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Grand Angle

Mounir Fatmi : Artiste trublion du monde arabe [Magazine]

Artiste installateur prolifique, politisé et subversif, Mounir Fatmi, né à Tanger en 1970, est un habitué des manifestations culturelles d'envergure. Mounir Fatmi est présent, pour la deuxième fois, à la 54ème biennale de Venise, dans le cadre de l'exposition panarabe «The fu­ture of a promise». Il y montre sa plus récente installation : «Printemps perdus», pendant que plusieurs de ces œuvres parcourent le monde. Qui est Mounir Fatmi et qu'essaye-t-il de nous dire ?

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L'installation « Printemps perdus », est exposée à la 54° biennale de Venise, jusqu’au 30 novembre 2011
Temps de lecture: 3'

Vingt deux drapeaux en berne, ceux de la Ligue arabe. Deux d’entre eux montés sur des balais de trois mètres chacun : Tunisie puis Egypte. Créée en mars 2011, «Printemps perdus», est présentée par Mounir Fatmi, artiste tangérois engagé, à la 54° biennale de Venise, jusqu’au 30 novembre 2011.

Si Franck Hermann Ekra écrit que Mounir Fatmi se veut, à travers cette œuvre, le «porte-étendard de ce revitalisme révolutionnaire panarabe à l’utopie enchanteresse», la désillusion contenue dans le titre est difficile à ignorer. «Printemps perdus» est une critique virulente d’une révolution incomplète, d’un grand ménage de printemps inachevé. Pour Mounir Fatmi, l’art est un support. L’installation joue le rôle de média. Elle exprime une prise de position politique en reprenant des objets et des informations, décomposés et recomposés en installation. Elle rappelle les «ready made» de Marcel Duchamps, artiste américain des années 30. La récurrence d’objets de consommation obsolètes, puisque déviés de leur utilité première, rappelle l’artiste, est là pour soulever une problématique et renverser un ordre préétabli.

Mounir Fatmi, le dilettante

Engagé, l'artiste est aussi dilettante. Il s'amuse, en alliant recherche artistique, plastique et sciences sociales. Il guette les failles de la globalisation et nous livre la photographie de la machine complexe et absurde qu'est le monde aujourd'hui, avec beaucoup d'humour et sans plainte aucune «car le mal est contemporain», pour reprendre ses mots. L'artiste réfute toute dogmatisation, hiérarchie et plus particulièrement le patriarcat. Quand ses aînés marocains l'avaient reconnu, au début des années 90, comme «espoir de la peinture» marocaine, Mounir Fatmi a échappé à l'académisme en recouvrant toutes ses toiles de peinture blanche.

Mounir Fatmi, le verbeux

Les mots, toujours présents dans ses œuvres à travers des titres significatifs ou des phrases brèves et incisives, inspirées de son premier emploi de créatif dans une agence de publicité, sont livrés au public, à la fois comme indications pour accéder à l'œuvre et comme outil de pro- blématisation. Ses calligraphies de hadiths et de sourates du coran en sont la preuve. Que ce soit sur des scies circulaires («Les Temps Modernes, Une Histoire de la Machine») ou encore sur une peinture murale («la tête dure»), les mots font figure de «labyrinthe». Si Mounir Fatmi a dit, en 2008, que «ni la science, ni la religion, ni la politique n'ont réussi à nous convaincre de ce qui se passera de l'autre côté», il ne fait lui, artiste, que nous prendre par la main et nous guider vers ses labyrinthes. Mounir Fatmi ne donne jamais de réponses, parce qu'il n'en a pas.

Mounir Fatmi, le subversif timide

Mounir le nomade, à cheval entre Paris et Tan­ger, mais aussi juché sur son piédestal occidental, pose sur l'orient un regard critique mais plein de tendresse. A travers la désacralisation de l'objet religieux Mounir Fatmi effrite les idées reçues sur l'islam. Dans «Maximum sensation» (installation, 2010, collection Fondation Louis Vuitton pour la création) ou des skate-boards sont customisés avec des motifs de tapis de prières, comme dans «casse-tête pour un musulman modéré» (2009, vidéo de mains essayant de résoudre un rubik's cube représentant la Kaâba. Les mains finissent recouvertes de pétrole), l'artiste est dénonciateur, subversif, mais pas profane.

Quand en 2004, Mounir Fatmi utilise deux corans pour représenter les Twins Towers dans «Save Manhattan 01», c'est pour signifier que l'islam n'est pas destructeur mais peut reconstruire, sau­ver, voire ressusciter. Une prise de position qui explique, sans doute en partie, le prix remporté à la biennale du Caire en 2011, alors que Mehdi-Georges Lahlou et ses talons aiguilles rouges dans un espace de prière musulman ont été censurés à Bruxelles, en 2009.

Iconoclaste, Mounir Fatmi ? S'il a écrit : «Si vous rencontrez un monstre, montrez-lui votre sexe», l'artiste ne l'a sans doute jamais fait. Mounir est subversif, mais certainement pas iconoclaste. Il est pudique et peu audacieux. Et il le sait. En écrivant sur la première page de son site «My father has lost all his teeth, I can bite him now», Mounir nous met d'emblée dans la confidence. Il avoue ses peurs et ses lâchetés : s'il mord, ce n'est point un acte de bravoure, l'adversaire est déjà affaibli.

Néanmoins, Mounir Fatmi a réussi là où plusieurs artistes marocains ont laissé leur nom, pour ne pas dire leur peau : se créer une identité propre dans les deux sens du terme et conquérir la scène artistique au niveau international. Alors, pour lui rendre hommage, nous avons rendu au nom de Mounir Fatmi, l'espace d'un article, les majuscules que l'artiste a choisi d'abandonner sur les sentiers de la création.

Cet article a été précédemment publié dans Yabiladi Mag n°9.

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