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Tribune

Maroc : Vers la fin de la pratique des ATD par la CNSS ?

Les entreprises qui l'ont vécu peuvent toutes témoigner : si l'attitude de l'administration fiscale a changé (en bien) lors d'un contrôle, la CNSS a conservé ses mêmes (mauvaises) habitudes. La pratique de l' ATD rapide et radicale reste d'actualité. Et pourtant, un arrêt de la cour de cassation en date du 14 septembre 2017 y a peut être mis un terme.
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Que nous dit cet arrêt ? Tout d'abord, il vise les articles 100 à 104 du code de recouvrement des créances publiques promulgué par la loi n° 15-97. Ce visa semble indiquer un arrêt de principe dont l'affirmation d'une règle appelée à trouver une application au delà de l'espèce. Ces articles représentent le chapitre V de la loi, intitulé "Des obligations des dépositaires et tiers détenteurs". L'article 101, plus précisément dispose en son premier alinéa que "les comptables publics, économes, locataires et tous autres détenteurs ou débiteurs de sommes appartenant ou devant revenir aux redevables d'impôts et taxes et autres créances jouissant du privilège du Trésor sont tenus sur la demande qui leur en est faite sous forme d'avis à tiers détenteurs par le comptable chargé du recouvrement, de verser en l'acquit des redevables, les fonds qu'ils détiennent ou qu'ils doivent à concurrence des sommes dues par ces redevables". C'est le texte qui fonde le droit des créanciers publics à user de l'avis à tiers détenteur en vue du recouvrement des sommes dues.

En l'occurrence, la CNSS est un organisme institué à l'article 1er du dahir n° 1-72-184 du 27 juillet 1972, relatif au régime de sécurité sociale. La question a été posée devant la Cour de cassation de savoir si cet organisme bénéficie du droit à exercer des avis à tiers détenteur dans le cadre du recouvrement des cotisations sociales servant au financement des régimes sociaux marocains.

Arrêt de la Cour de cassation

A lire l'arrêt, la Cour de cassation semble avoir suivi le raisonnement suivant :

  • le code de recouvrement des créances publiques autorise les personnes visées à l'article 101 du dit code à user de la voie de l'avis à tiers détenteur en vue du recouvrement des sommes qui leur sont dues.
  • l'article 101 dispose que, parmi les conditions le permettant, le créancier doit bénéficier du privilège du Trésor.
  • L'article 28 alinéa du dahir 1-72-184 du 27 juillet 1972 dispose lui, explicitement, que "pour le recouvrement des créances prévues à l'alinéa précédent et des frais de poursuite, la Caisse nationale de sécurité sociale possède un privilège général qui s'exerce, pendant la même période que ci-dessus sur tous les biens meubles et objets mobiliers appartenant à ses débiteurs, en quelque lieu qu'il se trouve. Ce privilège général de la caisse prend rang immédiatement après le privilège général du Trésor".
  • la cour conclut que, du fait que le privilège de la CNSS vient prendre rang après celui du Trésor, le privilège de la CNSS est distinct de celui du Trésor. Par conséquent, ces deux privilèges étant distincts, l'article 101 ne permet pas à la CNSS de faire valoir ses droits au paiement des cotisations par avis à tiers détenteur.

Le raisonnement peut paraître subtil et pourtant la cour appuie en insistant sur la clarté de l'article 28 dans son arrêt.

La CNSS n'a pas le même rang que le Trésor

La difficulté à laquelle la cour a répondu en évoquant cette clarté consiste à qualifier la nature du privilège de la CNSS par rapport à celui du Trésor. Si la cour reconnaît que les moyens matériels du recouvrement des cotisations de la CNSS sont similaires à ceux du recouvrement de l'impôt, elle n'en estime pas moins que le privilège de la CNSS est d'une nature différente de celui du Trésor, du seul fait qu'ils ne viennent pas en concurrence mais chacun à son rang.

Ainsi, la CNSS disposerait d'une sûreté du fait de la loi, sans avoir à obtenir l'accord du débiteur ou d'un tribunal, dont la nature juridique est distincte de celui dont bénéficie le Trésor. Cette distinction peut sembler logique au regard de la rédaction citée plus haut. En effet, si le privilège de la CNSS était de même nature que celui du Trésor, il n'aurait pas été décrit comme venant en rang immédiatement inférieur mais au même rang. Cependant, le doute peut s'installer si on considère que le rang d'un privilège vient en fonction de la date de la créance. La cour a considéré que le texte était clair et sa position est nette et forte : le privilège de la CNSS n'est pas le privilège du Trésor, ce dernier le primant. De ce fait, le privilège de la CNSS est dinstinct de celui du Trésor et, par conséquent, la CNSS ne peut pas faire application du chapitre V du code de recouvrement des créances publiques et faire procéder à des avis à tiers détenteur (ATD).

Conséquences ?

Quelles conséquences à un tel raisonnement, qui semble fondé et, en tout cas, argumenté par une analyse d'interprétation des textes ? La première conséquence semble simple, pour l'avenir comme pour le présent. Les ATD à l'initiative et au profit de la CNSS sont nuls et non avenus. Par conséquent, la CNSS ne peut plus diligenter de nouvel ATD et ceux qui sont en cours doivent faire l'objet d'une mainlevée rapide.

La deuxième conséquence semble plus énigmatique à cette heure. Quelle stratégie de recouvrement la CNSS va-t-elle adopter ? En effet, privée d'une procédure radicale de recouvrement, quelle alternative fera-t-elle jouer ? On peut penser qu'elle commencera par ouvrir la voie à la négociation et la discussion à l'instar de ce que l'administration fiscale a fait, en mettant notamment en place une charte lors des opérations de contrôle et redressement. Cela a permis d'apaiser les relations entre l'administration et les contribuables. Il y a fort à parier que l'effet d'apaisement jouera aussi pour le cas de la CNSS. Mais en cas de redevable récalcitrant, la CNSS continuera à disposer des voies d'exécution "standard" (à savoir les saisies diverses).

La politique d'inscription d'un nantissement sur les fonds de commerce risque également de croître. Cela pourrait être de nature à créer des difficultés par ailleurs, étant rappelé que la politique interne de la CNSS en cas de demande de main levée d'un nantissement sur fonds de commerce consiste à ouvrir un contrôle de l'entreprise. Quand le nantissement est fondé sur une erreur ou une approximation de la CNSS, parfois encore grossière, on voit qu'il y a encore du travail à faire avant d'apaiser totalement les relations avec les redevables...

Tribune

Hervé Gindre
Gérant du cabinet de conseil juridique HGC
Emission spécial MRE
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