«Les fois où j’ai pris le bus sont comptées sur les doigts de la main. C’est toujours plein, et je n’ai pas envie de rester debout pendant tout le trajet. De plus, j’ai peur que l’on m’agresse, ou que l’on me vole mon porte-monnaie…». Ce qui fait peur à Marwa, employée dans le privé, est déjà arrivé à d’autres.
«Les bus sont sales, n’arrivent jamais à l’heure, et ils sont pleins de pervers. Une fois je discutais avec une copine, et j'ai senti quelqu’un contre moi. C'était bondé, et dans ma cervelle de petite casablancaise qui n'a jamais eu à prendre le bus, je mettais ça sur le compte de l'exiguïté. Un moment donné une dame se lève en criant : «hey toi ! Il y a un homme qui est en train de se masturber contre toi, et tu ne réagis même pas ?». C'était horrible !!», raconte Faty, animatrice dans une radio marocaine. Siham, par contre, l’a échappé belle : «[…] je ne savais pas lequel prendre, alors je suis montée dans un bus pour demander au chauffeur par où il passait. Sur les marches, un homme me barre la route pendant que l’autre essayait de mettre sa main dans mes poches. J’ai crié, ils ont paniqué et sont descendus».
Les histoires se succèdent et se ressemblent. Quand une femme veut se déplacer à Casablanca, c’est le parcours du combattant. La banque mondiale vient de rendre publique, ce 12 octobre, le résultat d’une étude intitulée «Quelle est la dimension genre dans les déplacements urbains à Casablanca ?» pour le compte du conseil de la ville de Casablanca. «Les femmes sont victimes d’insécurité […] et de comportement incivils à bord des transports collectifs» assure Jean-Charles Crochet, économiste senior en transports à la Banque mondiale.
La difficulté à se déplacer limite l'accès à l’emploi des femmes
Sur un échantillon de 800 ménages, l’étude «montre que la population féminine souhaite travailler, mais que le système de transport et ses piètres performances ne les y aident pas... Quand on habite certains quartiers de la ville, il est compliqué de se rendre dans les zones industrielles.» explique Jean-Charles Crochet. Alors 45% d’entre elles sont obligées de prendre le bus, et 40% prennent le grand taxi quotidiennement. Pire, 40% sont même contraintes à marcher pendant 10 min avant de trouver un bus, ce qui complique l’accès aux ressources économiques, à la formation et l’emploi. Un vrai cercle vicieux puisque le tiers des femmes interrogées dépensent moins de 25 dhs dans les transports en commun par semaine et seulement 11% d’entre elles possèdent une voiture, contre 55% chez les hommes.
Pour se déplacer dans le quartier où elles habitent, faire leurs courses, aller voir maman, les femmes préfèrent marcher plutôt que d’affronter les arrêts de bus mal éclairés, et le risque de se faire agresser à bord de ces véhicules. L’étude note également que «très peu de femmes utilisent le vélo et la moto pour les déplacements urbains», alors que ces moyens de locomotion peuvent résoudre pas mal de problèmes. D'ailleurs, Jean-Charles Crochet admet que Casablanca, malgré les bonnes intentions du conseil de la ville qui a commandité cette étude, a besoin de plusieurs années pour résoudre la problématique des déplacements en milieu urbain.