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Grand Angle

Maroc : « L’idée de révolution a disparu », selon Frédéric Vairel [Interview]

Il ne se passe pas un jour au Maroc sans qu’ait lieu quelque part une petite manifestation. Au printemps, le sociologue Abderrahmane Rachik publiait une étude révélant l’explosion du nombre de manifestations au Maroc depuis 2005. Aujourd’hui Frédéric Vairel, chercheur au Centre Jacques Berque à Rabat, revient sur le sujet avec son ouvrage «Politique et mouvements sociaux au Maroc», publié en novembre. Il explique à Yabiladi.com comment les mobilisations collectives se sont peu à peu banalisées et pacifiées.

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Yabiladi : Comment le pouvoir a résisté aux différents mouvements sociaux contestataires de ces 30 dernières années ?

Frédéric Vairel : Le régime marocain s’est montré capable de modifier l’exercice du pouvoir. Dans les années 1990, une institutionnalisation -au moins dans les mots- du référentiel des droits de l’homme a été initiée par Hassan II avec la création du CCDH. Cela s’est manifesté dans les années 2000 par «l’alternance» et toute une série de réformes qui ont accrédité l’idée que les choses changeaient. Pour les militants, cette institutionnalisation a été synonyme de la reconnaissance de leur combat, mais elle leur a également compliqué la tâche car la façon dont le CCDH entendait régler la violence des «années de plomb» était très problématique. Il voulait simplement «clore» - c’était le mot utilisé à l’époque - la question des violations des droits de l’homme. Cette institutionnalisation du référentiel des droits de l’homme a paradoxalement mené les gens à se mobiliser davantage sur cette question, car ils ont senti un danger.

Selon Abderrahmane Rachik, le nombre de manifestations a explosé depuis 2005. Selon vous, comment ont évolué les formes de contestation sur cette période ?

On a au Maroc une scène politique et militante très vivante mais durablement marquée par la violence qui a influé sur la façon dont les militants envisagent la mobilisation. L’idée de révolution a laissé place à celle de réforme. Pour l’extrême gauche ce basculement s’est opéré en prison et à la faveur de la chute du bloc communiste et pour les islamistes avec l’émergence d’un mouvement réformiste qu’incarne par exemple le PJD. On a affaire à des militants qui ont été défaits par la violence de sorte qu’aujourd’hui les modes d’action collectifs passent par des actions sociales, des rapports, des communiqués, des sit-in, plus rarement de marches. Certains se sont convertis aux formes d’actions peu conflictuelles promues par leurs bailleurs de fonds.

La violence des «années de plomb» explique-t-elle à elle seule la «pacification» des revendications ?

Les contraintes qui pèsent sur les militants eux-mêmes ont changé. Aujourd’hui, certains d’entre eux ont une famille, doivent trouver un travail … Ces changements modifient leur rapport à l’engagement.

Dans les différents mouvements sociaux que j’ai étudiés, que ce soit Al Adl Wal Ihsân, les féministes ou le Mouvement du 20 février, il y a également cette hantise de voir la situation échapper à tout contrôle. Dans le mouvement féministe, l’organisation d’une marche en mars 2000 était sujette à débat parce que certains craignaient que les islamistes ne procèdent en parallèle à leur propre marche. Ces mouvements ont peur de se retrouver dans une situation explosive dont pourraient profiter certains groupes radicaux. Ils craignent un scénario à l’algérienne. Cette peur du dérapage est quelque chose que l’on perçoit nettement dans la façon dont l’AMDH prépare avec une précision extrême tout sit-in qu’elle organise : où, à quelle heure, les slogans, et l’heure à laquelle les manifestants se disperseront…

Quel rôle a joué le pouvoir dans cette routinisation des mouvements sociaux ?

Le train de réformes lancées par Hassan II a pu accréditer l’idée que les choses étaient susceptibles de changer. La réforme annoncée de la Constitution en 2011, au moment des révolutions arabes et du Mouvement du 20 février n’avait rien de surprenant puisque le Maroc amende régulièrement sa constitution. Avec l’INDH, le CNDH, le Conseil économique et social, … on a affaire à un régime qui est tout sauf sclérosé.

Les acteurs associatifs se partagent alors entre ceux qui participent au jeu institutionnel et ceux qui le dénoncent. Le Forum mondial des droits de l’homme à Marrakech est à ce titre très révélateur : il y avait d’une part les associations qui y étaient présentes pour faire entendre une voix différente à l’intérieur du système et celles qui restaient à l’extérieur pour le dénoncer.

On ne peut pas comprendre l’institutionnalisation de l’espace protestataire marocain, si on ne prend pas en compte aussi l’effet d’apprentissage des forces de sécurité qui jouent entre répression et contingentement pacifique de la mobilisation. A Rabat, lors de la manifestation de près d’un million de personnes suite à l’offensive israélienne à Jénine en 2001, pas une vitre n’a été cassée. Elle a permis aux forces de sécurité de découvrir qu’il était possible de laisser les gens manifester. A l’époque le pays était en effervescence, des petits rassemblements s’organisaient un peu partout, à tout moment. Les autorités ont estimé que cette situation n’était pas tenable, il fallait laisser la colère s’exprimer mais la canaliser. La manifestation a été la preuve que c’était possible.

Seriez-vous un partisan de l’idée d’une exception marocaine ?

Absolument pas ! Il s’agit là d’un discours conservateur développé par le pouvoir selon lequel les choses doivent être maintenues en l’état. Dans la région, il existe d’autres pays qui sont restés stables, pour autant, est ce que ce sont des cas enviables ? Ce discours de l’exception se retrouve par exemple également en Arabie Saoudite. Je pense que le Maroc est un cas particulier comme chaque pays en est un mais cette trajectoire de réforme lente d’un régime autoritaire n’a rien d’exceptionnel.

Avec leur banalisation, les mouvements sociaux font-ils encore peur au pouvoir ?

Je pense qu’on ne prend pas beaucoup de risque en disant que dans l’entourage du roi et au gouvernement, on a eu très peur en 2011 au moment de l’organisation de la première manifestation du 20 février. Finalement, le pouvoir a réussi à passer l’obstacle, mais toute révolution est par nature inattendue. En Tunisie et en Egypte, les évènements ont largement dépassé ceux qui les avaient initiés. Je pense que le cycle qui a été ouvert par les révolutions arabes n’est pas refermé. Il y a eu un changement dans les perceptions : désormais les Marocains, gouvernants et gouvernés, savent que «c’est possible».

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Auteur : paysan81
Date : le 13 décembre 2014 à 13h00
Entre la peur de finir comme la lybie et le refus de se laisser marcher dessus il y a une bataille du pour et du contre que l'état mène contre le citoyen....

Il y a aussi autre chose les gens sont bien plus conscients depuis l'internet ils apprennent des autres révolution des autres mouvement sociaux..

Ça va jouer en défaveur de l'état au final qui sera obligé de concéder du pouvoir à cause du climat économique qui poussent les gens à bout
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