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Vers une désagrégation des sociétés humaines
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14 octobre 2008 10:04
Interview André Lebeau, ancien président du CNES, ex-directeur de Météo France - «Vers une désagrégation des sociétés humaines»

La thèse développée par André Lebeau, ancien président du Centre national d'études spatiales (CNES) et ex-directeur général de Météo France, dans son dernier ouvrage (« L'enfermement planétaire », Gallimard) est d'une brutalité inouïe : trop nombreuse, gaspillant les ressources terrestres et polluant tous azimuts, l'humanité fonce irrémédiablement vers la catastrophe finale. Quand ? Dans un siècle ou deux, c'est-à-dire demain ! André Lebeau n'espère rien de la technologie, il fustige le néolibéralisme fondé sur la croissance, il dénonce la mondialisation. Il accuse le développement durable d'hypocrisie, car il ne sert qu'à amplifier les inégalités planétaires. Décidément, l'homme tape fort et souvent juste.

Est-il encore temps d'enrayer le mécanisme fatal ? André Lebeau en doute : l'évolution a génétiquement programmé l'homme pour conquérir des territoires et dominer son prochain, absolument pas pour affronter une Terre peau de chagrin. Si des solutions existent-enrayer la démographie galopante, consommer moins et mieux partager-, comment en convaincre l'humanité ? Sur quels leviers culturels agir pour qu'elle se mobilise enfin ? Lebeau n'a pas de réponse, mais au moins a-t-il le mérite de poser la question.


Qu'appelez-vous l'enfermement planétaire ?
C'est une notion simple. Elle consiste à constater que l'humanité n'a aucun moyen de s'échapper massivement de la planète sur laquelle elle s'est développée et n'a nulle part où aller ailleurs que sur cette Terre. Les ressources en énergie, en matières premières, en production alimentaire, en eau potable et en espace vital sont soumises à des tensions qui ne peuvent s'accroître indéfiniment sans que se produisent soit des ruptures, soit de profondes transformations des comportements collectifs.

Le Club de Rome avait déjà prédit l'épuisement des ressources en son temps. Or il s'était trompé.
Il s'est trompé sur les délais, mais que font un ou deux siècles d'erreur à l'échelle de l'histoire, qui compte en siècles, alors que la myopie prospective utilise la décennie pour sonder l'avenir ?

Vous, l'ancien président du CNES, ne faites-vous pas confiance au progrès technologique pour résoudre ce problème ?
La technique est intrinsèquement inapte à rompre cet enfermement, quels que soient les fantasmes que suscite la « conquête de l'espace ». Concevoir l'avenir comme une extrapolation directe du passé, c'est vraiment s'en tenir au degré zéro de la prévision. Ce que je dis, c'est qu'un élément nouveau est en train d'émerger et de s'imposer : le caractère fini de notre habitat terrestre avec l'interaction globale qui s'établit entre cet habitat et l'humanité.

La taille de la population terrestre a-t-elle dépassé les capacités de notre planète ?
Il est probable que la Terre pourra nourrir 9 milliards d'habitants (population prévue en 2050), mais il est certain qu'on ne peut le faire en assurant à chacun une part de ressources équivalente à ce dont dispose aujourd'hui un Européen et encore moins un Américain. Le niveau de vie de certains est dès maintenant inséparable de l'inégalité, c'est-à-dire de la misère d'autres.

Vous êtes très sévère à l'égard du néolibéralisme économique, fondé sur la croissance.
J'ai écrit qu'on ne connaît pas, aujourd'hui, un autre système économique qui fonctionne que l'économie de marché. La menace globale qui pèse sur nous ne suscite pas de vocations révolutionnaires et, personnellement, je m'en réjouis. Mais ce qui m'irrite chez ceux que vous appelez les néolibéraux, c'est qu'ils ont érigé le marché en idéologie qui semble une réplique en négatif de l'idéologie communiste. L'idéologie, chacun le sait, dispense de la réflexion ou même l'interdit. Tout amendement, comme ceux que propose le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, fleure l'hérésie et suscite l'anathème des gardiens du temple. Et cependant, dans ce à quoi peut pourvoir le marché, il existe une lacune fondamentale : sa cécité au patrimoine.
Curieusement, on juge la prospérité d'un pays à ce qu'il produit-le PIB-et celle d'un individu à ce qu'il possède-son patrimoine. Le long terme et le patrimoine naturel n'entrent pas en ligne de compte.

Pourquoi dites-vous que la mondialisation de l'économie fragilise davantage le monde qu'elle ne le consolide ?
La complexité de la mondialisation défie l'entendement et le contrôle. Cela est générateur de tensions et de conflits. L'effondrement des échanges provoquerait une catastrophe de dimension planétaire. L'effondrement ou la mise au ban de tel ou tel Etat détenteur de telle ou telle ressource introduit un dysfonctionnement dans le système des échanges. Ce dernier est ainsi tout à la fois puissant et d'une grande fragilité. La crise financière actuelle en est un exemple parmi d'autres.
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14 octobre 2008 10:06
suite:

Le développement durable n'est-il pas capable de remettre l'humanité sur de bons rails ?
Ce n'est qu'un mot dont il est douteux qu'il ait une signification autre que fallacieuse et dérisoire. Le développement et la croissance ne sont concevables pour les pays développés que s'ils se fondent sur un creusement des inégalités et des déséquilibres que contiennent tant bien que mal les frontières.

Le plus inquiétant dans votre analyse, c'est que l'homme ne semble absolument pas préparé à l'enfermement planétaire.
Effectivement, les déterminations génétiques de l'espèce ont été façonnées par son évolution dans un environnement illimité et ne sont nullement adaptées au caractère fini de l'espace planétaire. Rien n'est plus contraire à la maîtrise de la relation de l'espèce humaine avec cette planète que cette tendance à la division et à l'affrontement collectif, fondée sur la fidélité au groupe.

Du coup, comment mobiliser l'humanité ?
La Fontaine l'avait déjà relevé : « Ne faut-il que délibérer,/La cour en conseillers foisonne ; /Est-il besoin d'exécuter, /L'on ne rencontre plus personne. » Mon intention, en écrivant ce livre, n'était ni de conseiller ni d'agir, mais seulement de tenter de dresser un tableau, ou un bilan, de la situation, comme pourrait le faire un observateur extérieur qui se pose cette question : que va-t-il se passer ? Cela me permet de faire abstraction de tout choix éthique. L'action ne peut à l'évidence se concevoir sans un choix de valeurs et le rôle de conseilleur devrait, en principe, être astreint à la même contrainte.

Mais n'est-il pas déjà trop tard pour réagir ? Faut-il craindre une désagrégation de la société humaine ?
J'ai cherché à bâtir une vision dans laquelle s'affrontent, dans un conflit douteux, les déterminations génétiques profondes de l'espèce et sa capacité à réagir sur ses comportements instinctifs par un acquis culturel. Ce qui est, hélas, possible, c'est une régression de la société humaine. On peut envisager une destruction des liens qui organisent, imparfaitement il est vrai, une communauté, la désagrégation des sociétés et le retour à des tribus qui auront recueilli pour s'affronter des lambeaux du système technique et qui, peut-être, continueront à fabriquer artisanalement des kalachnikovs pour régler leurs différends.
Cependant, je ne formule pas de pronostic sur l'issue. Mon livre n'est ni optimiste ni pessimiste, il se fonde sur l'idée que le plus grand de tous les dangers est la cécité de l'espèce. Pour le reste, je ne suis pas prophète.
ok
15 octobre 2008 09:46
"Ce qui est, hélas, possible, c'est une régression de la société humaine. On peut envisager une destruction des liens qui organisent, imparfaitement il est vrai, une communauté, la désagrégation des sociétés et le retour à des tribus qui auront recueilli pour s'affronter des lambeaux du système technique et qui, peut-être, continueront à fabriquer artisanalement des kalachnikovs pour régler leurs différends. "

Un peu à la fallout?

Je pense que l'ouvrage dont j'ai parlé, l'illusion-néo libérale de Passet contient déjà ces éléments, mise à part ces dernières remarque que je viens de citer.
 
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