pays d’origine. Les autorités en sont conscientes mais laissent faire, tandis que la société ferme les yeux, se cachant derrière les préceptes de l’islam.
(...) Il faut dire que, depuis près de dix ans, tous les gouvernements successifs sans exception ont en ligne de mire un objectif : franchir la barre des 10 millions de touristes par an au Maroc. Pour y parvenir, Rabat est prêt à fermer les yeux sur «des dérapages».