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Zohra GUERRAOUI
c
15 juin 2012 11:16
L’ADOLESCENTE D’ORIGINE MAGHRÉBINE EN FRANCE :

QUELS CHOIX IDENTIFICATOIRES ?


Résumé : Enculturées et socialisées dans deux systèmes culturels différents,les adolescentes d’origine maghrébine vont se structurer sur la base de ce double ancrage et se référer à des modèles identificatoires hétérogènes. Pour faire lien entre
cette pluralité de références, dépasser les conflits inhérents à une telle situation,maintenir la cohérence et l’unité de leur Moi, ces jeunes filles, comme toute personne en situation interculturelle, vont mettre en place des stratégies qui mobiliseront un certain nombre de mécanismes de défense et d’adaptation.

INTRODUCTION

Tous les psychologues s’accordent à définir l’adolescence comme un moment clé, un tournant décisif dans le développement du sujet. Souvent marquée par la crise, elle se traduit la plupart du temps par « une révision de
l’attitude envers lui-même et les autres, envers son propre corps, envers sa
position dans la société, envers ses modèles identificatoires, son avenir, parfois même son passé et ses origines qu’on n’accepte plus » (H. MalewskaPeyre, 1983). Chez les enfants de migrants, cette crise est souvent exacerbée
en raison de leur double appartenance culturelle, source de difficultés de positionnement. Tiraillés entre les attentes et les exigences des deux modèles auxquelles ils veulent satisfaire, désirant préserver aussi bien les liens affectifs avec leurs parents que la reconnaissance des membres de la société dite d’accueil, comment peuvent-ils se structurer, préserver un bon équilibre psychique quand les modèles identificatoires sont si différents, élaborer une identité qui soit à la fois « unité de sens et attribution de valeur » (C. Camilleri, 1989a), négocier avec un surmoi parental intériorisé et un idéal du moi plus proche des modèles proposés à l’extérieur de la famille ? Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre en nous appuyant sur le cas de l’adolescente d’origine maghrébine en France et en privilégiant l’approche interculturelle en psychologie.

L’APPROCHE INTERCULTURELLE EN PSYCHOLOGIE

Tout comme la psychologie culturelle et la psychologie transculturelle (cross-cultural psychology), la psychologie interculturelle s’intéresse à la relation qui existe entre l’organisation du psychisme et la culture. Il est important, pourtant, de distinguer ces trois approches qui, comme le soulignent B. Krewer et G. Jahoda (1993), se différencient aussi bien au niveau des buts que de la méthodologie. En simplifiant, nous pouvons dire que la psychologie transculturelle
utilise la comparaison interculturelle comme instrument méthodique. Elle vise à explorer les différences et les similitudes du développement psychique dans des conditions culturellement différentes dans le but d’une part, de vérifier dans d’autres cultures les théories élaborées dans le monde occidental, et, d’autre part, de mettre en lumière les lois causales et universelles du fonctionnement mental. La psychologie culturelle, quant à elle, s’appuie sur le postulat de l’interpénétration psychisme-culture. Les structures psychiques résulteraient de « constructions subjectives individuelles et de co-constructions intersubjectives collectives, qui donnent lieu à des systèmes de significations partagées. » (B. Krewer, 1993, p. 83). La production (construction) et l’acquisition (reconstruction) des systèmes socioculturels de communication et
d’action sur le plan subjectif et intersubjectif constituent les thèmes majeurs de la psychologie culturelle qui se fonde méthodologiquement sur l’étude psycho-ethnographique. La psychologie interculturelle, même si elle s’étaye sur les deux approches précédentes, « n’est ni d’identifier autrui en l’enfermant dans un réseau de significations, ni d’établir une série de comparaisons sur la base d’une échelle ethnocentrée » (M. Abdellah-Pretceille, 1985, p. 31). Son objet est avant tout de cerner l’ensemble des processus (psychiques, relationnels, groupaux, institutionnels,…) générés par les contacts de cultures, desprocessus paradoxaux où fermeture et ouverture, transformation et maintien de systèmes en présence interfèrent. Cette ambivalence se retrouve d’ailleurs, comme le souligne C. Clanet (1990), au niveau du concept « inter-7
culturel » puisque le préfixe « inter » renvoie aussi bien à la liaison, la réciprocité, l’échange qu’à la séparation, la disjonction. Plus concrètement, nous pouvons donc dire que les recherches en psychologie interculturelle essaient
d’appréhender :
- au niveau des groupes culturels, la façon dont se font les contacts, les influences, les pressions. Elles vont analyser les zones de rencontres, de ressemblances, de différences, de conflits entre les modèles culturels, les représentations à travers lesquelles se perçoivent les individus et les groupes.
- au niveau des sujets, les processus de rupture, d’ajustement, d’adaptation, d’emprunts de traits culturels. Elles vont étudier comment chacun se(re) structure, se (ré) équilibre, élabore son compromis culturel susceptible de faciliter les mises en relation, gère cet entre-deux qui peut être conflictuel. Comme on le voit, à travers ces processus très complexes d’interculturation, au-delà d’une analyse dynamique du changement, ce sont les effets dysfonctionnels générés par la différence culturelle, mais aussi les stratégies mises en place par les sujets pour modérer les conflits et éviter de la
déstructuration du Moi, qui retiendront l’attention des chercheurs en psychologie. Cette orientation est toute récente, puisque pendant de longues années, ce sont les thèses catastrophiques qui ont prévalu dans l’analyse des situations d’interculturalité, plus particulièrement à travers les études sur la personnalisation et l’identisation du sujet (cf. Berthelier, 1981 ; Bolo, 1978 ;Yahyaoui, 1987).

LA PERSONNE EN SITUATION INTERCULTURELLE

Comme le souligne A. Vasquez (1984), pendant longtemps la situation interculturelle n’a été étudiée que pour mieux constater l’altération de la culture d’origine au contact de la nouvelle culture, souvent culture dominante. C’est l’apologie du modèle assimilateur. Puis, il y a eu un glissement de la culture comme objet d’étude au sujet, porteur de culture. On s’est alors intéressé aux conflits psychologiques induits par le changement culturel et aux stratégies élaborées par les sujets pour les dépasser. De là est né un nouveau constat : l’assimilation n’est pas toujours le but recherché par les migrants qui mettent en place tout un arsenal de mécanismes de défense pour résister à l’hégémonie de la culture du pays d’accueil. Mais, s’il y a souvent résistance à l’acculturation chez les premières générations de migrants, l’adaptation est toujours recherchée. Cette étape nécessaire aboutit souvent, chez leurs descendants, à un désir d’intégration qui prendrait en compte leur double appartenance, leur double enracinement culturel. Un tel aménagement ne se fait pas sans souffrance, sans oscillations, sans ratés, sans heurts, sans conflits intra et inter-personnels.

UN EXEMPLE SPÉCIFIQUE : LES ENFANTS DE MIGRANTS

« Une double enculturation acculturante »

, telle a été définie par J. Ouadahi (1989) la situation d’interculturation vécue par les enfants de migrants. Dès leur plus jeune âge, ceux-ci sont enculturés et socialisés dans deux systèmes culturels différents qui entretiennent un rapport de force, à travers lesquels ils auront à se situer, deux cultures édulcorées qui leur parviennent à travers le filtre des différents agents socialisateurs. D’un côté, la culture de la société d’accueil qui se vit comme culture dominante, essentiellement véhiculée par l’école, les pairs, les médias. Cette culture, dont ils n’ont pas toujours pénétré le sens car elle n’est pas vécue de l’intérieur (famille), leur parvient déformée, enjolivée. D’un autre côté, la culture d’origine qui, en migration, est principalement léguée par la famille. Celle-ci, contrairement aux situations d’homogénéité culturelle où la transmission d’une
culture se fait généralement par différents canaux et divers types de relations affectives, devient le seul support et agent véhiculaire. Or, confrontés à un processus de changement, les parents ont, par besoin de défense identitaire,
idéalisé voire mythifié leur culture. Pourtant, acculturés à des degrés divers, ils ne transmettent à leurs enfants qu’une culture transformée, réinterprétée. Malgré l’altération subie par la culture d’origine, ils restent attachés à certaines valeurs jugées fondamentales, véritables « bastions de l’identité »(Berque, 1980), qu’ils continuent à inculquer à leurs enfants. Pour C. Camilleri (1989b, p 440), « l’élément ainsi choisi se charge d’une valeur symbolique et devient signe identitaire qui mobilise l’énergie défensive et même offensive des sujets ». A travers ces valeurs refuges, les parents vont s’employer à inculquer à leurs enfants un savoir-vivre conforme aux aspirations de leur groupe d’appartenance. Dans les familles d’origine maghrébine, la religion et le respect des aînés sont les deux grandes dimensions privilégiées par les parents dans l’éducation de leurs enfants, auxquelles s’ajoutent le contrôle de la sexualité dans l’éducation de leur fille.

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« Le sujet est non seulement redevable de deux références culturelles di érentes qui en plus se font écran l’une à l’autre, si bien qu’il ne relève ni entièrement de l’une, ni entièrement de l’autre, ni d’une quelconque synthèse des deux et encore moins de ce qu’on pourrait appeler un « no man’s land culturel ». (p 63-64)

CHOIX IDENTIFICATOIRES DE L’ADOLESCENTE MAGHRÉBIN
CAS DE LA FILLE D’ORIGINE MAGHRÉBINE :
SON ÉDUCATION AU SEIN DE LA FAMILLE


Pierre angulaire sur laquelle va se fonder toute son éducation, le comportement sexuel de l’adolescente maghrébine va faire l’objet d’une attention particulière. De ce fait, une conduite sexuelle en adéquation avec celle préconisée par la culture sera inculquée. Tout comme sa mère avant elle, la fille sera soumise aux notions de aïb, horma, hachma, haram3, toutes inhibitrices des pulsions sexuelles. La pudeur sera l’une des qualités qui lui sera demandée. Très tôt, par toute une série de recommandations et d’interdits, elle intériorisera les gestes, les attitudes, les paroles conformes à ce que l’on
attend d’elle. Tout écart dans sa conduite sera sanctionné physiquement ou moralement. Même les parents les plus permissifs s’attacheront à ce que leur fille ait un comportement exemplaire dans ce domaine. La finalité de cette éducation sexuelle sera de l’amener à avoir honte de son corps et à l’oublier en tant qu’objet de plaisir et de séduction. Cette amnésie, indispensable, aura pour seul but la préservation de sa virginité, seule garantie d’une possibilité de mariage endogame. Pour cela, la peur des hommes lui sera inculquée. On lui apprendra à se méfier d’eux, à ne pas entretenir de relations même amicales, à éviter leur contact. Elle comprendra très vite que la perte de son hymen sera sanctionnée sévèrement car du respect de ce tabou dépend l’honneur de la famille et plus précisément la reconnaissance sociale du père par la communauté d’origine. A travers le comportement sexuel de sa fille sera jugé le degré d’autorité de ce dernier au sein de sa famille. Aussi, dès la puberté, sa vie relationnelle et intime sera sous étroite surveillance. Ce contrôle sera
d’autant plus rigoureux que plane la menace d’une alliance illicite avec un non-musulman, éventualité inacceptable pour eux. Et si, jusque-là, elle avait eu plus ou moins de liberté quant à ses sorties et ses fréquentations, les attitudes parentales auront tendance à se rigidifier afin de l’amener avec plus ou moins de force à réintégrer le moule culturel et à adopter des manières de faire, d’être et de penser conformes au groupe d’origine

*Par hachma, il faut comprendre discrétion, décence, sauvegarde de l’intimité. Mais,
ce terme peut être employé dans un sens plus large, dans le sens de la honte, aïb, comme sentiment d’angoisse et de culpabilité devant la faute ou le déshonneur. Ainsi, la notion de hachma s’attacherait la honte éprouvée devant un acte ou une conduite qui s’inscrit à l’opposé de ce qui est supposé conforme au modèle prototypique, et toujours dénoncée avec mépris par autrui qui signe la condamnation. Mais, cette notion est aussi associée à toute action jugée haram. Ce mot haram fait référence aussi bien aux interdits religieux que sociaux. Il renvoie au sacré, à l’interdit, au tabou et spécialement pour tout ce qui concerne les femmes : la mère, l’épouse, les sœurs sont sacrées ; elles font partie du sanctuaire familial que l’on ne montre pas aux étrangers et qui leur est interdit. De ce fait, toute femme doit veiller à défendre son honneur (horma). (L. de Prémare, 1974-1975)Z. GUERRAOUI
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LA CONFRONTATION AVEC LA CULTURE FRANÇAISE
Soumise à toute une série d’interdits et d’obligations à respecter, éduquée dans l’objectif de ne jamais perdre de vue que tout jugement négatif porté sur sa personne par la communauté d’origine rejaillira sur sa famille, la
fille va très vite être confrontée à la culture française qui relève d’un modèle de socialisation différent de celui de son groupe d’origine. L’accès à l’école va l’ouvrir à d’autres valeurs, d’autres normes, d’autres façons de vivre où
l’autonomie individuelle, l’épanouissement personnel sont privilégiés contrairement à son milieu familial où tout écart dans sa conduite sera sanctionné car mettant en jeu la réputation de ses parents. A la personne communautaire s’oppose la personne individuelle (Cohen-Emrique, 1990). L’école, premier lieu où elle est confrontée à la différence culturelle,
en proposant de nouvelles valeurs, contraires aux principes familiaux, va constituer le premier point de rupture entre la fille et ses parents. Participant à un tiers de sa vie quotidienne, l’école n’est pas sans influence sur les processus d’identification de la petite fille, d’autant plus qu’elle investit sans culpabilité cet espace valorisé par ses parents parce qu’il participe à une
éventuelle promotion sociale. Intégrant progressivement de nouvelles valeurs, différentes de celles véhiculées par le milieu familial, la fille est séduite par ce modèle culturel qui lui semble plus permissif et lui renvoie des images féminines autres, plus attrayantes que l’image maternelle. Elle ne peut s’empêcher de porter un regard critique sur la culture parentale, d’adopter une attitude d’évaluation et de comparaison souvent au détriment de la culture familiale qu’elle se met à considérer essentiellement en fonction de critères extérieurs. Ce jugement est aussi renforcé par l’image négative renvoyée par la culture française que très tôt la fille intériorise (Vinsonneau,1996 ; Malewska-Peyre, 1983).
Pour un certain nombre d’auteurs (De Vos, 1980 ; Douville, 1982 ; Malewska-Peyre, 1983), la cohésion familiale et l’investissement affectif de l’enfant à l’égard de ses parents sont les garants indispensables pour accepter les valeurs familiales et échapper à l’image négative engendrée par une situation interculturelle mettant en présence deux cultures dont l’une se vit comme dominante et l’autre comme dominée.
Pourtant, malgré tout l’amour que la fille peut éprouver pour ses parents et l’intériorisation d’une bonne image de sa culture et des siens, parvenue à l’adolescence, des remises en cause, des contestations sur son propre devenir, peuvent apparaître. Du fait de l’écart entre les exigences parentales, qui se manifestent de façon plus ou moins coercitive, et ses propres désirs,
l’adolescente vit cette période d’incertitude plus difficilement. En effet, la plupart des parents manifestent, beaucoup plus que s’ils étaient restés au Maghreb, une certaine crispation sur un ensemble de valeurs identitaires
dont la femme et plus particulièrement l’adolescente sont le support. « Objet porteur de l’identité culturelle » (Reveyrand, 1985) bien malgré elle, elle se doit d’être le modèle du comportement traditionnel, d’où émergence de
conflits inter et intra-personnels. Ses revendications d’une plus grande autonomie se heurtent souvent à un refus de la part des parents qui redoublent de vigilance à son égard. Même les plus indulgents appliquent la loi culturelle à
leur fille devenue femme qui ne comprend pas toujours ce retournement. Elle se trouve alors prise dans le filet des contraintes et interdits liés à son sexe et elle prend conscience des écarts entre les deux cultures. Elle vit alors
cette situation comme une réelle mutilation qu’elle accepte plus ou moins bien selon son attachement à ses parents.
L’amour pour son père, qui se traduit souvent par le respect et l’admiration, la pousse à éviter le conflit et à essayer la négociation. Mais, elle peut se heurter à la rigidité d’un père qui n’accepte aucun compromis et la contraint à adopter un projet de vie fort éloigné de celui dont elle rêvait. Ces exigences paternelles peuvent aller jusqu’au mariage forcé et à l’arrêt des études. Elles sont d’autant moins tolérées que son éducation antérieure ne l’y a pas préparée. Elles sont alors la cause de mésentente et parfois de conflits graves qui peuvent amener la fille à choisir la fugue et même dans certains
cas, la solution extrême : le suicide. Ces conduites de désespoir amènent certains pères à assouplir leur position et à accorder davantage de liberté à leurs filles. Des solutions de compromis peuvent être alors négociées. Certains
iront même jusqu’à fermer les yeux sur les transgressions de valeurs fondamentales mais, par entente tacite, personne n’évoquera le sujet, la fille sachant quand même qu’elle se devra d’avoir un comportement discret pour ne pas discréditer son père aux yeux de sa communauté.Bien que plus proche de sa fille, la mère n’en est pas moins exigeante
avec elle. Responsable de son comportement, elle n’hésite pas à la soumettre
à la loi du groupe par tous les moyens dont elle dispose. Son contrôle se manifeste de manière plus sévère envers sa fille devenue pubère dans un contexte jugé trop permissif. Au risque de compromettre très sérieusement la
qualité de leurs relations, les désirs d’indépendance manifestés par leurs filles ne font qu’encourager certaines mères à rigidifier leurs attitudes. Elles s’attacheront alors, par une sorte de conformisme, de continuité, d’identité, àce que leurs filles vivent les mêmes contraintes qu’elles, leur déniant toute marge de manœuvre en dehors du champ culturel. D’autres mères, en revanche, désirent pour leurs filles une vie différente de la leur, moins rivée au bon vouloir masculin. Dans cette perspective, elles les encouragent dans leurs études, que les filles surinvestissent dans une sorte de sublimation. Elles peuvent leur accorder, souvent à l’insu du père, quelque liberté tout en les accablant de recommandations que les filles suivent, la plupart du temps, pour ne pas exposer leurs mères à la colère du père. Mais, pour pouvoir
s’instaurer, cette complicité nécessite trois conditions :
- une relation de confiance entre mère et fille,
- la compréhension de la fille à l’égard de l’attitude maternelle qu’elle peut parfois juger excessive dans les restrictions imposées. En effet, la fille doit saisir très vite que les limites font partie d’une logique culturelle à laquelle la mère doit se soumettre pour ne pas être sanctionnée par le groupe ou par un mari attaché à son autorité et surtout à son honneur,
- et un minimum d’ouverture de la part de la mère sur la culture française. Une telle perspective est possible lorsque celle-ci ne s’est pas rigidement identifiée à un modèle féminin maternel antérieur. Mais, le changement qu’elle espère pour sa fille ne doit pas remettre en cause le fondement de son éducation. Le respect de valeurs jugées essentielles et l’adoption d’une
conduite conforme à sa culture seront demandés à sa fille. C’est à ce prix qu’elle acceptera de « lâcher la bride », d’intercéder auprès du père quand l’autorisation de ce dernier s’avère nécessaire. La réussite de sa médiation
dépendra alors de son habileté et de sa capacité à jouer avec les espaces de liberté offerts par sa culture pour permettre à sa fille d’envisager une vie différente de la sienne, sans entraîner de conflits familiaux.

LES CHOIX CULTURELS DE L’ADOLESCENTE

De nombreuses études (Zalewska, 1983 ; Taboada-Leonetti, 1983 ;Streiff-Fenart, 1990 ; Ramond et Henocque, 1996) montrent que les choix normatifs qui sont effectués par les adolescentes, comme la recherche d’autonomie, la revendication d’un rôle social égal à celui de l’homme, le désir de soustraire leur sexualité à un quelconque contrôle social ou familial, l’entière liberté du choix matrimonial, les éloignent du système culturel parental.Elles restent pourtant fidèles à un certain nombre de valeurs inculquées aucours de leur enfance (Guerraoui, 1992). Ainsi, les relations intra-familiales
restent empreintes de pudeur et de respect. La déférence envers les parents et plus particulièrement le père, craint et admiré à la fois, est la plupart du temps soulignée par ces jeunes filles. Ce respect ne les empêche pas d’émettre un jugement critique envers ce type d’éducation qu’elles qualifient de rigide, de dépassé, d’inhibiteur mais dont elles restent marquées. Toutes déplorent l’incommunicabilité qui s’instaure entre les membres de la famille. Chez certaines adolescentes, l’adhésion à ces valeurs familiales s’accompagne, après réappropriation personnelle, d’un alignement sur l’ensemble des règles culturelles d’origine (sauvegarde de leur virginité mais pratique du flirt, projet d’union avec un partenaire musulman, pratique religieuse). Chez d’autres, ce respect n’implique pas la soumission à toutes les exigences parentales. Elles choisissent alors d’enfreindre certains interdits (relations sexuelles pré-conjugales clandestines, choix éventuel d’un partenaire non musulman) et de se distancier de la religion parentale qui, sans être discréditée, est estimée ne pas toujours répondre à leurs aspirations. Ainsi, pour toutes, la rupture avec le système culturel parental n’est jamais vraiment consommée. En effet, en raison de l’amour qu’elles portentà leurs parents (Lacoste-Dujardin, 1992 ; Guerraoui, 1995), elles accepteront certaines contraintes, feront des concessions, souvent importantes, pour leur éviter d’être jugés et marginalisés par les membres de leur communauté d’origine qui exercent un véritable contrôle social sur chacun et n’hésitent pas à sanctionner toute déviance. De ce fait, cet amour filial va remplir une double fonction :
- une fonction de lien entre l’adolescente et son groupe d’origine. En
effet, les parents se présentent comme les principaux médiateurs. Ce sont
eux qui introduisent leur fille dans leur communauté. A travers eux, elle se
sentira toujours appartenir à ce groupe malgré tout ce qu’elle peut lui reprocher.
- une fonction de maintien dans une culture pourtant négativisée. En
effet, comparées à celles de la culture parentale, les valeurs et les normes véhiculées par la culture française sont perçues comme moins contraignantes, plus positives à l’égard de ses membres qui bénéficient d’une plus grande liberté dans leurs choix de vie. Elles se représentent la femme française comme libre et indépendante, alors que le statut de la femme maghrébine est vécu comme moins avantageux.

LA GESTION IDENTITAIRE DE LA DOUBLE APPARTENANCE

Prise dans deux appartenances culturelles différentes, l’adolescente se trouve devant le choix difficile à faire entre des modèles qui le plus souvent s’opposent. A quels modèles s’identifier ? A la jeune femme modèle que ses
parents voudraient la voir incarner ? A cette femme française dont elle envie l’indépendance ? Comment garantir la construction d’une personnalité et d’une identité fondées sur la constance, l’unité et la cohérence, trois dimensions essentielles que l’adolescente se doit de maintenir malgré l’intériorisation d’une multiplicité de modèles identificatoires si différents ? Au cours des années soixante-dix, la multiplicité des choix identificatoires, auxquels les enfants de migrants étaient confrontés, avait amené de nombreux auteurs à dépeindre ces derniers comme des victimes de la situation interculturelle avec des images de déchirure culturelle, de marginalisation sociale, de rapports conflictuels et avec la société française et avec les parents qui ne pouvait mener qu’à la construction d’une personnalité éclatée,
d’une identité incohérente. À la fin des années quatre-vingts, des auteurs comme C. Camilleri (1989c) réfutent ces thèses catastrophiques. Pour eux, le sujet en situation interculturelle met en place un certain nombre de stratégies qui lui permettent
non seulement d’intégrer et de concilier rationnellement des codes opposés, mais aussi de désamorcer, au moins subjectivement, les contradictions objectives auxquelles il est confronté et éviter ainsi qu’elles ne s’intériorisent en conflits intra-subjectifs. Ces stratégies, « procédures mises en œuvre (de façon consciente ou inconsciente) par un acteur (individuel ou collectif) pour atteindre une ou des finalités (définies explicitement ou se situant au
niveau de l’inconscient) ; procédures élaborées en fonction de la situation d’interaction, c’est-à-dire en fonction des différentes déterminations (sociohistoriques, culturelles, psychologiques) de cette situation » (Lipiansky, Taboada-Leonetti, Vasquez, 1990, p. 24), mettent en lumière, d’une part la capacité d’action du sujet face à la situation d’hétérogénéité culturelle dans laquelle il se trouve, et d’autre part, l’extrême plasticité de l’identité. Pour C. Camilleri (1989b), les stratégies adoptées peuvent être à double orientation :
- celles à finalité intra-subjectives, que le sujet déploie vis-à-vis de luimême pour échapper à la fracture afin d’obtenir l’unité identitaire,
- celles à finalité inter-subjective déployées vis-à-vis d’autrui pour obtenir et maintenir l’identité que le sujet revendique contre celle prescrite par cet autrui. Ces stratégies peuvent prendre différentes formes. Elles répondront aux choix identificatoires opérés par le sujet. Généralement, les auteurs distinguent trois types de stratégies : celle qui privilégie le recours à des modèles identificatoires puisés dans les deux cultures dans le but de s’adapter aux deux groupes, celle qui vise l’identification aux modèles valorisés dans la culture du pays d’accueil et enfin, celle qui répond aux modèles de la culture
d’origine. Mais, cette typologie est trop schématique. En effet, une récente recherche (Guerraoui, 1992) a mis en évidence que les jeunes filles d’origine maghrébine, vivant dès leur naissance, dans une situation d’hétérogénéité culturelle, ne présentent pas des choix identificatoires exclusifs vis-à-vis de l’une ou l’autre culture. Ceux-ci sont beaucoup plus variés et surtout beaucoup plus complexes. En effet, s’il y a identification plus ou moins importante aux modèles proposés par la culture française, ceux de la culture parentale continuent d’être opérants.

IDENTIFICATIONS PLURIELLES ET PROCESSUS

Intériorisés, valeurs et modèles des deux cultures vont s’influencer, s’interpénétrer constamment et agir sur les façons d’être, de faire et penser de l’adolescente. En effet, on a vu dans notre recherche que si elles rejettentle rôle, le statut, la place de la femme dans leur culture d’origine, si elles veulent exister et se réaliser autrement, en privilégiant en particulier leur vie
de femme et leur vie professionnelle, elles continuent pourtant à reproduire, malgré elles, dans leurs vies quotidienne et relationnelle des schémas qu’elles critiquent (effacement, hétéronomie, pudeur). Par ailleurs, le rejet du modèle féminin d’origine ne s’accompagne pas forcément du refus de toutes les valeurs de la culture d’origine (solidarité familiale, mariage endogame, religion, sauvegarde de la virginité).La structuration identitaire de ces adolescentes va donc procéder de la
combinaison paradoxale de différents modèles puisés dans les deux systèmes culturels. Cette configuration particulière va immanquablement entraîner des ambivalences chez ces jeunes filles. Aussi, pour faire lien entre cette pluralité de références, dépasser les conflits inhérents à une telle situation d’interaction génératrice de contradictions, maintenir la cohérence et l’unité du Moi et éviter ainsi son morcellement, elles vont mobiliser un certain nombre de mécanismes de défense et d’adaptation comme :
- la réinterprétation : attribution d’un sens personnel à telles ou telles
valeurs (particulièrement religieuses),
- l’actualisation : ajustement des rôles et modèles féminins au monde moderne,
- la dissociation : refus d’un principe sur le plan abstrait mais application au niveau des rôles et conduites. Ainsi, les adolescentes qui refusent la tutelle parentale mais n’assument pas leur autonomie et restent très dépendantes vis-à-vis de la famille,
- le compromis : recherche d’un moyen terme entre les attentes familiales et les aspirations personnelles. Ainsi, ces jeunes filles qui accepteraient le mariage religieux pour pouvoir vivre en concubinage.
- la revalorisation : réattribution d’une valeur positive à des éléments
connotés négativement par la population française,
- la subjectivation : passage des valeurs d’origine à travers le filtre de
sa propre lecture (par exemple, la lecture personnelle des valeurs religieuses). La subjectivation, la réinterpréation et l’actualisation peuvent aboutir à
une réappropriation, c’est-à-dire faire siennes des valeurs de la culture
d’origine en y imprimant sa marque,
- la rationalisation : justification argumentée du respect ou de la
transgression de certains actes,
- la négativisation : attribution d’une valeur négative à des normes et
pratiques de la culture d’origine,
- la sublimation : déplacement d’investissement du domaine de la
sexualité au domaine sentimental chez ces adolescentes,
- la tentative de refoulement : essayer d’oublier en repoussant hors de
la conscience des actes non admis par la culture et donc sources de conflit,
- la dénégation : déni de certains actes trop culpabilisants, trop en dé-
saccord avec le surmoi parental intériorisé,
- la projection : attribution à autrui de la responsabilité de ses actes.

Dans notre recherche, ces trois derniers processus sont associés. On les a rencontrés chez une même jeune fille qui a subi un avortement. Tous ces mécanismes vont permettre l’articulation des valeurs hétérogènes qui composent l’univers de ces jeunes filles. Ils n’ont pas les mêmes objectifs et ne présentent pas le même degré de complexité et d’élaboration.
Les processus comme la tentative de refoulement, la projection, la dénégation, visent une protection face aux conflits internes. D’autres, comme le compromis, la subjectivation, visent l’adaptation et tentent de résoudre les
contradictions du sujet avec les milieux dans lesquels il évolue. D’autres encore, comme la négativisation, apparaissent réactionnels et sont surtout le fait d’adolescentes en opposition. D’autres enfin, comme la réappropriation,
la réinterprétation ou l’actualisation témoignent de l’élaboration d’une position personnelle. Un même sujet peut utiliser, selon les situations, divers mécanismes mais faire appel de manière prépondérante à l’un de ces types de processus. Ils faciliteront ou pas l’intégration du sujet dans les deux cultures, même si celle-ci s’effectue préférentiellement dans l’une ou l’autre culture.

CONCLUSION

Les adolescentes d’origine maghrébine, devenues femmes, ne correspondront pas tout à fait au modèle maternel ; elles ne seront pas non plus une copie conforme de la femme française. Enculturées et socialisées simultanément dans deux cultures, elles ont intériorisé une pluralité de valeurs et de modèles identificatoires. Leur personnalité et leur identité, que C. Clanet(1990) qualifie de « plurielles », vont alors se structurer sur la base de cette double appartenance. La difficulté de ces jeunes filles sera alors d’assumer ce double ancrage, de considérer ce double enracinement comme un enrichissement et non comme un handicap. La famille, mais surtout la société française, à travers le regard qu’elle porte sur la culture maghrébine, ont leur rôle à jouer pour permettre à ces adolescentes d’accéder à cet équilibre que demande une véritable intégration.

Zohra GUERRAOUI
Université Toulouse Le-Mirail




Modifié 1 fois. Dernière modification le 16/06/12 11:01 par Lee Mouna.
d
15 juin 2012 11:30
Salam,

Olala.... Quelle tartine!!!

Franchement, j'ai lu les titres et la conclusionconfused smiley

et à première vue, rien de nouveau Heu Une étude sociologique parmi d'autre qui n'apporte rien d'innovant.

Pas besoin ce cette étude, pour savoir que notre génération doit composer avec les différentes composantes identitaires et culturellesmoody smiley Que l'image de la femme traditionnelle maghrébine laisse de + en + la place à l'image dynamique, décidée, fière de la femme arabo-musulmane fière de ses origines et de sa culture mais aussi de la culture de son pays d'accueil et cela sans complexes, aucun... Welcome

Cela étant dit, quand j'aurai 5 mn de libre, je lirai ton post en entier pour être sûre que je n'ai pas interprété à mauvais escient les titres et la conclusion....Angel
c
15 juin 2012 11:35
Salam,

"rien d'innovant" oui peut être et en m^me temps j'attends ici des commentaires innovantsgrinning smiley
a
15 juin 2012 12:09
Salam,

Sa tue les yeux ce post. J'ai lu 3 fois la même ligne . Si jamais quelqu'un aurait la gentillesse de faire un petit résumé (j'ai bien dit résumé en 5 lignes maxi) sa serait sympa.
M
15 juin 2012 12:11
L’ADOLESCENTE D’ORIGINE MAGHRÉBINE EN FRANCE serait un bon titre à ton poste puisque c'est le cas pour l'article.

Je ne connais pas Zohra Guerraoui. J'ai noté l'université de Toulouse. Une partie de sa thèse? C'est qui? Plus d'info stp.

J'essayerai de lire le contenu la semaine prochaine inchaa Allah. L'étude est probablement intéressante.



Modifié 1 fois. Dernière modification le 15/06/12 12:12 par Matrix Gamma.
Modos typiquement maghrébins...Ils ne peuvent faire un job de pro...La démocratie leur est inconnue mais la dictature, ils y sont forts. Pffff. Bannie
c
15 juin 2012 17:50
Alors ça vous pique les yeux ??? allez un petit effort, une petite critique grinning smiley

c'est une écrivaine d'origine maghrébine prof de fac en autre...son nom me paraissait aussi intéressant que le titre du livre. Elle écrits beaucoup sur des sujet liés à l'immigration...
O
15 juin 2012 19:21
limouna fallait faire un résumé on a la flemme de tout lire, mais en lisant la conclusion je ne vois pas rien d'exceptionnel la conclusion est trop généraliste et vague que tout le monde approuve.
c
16 juin 2012 14:14
Le résumé se trouve dans les 5 premières lignesIll
16 juin 2012 20:58
Comment dire ça: Après avoir lu on se demande " oui et après?"
C'est assez globale et on voit pas l'intérêt là dedans.
 
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