Yabiladi : Vous êtes en train de fonder la première mosquée «inclusive» pleinement ouverte aux homosexuels et mettant hommes et femmes sur un pied d’égalité pendant la prière. Peut-on vous considérer comme le premier militant de la cause homosexuelle en Islam ?
Mohamed Ludovic Zahed : Il y a existé d’autres associations, auparavant, comme l’association Amal, dans les années 90. Le fondateur de cette association est d’ailleurs membre de H2MF (Homosexuels musulmans de France) aujourd’hui. A cette époque l’objet était plus identitaire, moins visible. C’était moins une question de société, même si la démarche était la même. Aujourd’hui, l’islam et l’homosexualité sont au cœur des enjeux de société, ils deviennent même des enjeux politiques. De nombreux intellectuels musulmans s’expriment aujourd’hui sur l’homosexualité. Ca m'a incité à agir et à fonder cette mosquée.
Qui seront les fidèles qui viendront prier vendredi 30 novembre ?
Aujourd’hui, il y a des gens pour qui c’est difficile de s’habiller en rose, d’avoir une allure efféminée et d’entrer dans une mosquée. Mon mari vient d’Afrique du Sud. Quand il est venu en France, il a failli se faire arracher ses boucles d’oreilles, en allant à la mosquée. Quand on y va, c'est pour prier ensemble, pour créer du lien, pour méditer ; pas pour revenir dépressif parce qu’on a reçu, encore une fois, une volée de bois vert. Mais cette mosquée n’est pas seulement ouverte aux gays et aux lesbiennes, mais à tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans une vision dogmatique de l’islam. Un père de famille m’a appelé pour me soutenir car il ne veut pas transmettre à sa fille cet islam là. Notre démarche pourrait parler à beaucoup de gens qui s’y reconnaissent et ont simplement envie d’une prière en commun. Cette mosquée répond à un vrai besoin.
La majorité des musulmans s’accordent pour condamner l’homosexualité, comment êtes vous parvenus à concilier celle-ci avec votre foi ?
Lorsque j’ai découvert que j’étais homosexuel, je me suis dit que soit l’islam était une imposture, soit j’étais un pervers. Je souffrais d’une véritable dissonance cognitive, j’étais malade tout simplement et je me sentais vide. Progressivement, je suis revenu à une forme de spiritualité, en passant par le bouddhisme, d’abord, qui n’est pas exempte, lui non plus, de préjugés contre les homosexuels et les femmes. Puis j’ai effectué plusieurs pèlerinages à la Mecque, j’ai réappris le Coran par cœur. C’est en passant par la pratique que j’ai retrouvé la paix. J’avais encore des questions, comme «dois-je rester chaste toute ma vie ?» mais j’avançais. Puis je suis revenu aux textes pour finalement déconstruire la représentation la plus homophobe.
Vous préparez aujourd’hui une thèse à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) sur l’homosexualité en islam. Comment parvenez-vous à déconstruire cette interprétation homophobe des textes dont vous parlez ?
Les hadiths rapportés par Aïcha, évoquent les mukhannathun, des hommes très efféminés, androgynes. Il s’agit manifestement d’homosexuels voire de transidentitaires. Or ces hadiths disent que le prophète lui-même les accueillait chez lui. Ses femmes ne se voilaient pas devant eux, car ces hommes n’avaient pas de désir pour les femmes. Dans les versets du Coran qui évoquent le peuple de Sodome et Gomorrhe, il n’est jamais réellement question d’homosexualité : sont racontés des rapports sexuels entre hommes mais aussi entre hommes et femmes ; il est aussi dit qu’il s’agit de voleurs, de violeurs et de pirates. Condamner tous les homosexuels en référence à cela c’est faire un amalgame. Il y a des principes qu’il faut intégrer à l’interprétation que l’on a de l’islam.