«Je viens de recevoir une lettre de décision m’informant que l’autorisation de travail que je demande m’est refusée. Cela fait des années que je suis en France pour mes études, et j’ai commencé à travailler depuis un an et demi. Je me retrouve aujourd’hui dans une situation très difficile, car mon employeur actuel est obligé de me licencier vu que je n’ai pas de titre de séjour valide», témoigne Testtest (pseudo.), un internaute, sur le forum de Yabiladi. Sur les forums et les réseaux sociaux, le sentiment de mécontentement de plusieurs diplômés étrangers de l’enseignement supérieur français se fait de plus en plus grand, en ce début d’année.
Désireux d’intégrer l’entreprise dans laquelle ils ont effectué un stage de fin d’études, ils voient les procédures s’étaler désespérément en longueur. Certains voient tout simplement leurs dossiers rejetés. «J’ai un bac + 5, avec une proposition de recrutement pour un CDI [Contrat à Durée Indéterminée] qui aurait dû être signé début juin. Sauf que, mauvaise surprise, la DDTE [Direction départementale du travail et de l’emploi] refuse de permettre à mon employeur de me recruter. Leur excuse est que j’ai un statut étudiant, donc je ne suis pas prioritaire pour avoir une autorisation de travail... Ce qui est ironique puisque le changement de statut est fait pour ce genre de situation», déplore Mwara (pseudo.), sur le forum de Yabiladi.
Privilégier le marché de l’emploi intérieur
Comme elle, nombreux sont ceux qui ont fait les frais de la circulaire du ministère de l’Intérieur, publiée le 31 mai, appelant les préfectures à plus de rigueur pour parvenir à la «maîtrise de l’immigration professionnelle». Cette circulaire rappelle que «la priorité doit être donnée à l’insertion professionnelle des demandeurs d’emploi aujourd’hui présents, qu’ils soient de nationalité française ou étrangère, résidant régulièrement en France», et que, dès lors, «la procédure de changement de statut (étudiants demandant un titre de séjour professionnel) devra faire l’objet d’un contrôle approfondi». Plusieurs candidats ont observé au niveau de leurs préfectures respectives, que les procédures devenaient effectivement de plus en plus longues, et de nombreux dossiers ont été rejetés. La seule préfecture de Paris pourrait avoir rejeté 350 dossiers sur les 400 qu’elle aurait reçus, rapporte Amine, diplômé marocain vivant en région parisienne, sur la base de plusieurs témoignages.
La circulaire du ministère de l’Intérieur stipule que «seront écartées les demandes d’autorisation de travail de l’employeur qui n’aura pas procédé à une recherche effective dans le bassin d’emploi concerné pour satisfaire son offre d’emploi. Cette recherche est obligatoire.» Le délai minimum pour cette recherche est fixé à deux mois. Par ailleurs, les préfectures sont appelées «à examiner avec une particulière attention l’adéquation du diplôme avec l’emploi proposé». Ce seraient les principaux points sur lesquels des relâchements auraient été observés.
Les préfectures à la limite de la légalité
L’examen des dossiers est plus rigoureux, mais la procédure en elle-même n’a pas changé. Cependant, des pratiques à la limite de la légalité sont rapportées au niveau de certaines préfectures. À Evry, la personne qui reçoit Sabrina, jeune diplômée marocaine, lui dit sans détour : «après vos études vous devez rentrer chez vous» La jeune fille n’a, finalement, pas pu déposer son dossier de changement de statut et confie qu’elle sera à jamais marquée par cette expérience.
Amine, plus chanceux, a obtenu un rendez-vous, cet été, pour déposer son dossier à la préfecture de Nanterre, en novembre. Il explique, cependant, que dans certaines préfectures, le personnel a pour habitude de «jouer sur les délais». Il est ainsi exigé de certains diplômés de se présenter une fois le diplôme obtenu, or nombreuses sont les écoles qui ne délivrent pas leurs diplômes avant octobre ou novembre. Une attente d’autant plus problématique que la validité des titres de séjour de ces étudiants va rarement jusque-là, alors qu’un titre de séjour valide est exigé pour le dépôt du dossier de changement de statut. «La loi est là, maintenant les préfectures font ce qu’elles veulent», déplore Amine.
«A la sous-préfecture de L’Hay-les-Roses (94), les agents ne délivrent plus la liste des pièces permettant de constituer, puis de déposer le dossier de demande de changement de statut», souligne Céline Bonnet, spécialiste du droit des étrangers, sur le blog Questions d’étrangers. Ces différentes pratiques nourrissent un sentiment d’injustice qui ne cesse de monter. Sur Facebook, le groupe «Changement de Statut Etudiant à Salarié» a été créé pour permettre à ses membres d’échanger sur leurs expériences respectives.
Les formateurs des jeunes diplômés étrangers se désespèrent aussi de les voir quitter le territoire français une fois le diplôme en poche, alors que la législation française leur permet d’y entamer leur carrière. Ces inquiétudes ont été portées auprès du ministère de l’Intérieur par Pierre Tapie, président de la Conférence des grandes écoles, a rapporté l’hebdomadaire français Challenges, le 7 septembre. Répondant à Pierre Tapie, Claude Guéant, ministre français de l’Intérieur, a mis l’accent sur «la perspective du retour» des étudiants étrangers dans leurs pays respectifs. Principe souligné dans sa circulaire.
Réduire l’immigration professionnelle
Le ministre de l’Intérieur réaffirme donc son intention de réduire l’immigration légale de travail. Dans un entretien diffusé le 7 avril, par Le Figaro, Claude Guéant avait déclaré : «j’ai demandé que l’on réduise le nombre de personnes admises au titre de l’immigration du travail», sachant que 20 000 visas sont délivrés à ce titre chaque année.
En plus de durcir les conditions d’entrée des immigrés qualifiés non européens, Guéant a publié le 11 août, un arrêté ministériel, réduisant de moitié la liste des emplois que ces derniers sont autorisés à exercer. La décision a fait énormément de mécontents dans les principaux secteurs touchés : le bâtiment et l’informatique. Le discours sur l’immigration choisie prôné par le président Sarkozy, lors de sa campagne en 2007, est-il en train d’opérer un glissement vers l’immigration zéro?
Cet article a été précédemment publié dans Yabiladi Mag n°10