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Bien avant ERASMUS, les voyages d'études étaient au cœur de la formation des savants d'Al-Andalus

Si aujourd'hui les séjours académiques à l’étranger sont une tendance mondialisée, les voyages d’études sont une tradition remontant à plusieurs siècles. De longs périples pour les érudits d'Al-Andalus notamment pour approfondir leurs connaissances et améliorer la transmission des savoirs.

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Voilier en haute mer / Peinture : Vladimir Koval
Temps de lecture: 4'

Programmes d’échange, de bourses, de mobilité ou de résidence académique… Toutes ces formules ont comme point commun de proposer aux étudiants et aux chercheurs des voyages, parfois lointains, pour approfondir leurs travaux, acquérir de nouvelles connaissances ou consolider leur savoir dans une spécialité technique, scientifique, artistique ou de sciences humaines.

Loin d’être un effet de mode, de mondialisation ou un phénomène nouveau, ces mouvements renseignent beaucoup sur la tradition des voyages chez les plus grands érudits qui ont marqué l’histoire de l’humanité à travers les siècles. Dans le temps, entreprendre un périple a d’ailleurs fait partie intégrante de leur processus de formation, permettant ainsi aux apprenants d’avoir une vue plus globale sur leur domaine de spécialité, tout en s’ouvrant sur de nouvelles expériences, approches éducatives, encyclopédiques et procédés de recherche.

Ibn Battuta, Khawarizmi, Razi, Ibn Rochd, Ibn Khaldun, Ibn Sina ou encore Charif Al-Idrissi parmi d’autres savants immortels n’ont-il pas puisé leur savoir de leurs différents périples, qui leur ont appris les enseignements de la vie autant que les disciplines scientifiques modernes. Cette tradition a été perpétuée dans différentes régions du monde, y compris sous le règne des califs médiévaux à Al-Andalus, il y a plus de mille ans.

Un rituel d’acquisition et de transmission à travers la Méditerranée

Au cours du Moyen-Âge en Andalousie musulmane, des érudits ont en effet multiplié les voyages en Orient. Leur curiosité, leur soif d’apprendre et surtout leur ambition de revenir avec davantage de crédibilité scientifique et académique les ont menés dans les principales cités orientales du savoir.

«Avec la conquête islamique de l’an 711 et après une première étape de consolidation de ce pouvoir, les voyages en Orient pour acquérir des connaissances ont évolué de manière exponentielle jusqu’à devenir un facteur déterminant dans la carrière professionnelle des intellectuels de cette période», indique en effet Abdenour Padillo Saoud, chercheur à l’Ecole des études arabes (EEA) relevant du Conseil supérieur de la recherche scientifique espagnol (CSIC), dans l’une de ses contributions sur cette forme de mobilité.

S’intéressant plus précisément à l’impact de la production intellectuelle de l’Occident islamique sur l’historiographie orientale, ce doctorant de l’Université de Grenade note que le processus s’est fait en étapes. En effet, la formation de ces étudiants a souvent commencé au niveau local.

«Une fois qu’ils acquièrent les connaissances auxquelles ils ont accès dans leur localité, ils s’installent dans les plus importants centres culturels de la péninsule, tels que Cordoue», explique-t-il. «Après une période d’études dans ces villes, vient le tour d’une phase de formation à l’étranger, dans le but d’étudier directement avec les enseignants basés en Orient», ajoute encore le chercheur.

Les itinéraires se diversifient, avec des étudiants andalous qui choisissent de commencer leur voyage académique de l’Afrique du Nord pour atteindre l’Orient par voie terrestre, ce qui enrichit forcément leur bagage scientifique grâce aux rencontres que ce temps long permet avec les maîtres ou les juristes musulmans de toute la région. D’autres étudiants optent pour une traversée en mer, depuis les ports principaux tels que Almeria, pour enfin jeter l’ancre à Alexandrie, souligne Abdenour Padillo Saoud.

Une fois en Egypte, certains poursuivent leur voyage à La Mecque pour effectuer notamment le pèlerinage. A la fin de leurs études, ils se voient octroyer une attestation d’évaluation de leurs connaissances dans leur domaine spécifique. A leur retour à Al-Andalus, ils font ainsi partie des scientifiques, hommes de lettres, juristes ou artistes les plus prestigieux.

Le voyage, élément central d’apprentissage scientifique et religieux

Parmi les figures de la théologie malikite à Al-Andalus ayant bénéficié de ces séjours, on retrouve Yahyâ Ibn Yahyâ Al-laythî, qui a marqué la jurisprudence musulmane du IXe siècle. En effet, ce chef des savants andalous à Cordoue ou Faqih d’Al-Andalus, a étudié de manière approfondie Al Muwatta’ de l’Imam Mâlik Ibn Anas. Au cours de ses voyages, il a fait ses armes grâce aux enseignements d’Ibn Wahb, Ibn Al-qâsim, Ibn ‘Uyayna et Al-layth Ibn Saad, entre autres clercs arabes et musulmans.

Cette quête du savoir l’a érigé en véritable pilier de l’école malikite, à tel point que les historiens estiment que c’est grâce à lui que ce courant a connu son âge d’or dans l’Occident musulman. Dans ce sens, il a transmis son savoir à ceux qui sont devenus d’éminents maître d’éminents savants, à l’image de Muhammad Al-’utbî, Ibn Mazîn, Ibn Waddâh et Baqiyy Ibn Makhlad, entre autres.

Malgré cet aura, Yahyâ Ibn Yahyâ Al-laythî n’a pas manqué une occasion pour encourager ses disciples à enrichir leur parcours en voyageant. «Profitez du fait que les enseignants dont nous transmettons le savoir religieux soient en vie pour les côtoyer et étudier auprès d’eux», leur a-t-il souvent recommandé, comme cité par Abdenour Padillo Saoud.

Selon le chercheur, la valeur de ces voyages a été tellement centrale dans les parcours des maîtres andalous que les sources arabes médiévales répertoriant leurs noms mentionnent expressément si ces savants voyageaient et par quelles villes ils sont passés. Ces périples ont également contribué à l’ancrage des cultures orientales, de différents modes de vie mais surtout de pratiques de transmission du savoir dans le sud de l’Europe médiévale, assurant par ailleurs le rayonnement des dynasties musulmanes damascènes, cairotes et arabiques.

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