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Grand Angle

L'eau au centre du conflit social entre les habitants d'Imiter et la société minière SMI

3 ans après l'accord conclu par la Société métallurgique d'Imiter avec une partie du mouvement de revendication "Route 96-Imider", la mine d'argent exploite 1 million de m3 d'eau par an dans une région touchée régulièrement par des pénuries d'eau. Un volume qui aurait été nettement supérieur si les manifestants n'avaient pas coupé l'une des arrivées d'eau de la mine en 2011.

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La mine d'Imiter est en gris sur l'image, derrière la chaîne de collines et le village en vert, à droite. Ils sont incrustés dans un vaste paysage désertique. (c) GoogleEarth
Vue satellitaire de la mine dans son ensemble. Les taches bleues sombres sont formés par la profondeur de la première carrière artisanale (en longueure) et la seconde carrière (en cercle).
Vue satellitaire de cinq digues de containement des rejets boueux de la mine. La digue la plus à droite accueillera des rejets cyanurés. Une géomembrane (en noir) est en train d'être placée au fond.

«Actuellement, la mine [d’Imiter] utilise 1 million de m3 d’eau par an», annonce Farid El Hamdaoui, chef d’exploitation chargé des ressources humaines et du développement durable pour la Société Metallurgique d’Imiter (SMI), dans une région où le manque d’eau est un problème structurel. Une telle consommation fait toujours débat dans la Province de Tinghir où ses 322 301 habitants consomment, selon le ratio national moyen de 100L par jour et par habitant, 11,7 millions de m3 par an. La mine d’Imiter représente ainsi l’équivalent de 8,7% de la consommation d’eau potable et industrielle dans la province de Tinghir. A titre de comparaison, Ouarzazate, la plus grande ville de la région, et ses 71 000 habitants consomment 2,6 millions de m3 par an.

«Nous ne prenons dans la nappe phréatique que 300 000 m3 par an ‘d’eau fraiche’, insiste Farid El Hamdaoui. Le reste, les 700 000m3, c’est l’eau d’exhaure, pompée au fonds de la mine. » Cette eau apparaît dans toutes les exploitations minières, par infiltration, dès lors que les galeries pénètrent assez profondément dans le sol. Les galeries de la SMI atteignent 400m de profondeur. Pour exploiter le minerais, la mine doit, de toute façon, pomper cette eau.

700 000m3 d’eau d’exhaure

« Qu’ils soient d’exhaure, ou n’importe quoi d’autre, ces 700 000m3 sont toujours pompés dans les réserves d’eau de la région ! », rappelle Mohamed Daoudi, l’un des leaders du mouvement «Movement on the road 96 Imider». Cette eau est effectivement puisée dans les ressources en eau disponibles sur le territoire de la Province, mais pas nécessairement sur les ressources actuellement mobilisables, car certaines ressources peuvent être difficilement accessibles.

La SMI a augmenté sa consommation d’eau avec sa troisième grande extension lancée en en 2012. «La concentration d’argent dans le minerais extrait a baissé, elle était de 450g par tonne auparavant, elle est aujourd’hui de 200 à 300 grammes par tonne», précise Farid El Hamdaoui. Pour compenser la baisse de la concentration d’argent, la SMI se met à extraire 700 à 750 000 tonnes de minerais par an, entre 2013 et 2017, contre 3500 000 tonnes, environ, 10 ans auparavant, or le ratio des besoins en eau, immuable, est proportionnel au volume de minerais.

Plus la SMI extrait de minerais, quel que soit la concentration d’argent, plus elle a besoin d’eau. Pourtant, alors que les volumes extraits ont doublé en 10 ans, la consommation d’eau n’aurait augmenté que de 14%, selon la SMI. «Avec l’épaississeur, la matière solide dans nos rejets représente environ 60% contre 35% auparavant. Les boues sont plus épaisses. On recycle également une partie de l’eau de ces boues par décantation, en captant les eaux claires qui remontent en surface», détaille Farid El Hamdaoui. «Finalement, le conflit social a débouché sur la décision de la SMI de rationnaliser sa consommation d’eau», se réjouit Mostafa Benzaazoua.

Captage à Imiter contre emplois

Tout commence en 2004, quand la SMI signe une première convention avec «les représentants des terres collectives d’Imiter pour pomper de l’eau depuis la nappe phréatique qui servait aussi, à cet endroit-là, aux cultures des habitants du village. En contrepartie, la mine s’engageait à embaucher 8 personnes et à réaliser des projets de développement », raconte Mohamed Daoudi. Une clause stipulait aussi l’embauche saisonnière des étudiants de la région pendant leurs vacances d’été.

L’eau a dans la région une telle valeur qu’elle servira régulièrement de monnaie d’échange dans les relations entre la SMI et la population riveraine de la mine. «Partout dans le monde, les gens se plaignent de la pollution et du manque d’eau, alors que ce qu’ils veulent vraiment ce sont des emplois et des investissements. Fondamentalement, je pense qu’ils ont raison, parce que ce sont eux qui subissent les effets négatifs de la mine », reconnaît Mostafa Benzaazoua, enseignant chercheur à l’Institut de recherche en mines et en environnement à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.

La mine est proche du village et ses habitants se voient exclus d’une production de richesses qui considèrent comme leur. Le sol de la région n’est devenu propriété de l’Etat qu’en 1951, par Dahir, alors qu’il était exploité en continu ou non, selon le droit coutumier amazigh local, depuis le Moyen Age.

Baisse de 60% de l’eau dans les Khettaras

En 2005, moins d’un an après la signature de l’accord entre la population et la SMI, les agriculteurs de la zone ont constaté une baisse de près de 60% du niveau d’eau dans le système traditionnel d’adduction d’eau des Khettaras, selon Mohamed Daoudi. «La convention précisait que si le pompage de la mine avait une influence sur le niveau d’eau disponible pour l’irrigation, il faudrait cesser ces pompages, mais rien n’a été fait », assure-t-il.

Le conflit entre la SMI et les habitants du village d’Imiter, en contrebas de la mine, n’éclate qu’à l’été 2011. La SMI vient de refuser d’embaucher des jeunes d’Imiter, comme elle le fait chaque été. Au même moment la pénurie d’eau touche la région et les révolutions agitent le monde arabe. «A l’été 2011, 300 personnes se sont présentées et ont demandé à travailler comme saisonniers ; il y avait même des enfants. Nous avons refusé», affirme Rachid El Hamdaoui. Pour Mohamed Daoudi, ai contraire, «tous les jeunes remplissaient les critères définis par la clause pourtant la mine a refusé 40 personnes

Baisse de la production de 40%

La mesure de rétorsion ne se fait pas attendre : le 28 août 2011, les habitants d’Imiter ferme la vanne de la conduite qui alimente la SMI en eau depuis leur village. «Cette année-là, nous avons essuyé une baisse de la production de 30 à 40% à cause du manque d’eau», évalue Farid El Hamdaoui. «Notre objectif n’a jamais été de faire fermer la mine mais de sauver notre agriculture, mais en 2012-2013, au lieu de trouver un accord avec nous, ils sont allés chercher l’eau ailleurs», regrette Mohamed Daoudi.

«A partir de là, nous avons développé plusieurs outils dont l’épaississeur pour réduire notre consommation en eau. Nous utilisons l’eau d’exhaure et nous avons creusé deux nouveaux puits à 20km d’ici», reconnaît Farid El Hamdaoui, même si durant cette période des rounds successifs de négociations ont lieu entre la SMI et la population.

Un barrage collinaire de 3 millions de m3

En 2013, un accord est trouvé, avec notamment l’embauche de 50 personnes, mais «il ne répondait pas à 10% de nos attentes», assure Mohamed Daoudi. Les élus et certains manifestants ont signé cet accord, d’autres le refusent toujours et d’autres encore ont abandonné la lutte.

Depuis, les manifestations continuent sur le Mont Alban, siège de la lutte, en fonction du nombre de personnes disponibles. Désormais, les habitants d’Imiter n’ont plus de moyens de faire pression sur la SMI pour obtenir des emplois. La mine n’a plus aucune raison d’écouter les derniers manifestants : elle a accès à toute l’eau nécessaire. «Actuellement nous travaillons avec la ville de Tinghir sur le projet d’un barrage collinaire qui nous permettrait au bas mot d’accumuler 3 millions de m3 par an. Il permettrait ainsi de fournir la population riveraine», assure Farid Hamdaoui.

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Précisions, compléments
Auteur : M Benz
Date : le 23 avril 2016 à 13h05
Chers lecteurs

Ayant été cité dans cet article, je me dois juste de rectifier certaines affirmations m'ayant été attribuées et apporter quelques éclaircissements. Je ne me réjouit pas que le conflit social ait obligé la SMI de rationaliser son utilisation de l'eau .... mais que le conflit social ait débouché sur l'application d'une mesure environnementale unique au Maroc, consistant à s'éloigner de la déposition des rejets de concentration par le mode conventionnel en pulpe (connu pour ses impacts environnementaux : surconsommation d'eau, risques de pollution et risques d'instabilité des digues ...le malheureux récent cas de la mine de Tiouit nous rappelle quelque chose) et d'adopter courageusement une BAT (best available technology en fr meilleure technologie disponible) de plus en plus encouragée même dans les pays miniers les plus développés comme la Canada; à savoir la déposition des rejets à l'état densifié. L'article devait citer ce point central que j'ai longuement abordé avec la journaliste lors de notre rencontre. Cette nouvelle technologie en plus d'éviter les impacts précités, vise à réduire l'empreinte écologique des sites miniers et à faciliter leur réhabilitation (progressivement au fur et à mesure de l’opération ou en fin de vie de la mine). Les coûts dépensés pour les procédés de densification des pulpes et même leur filtration (capital et opération) sont largement compensés par des gains en eau, des gains lors de la réhabilitation, des gains lors de la construction des parcs à rejets, des gains en traitement des eaux .... La plus part des exploitations minières au Maroc devraient s'inspirer de cette performance de la SMI.

Je suis content qu'au Maroc l'industrie minière s'occupe de plus en plus de l'acceptabilité sociale de ses projets miniers un peu partout au Maroc. Les pressions d'associations d'écologistes ont toute leur place partout dans le monde car c'est eux qui font bouger les choses dans le bon sens et le législateur doit jouer tout son rôle pour accompagner avec des lois réalistes et assurer l’équilibre social, économique et environnemental; le développement minier durable. Les scientifiques (dont je fait partie) peuvent aider les opérateurs miniers à se développer ainsi que les législateurs et les consultants en vue de respecter de l'environnement.

Pour ce qui est de l'eau dans cette région du Maroc, la journaliste devrait aussi considérer deux aspects importants qui concernent beaucoup de régions au Maroc, les facteurs climatiques de ces dernières décennies (sécheresses répétées) et le fait que des nappes fossiles exploitées par tous les secteurs mettent beaucoup de temps à se renouveler.

Mostafa BENZAAZOUA, PhD
Merci Yabiladi
Auteur : Khalid...
Date : le 23 avril 2016 à 12h35
Merci Yabiladi pour l'attention portée à ce genre d'informations et ces conflits dans ces régions lointaines ignorés dans la presse du pays.
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