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Grand Angle

Samir : Le Maroc a-t-il vraiment besoin d’une raffinerie ?

Mohamed El Krimi, syndic judiciaire de la Samir désigné par le Tribunal de Commerce de Casablanca veut croire que l’unique raffinerie nationale est encore viable. Mais le Maroc doit-il conserver coûte que coûte une raffinerie pour des raisons stratégiques, même si elle n’est pas rentable ?

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(c)Samir
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«Je reste persuadé que Samir est une société viable économiquement. Elle dispose d’une richesse économique et humaine considérable», a assuré à Tel Quel, Mohamed El Krimi, nommé syndic judiciaire pour la liquidation judiciaire de la Samir par le Tribunal de commerce de Casablanca. Selon le Code du commerce, sa fonction est de «dresser dans un rapport le bilan financier, économique et social de l'entreprise» et proposer in fine un plan de redressement ou une liquidation, mais le Maroc a-t-il seulement besoin d’une raffinerie ?

«Sur le plan politique, le Maroc est à un croisement. On a toujours pensé qu’il était nécessaire d’avoir une raffinerie, un relai en appoint d’un marché libre. La Samir avait même investi dans sa propre société de distribution», se rappelle Afifa Dassouli, professeur en Finances à l’ISCAE, journaliste financière La Nouvelle Tribune. L’Etat marocain a toujours considéré le raffinage comme une activité stratégique, dans certaines limites cependant puisqu’il a privatisé la Samir en 1997 et accepté la fermeture de la raffinerie de Sidi Kacem en 2008.

Cependant, l’indépendance et donc la sécurité énergétique d’un pays est avant tout fonction de la diversité de ses sources d’approvisionnement, des routes d’approvisionnement, de la régulation de sa consommation, de ses capacités de stockage, de ses investissements dans l’utilisation de nouvelles sources d’énergies. Disposer d’une raffinerie nationale a donc une influence marginale sur l’indépendance énergétique d’un pays. Elle permet simplement d’élargir le champ de ses importations aux hydrocarbures bruts et donc leur origine.

Stratégique peut-être, mais démesurément endettée, la Samir ne peut plus trouver repreneur. Elle compte 42,5 milliards de dirhams de dette pour 25 ou 26 milliards d’actifs. «Le tribunal va certainement vendre la centrale de raffinage. Elle est restée beaucoup trop longtemps à l’arrêt et le coût pour la faire redémarrer est exorbitant – des centaines de millions voire des milliards de dirhams -, mais elle est attachée à un port, des gazoducs qui ensemble ont toujours une valeur», insiste Afifa Dassouli.

Rentabilité en question

Une renationalisation de la Samir est peu probable si le gouvernement veut conserver son équilibre budgétaire et sa ligne de liquidité ouverte par le FMI. Si l’Etat veut conserver cette activité, il va donc devoir trouver une entreprise privée qui accepte de racheter l’usine de la Samir ou d’investir dans un outil de raffinage totalement neuf. Pour l’instant personne ne s’est déclaré.

«Bien sûr, il faudra encore des incitations pour aider un repreneur national dans la reprise de l’activité de raffinage, dans une logique de donnant-donnant, avec des avantages fiscaux circonscrits, par exemple, mais on peut aussi se demander pourquoi on donnerait des avantages à un société si l’activité de raffinage est rentable par elle-même. Si l’Etat est obligé de donner énormément d’avantages au repreneur au point de travestir le marché, c’est que l’activité n’est pas rentable ! », s’inquiète Hicham El Moussaoui, fondateur de Libre Afrique et maître de conférences à l’Université Sultan Moulay Slimane de Fès.

De fait, la concurrence internationale est rude et les marge de raffinage sous tension. «De tous les facteurs qui font qu’il est difficile de construire des raffineries en Afrique, le risque commercial est le plus important. De grandes quantités de capitaux sont nécessaires sur de longues périodes, alors que la rentabilité globale de raffinage est actuellement précaire. La capacité de raffinage mondiale excessive et des coûts de transport réduits, rendent facile le commerce de produits pétroliers entre les différentes régions du monde», analyse le cabinet de conseil CITAC Africa basé à Londres, spécialiste de l’aval du marché de l’énergie sur le continent dans son étude «Oil Refining in Africa» 2014.

«Je pense qu’actuellement, avec des prix du pétrole aussi bas, et le coût exorbitant du redémarrage de la Samir [ou même d’un investissement dans une nouvelle raffinerie, ndlr] il est impossible qu’une raffinerie au Maroc puisse produire des carburants moins cher que celui qui est importé. Il est très difficile pour une petite raffinerie africaine comme marocaine d’être concurrentielle face aux pays du Golfe qui réalisent de fortes économies d’échelle en raffinant les grandes quantités de pétrole qu’ils exportent», analyse Celeste Hicks, auteure de Africa’s New Oil.

Utilité d'une raffinerie ?

Qu’arriverait-il alors si le Maroc renonçait à toute raffinerie ? «Depuis août, le marché de la distribution n’a pas connu de perturbation, pas de tension sur les prix parce que les distributeurs ont investi à temps dans de nouvelles capacités de stockage, alors que la Samir fournissait 65% du marché national en carburant», rappelle Hicham El Moussaoui. Il n’y a eu aucune pénurie de carburant, aucune hausse des prix.

«Depuis la fermeture de la Samir, le ministère de l’Energie et des mines nous oblige à disposer d’un stock minimal de 30 jours, précisait en décembre 2015 Adil Ziadi, président du Groupement des pétroliers du Maroc. Auparavant, les subventions aux carburants constituaient un fardeau que nous supportions, aujourd’hui il a été transféré sur les obligations de stockage. »

«Les distributeurs ont transformé une crise – parce que Mohamed Al Amoudi [PDG de la Samir, ndlr] a clairement tenté un ‘coup’ en arrêtant la production de la Samir pour perturber le marché et faire pression sur l’Etat – en une opportunité. Finalement, le marché est fourni en carburant en meilleure qualité et moins cher. Donc, le Maroc n’a pas forcément besoin d’une raffinerie pour l’approvisionnement du marché », conclut Hicham El Moussaoui.

Difficilement rentable, inutile à l’approvisionnement national en hydrocarbures, le Maroc pourrait maintenir une activité de raffinage coûte que coûte pour des raisons stratégiques mais aussi industrielles. «A-t-on envie de développer l’industrie pétrolière, chimique et para-chimique qui sont très liées dans la perspective de l’industrialisation du Maroc ? Dans ce cas, il y aurait la création d’une valeur ajoutée, et d’activité pour toute une chaîne de valeur. Si on est dans cette perspective, alors il peut être intéressant de conserver une raffinerie au Maroc», remarque Hicham El Moussaoui.

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