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Le « véritable visage » de M. Ehoud Barak
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28 janvier 2009 18:12
Aujourd'hui il a prouvé que c'est un criminel de guerre. Le soldat le plus décoré de l'armée israélienne a déjà tout fait pour saboter le processus de paix.

Un article très instructif de Alain Gresh du monde diplomatique écrit en 2002 mais qui nous montre à qui les palestiniens ont affaire pour faire la paix.

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Une « victoire de Sharon » : c’est ainsi qu’un éditorialiste israélien résumait le discours du 24 juin du président George W. Bush. Alors que le gouvernement israélien détruit ce qui reste des accords d’Oslo, les Etats-Unis exigent le changement de la direction palestinienne comme préalable à toute avancée diplomatique. C’est une guerre sans fin qui se dessine. Pourtant, en juillet 2000, Israéliens et Palestiniens semblaient proches d’un accord. Retour sur le sommet de Camp David et sur les mensonges qui l’ont suivi.
Par Alain Gresh

Quand les historiens se pencheront, dans quelques décennies, sur le conflit israélo-palestinien des années 1990, ils tomberont sûrement d’accord sur un point : le sommet de Camp David, ce conclave de deux semaines (11-25 juillet 2000) qui a réuni le président américain William Clinton, le premier ministre israélien Ehoud Barak et le président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat, a marqué la première étape de la longue descente aux enfers que connaît le Proche-Orient. Décryptant les comptes rendus de cette rencontre diffusés par les médias internationaux, les mêmes chroniqueurs mettront sûrement en garde leurs étudiants : l’histoire, si elle n’était écrite qu’à partir du dépouillement de la presse, aurait bien peu à voir avec la vérité.

Car, pendant des mois, s’est propagée et a prévalu une version du sommet de Camp David, résumée en une phrase : M. Yasser Arafat a rejeté les « propositions généreuses » de M. Barak, il a refusé la création d’un Etat palestinien sur 95 %, voire sur 97 % de la Cisjordanie - et sur l’ensemble de la bande de Gaza - avec comme capitale Jérusalem-Est. Son obstination à réclamer le droit au retour de millions de réfugiés palestiniens en Israël même aurait fait avorter la naissance d’une paix historique entre Israéliens et Palestiniens.

Un des grands mérites du dernier livre de Charles Enderlin, Le Rêve brisé (1), est d’apporter un démenti cinglant à cette thèse. Correspondant de la chaîne France 2 à Jérusalem depuis plus de vingt ans, l’auteur a filmé, au fur et à mesure du déroulement des tractations de paix, les principaux protagonistes - en s’engageant à ne pas utiliser leurs témoignages avant la fin 2001. Il a eu accès à nombre de leurs notes personnelles, qu’il a été capable de mettre en perspective, grâce à une connaissance exceptionnelle de l’histoire et du terrain. Le résultat, corroboré par d’autres témoignages (2), jette un éclairage original sur l’échec du processus d’Oslo.

« Nous n’avons plus de marge de manœuvre. La société palestinienne a perdu tout espoir dans la paix. Au cours des années précédentes, elle a été littéralement étouffée et humiliée. » C’est en ces termes que M. Saeb Erekat, un des principaux négociateurs palestiniens, tente d’alerter ses nouveaux interlocuteurs israéliens. Nous sommes en 1999 : après trois années de pouvoir, M. Benjamin Nétanyahou vient de concéder, au mois de mai, la victoire à M. Ehoud Barak et au Parti travailliste.

Certes, les Palestiniens ont pu élire une Autorité, et l’armée israélienne a évacué les grandes villes de Cisjordanie - à l’exception notable de Hébron. Mais la vie quotidienne ne cesse de se dégrader : le déplacement à l’intérieur des territoires est chaque jour plus difficile - avec la multiplication de « check points » et de contrôles humiliants -, encore plus qu’avant la signature des accords d’Oslo de 1993. Le niveau de vie est en chute libre, tandis que la colonisation se poursuit inexorablement : chaque jour, de nouvelles terres arabes sont confisquées. Des centaines de prisonniers palestiniens, incarcérés avant 1993, restent sous les verrous. Le mois de mai 1999 devait marquer la fin de la période transitoire d’autonomie et voir la création d’un Etat palestinien, mais le calendrier n’a pas été respecté et aucun des grands dossiers en suspens - frontières, Jérusalem, colonies, réfugiés, sécurité, eau - n’a été ouvert.

Dans ce contexte, la victoire de M. Ehoud Barak est accueillie avec satisfaction par la direction palestinienne, bien que le personnage, nouveau venu à la politique, ne manque pas de susciter quelques appréhensions. Le « soldat le plus décoré de l’histoire d’Israël » s’est opposé, en tant que chef d’état-major, aux accords d’Oslo (septembre 1993) ; devenu ministre de l’intérieur, il a voté contre les accords d’Oslo II (septembre 1995), qui prévoyaient le retrait de l’armée israélienne des grandes villes palestiniennes. Arrivé au pouvoir, il va réussir en quelques mois, selon la formule de Charles Enderlin, à « bâtir la méfiance » avec les Palestiniens.

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28 janvier 2009 18:12
Sous prétexte d’engager immédiatement des négociations sur le statut final de la Cisjordanie et de Gaza, M. Barak rechigne à mettre en œuvre les engagements de son prédécesseur et à céder de nouveaux territoires à l’Autorité ; il ne s’y résoudra que de manière tardive et très partielle. Il reniera aussi ses propres promesses d’évacuer certains villages des faubourgs de Jérusalem - Abou Dis, Azaryeh et Sawaharah -, malgré un vote favorable du gouvernement et du Parlement israéliens.

M. Barak manifeste également un attachement à la colonisation qui n’a rien de tactique. Un de ses premiers gestes, une fois élu, sera de rendre visite aux colons extrémistes d’Ofra et de Beit-El, qu’il appelle « mes très chers frères (3) ». Le 31 mars 2000, il adresse un message aux colons de Hébron - des fanatiques installés au cœur de la ville arabe dont ils terrorisent la population. Il y affirme « le droit des juifs à vivre en sûreté, protégés de toute atteinte dans la ville des patriarches ». Le rythme de construction de logements dans les colonies sera plus rapide sous son gouvernement que sous celui de la droite.
Criminel de paix

Plus grave : M. Barak délaisse pendant des mois le dossier palestinien au profit de la négociation avec la Syrie. Il tentera plus tard de se justifier : « J’ai toujours été un partisan de “la Syrie d’abord” (...). Signer la paix avec la Syrie limiterait sérieusement les capacités des Palestiniens à étendre le conflit, alors que résoudre le problème palestinien ne diminuera pas la capacité de la Syrie à menacer l’existence d’Israël (4). » Il n’écoute pas M. Oded Eran, l’homme qu’il a désigné pour conduire les négociations avec les Palestiniens : « Je lui ai dit que c’était le problème palestinien qui était au centre du conflit israélo-arabe. (...) S’il n’était pas réglé, on ne parviendrait pas à trouver de solution au conflit et à signer un accord avec la Syrie. »

Mais, une fois de plus, le premier ministre n’écoute personne. Une fois de plus, il va échouer - et le récit de Charles Enderlin apporte des révélations sur sa responsabilité personnelle dans ce fiasco. M. Dennis Ross, le coordinateur spécial américain pour le Proche-Orient, peu suspect de sympathies pro-arabes, expliquera : « Les Syriens avançaient sur tous les sujets, et Barak ne faisait aucun progrès. »

Quand les conversations avec les Palestiniens reprennent, au printemps 2000, le chef du gouvernement a perdu près d’un an, sa majorité gouvernementale s’est délitée, la méfiance de l’Autorité et du peuple palestiniens s’est accrue. Il décide alors de forcer le destin, d’imposer la tenue d’un sommet pour régler d’un coup tous les dossiers en suspens. Offre sincère ? Coup de poker ? Volonté de piéger l’Autorité et de la rendre responsable d’un échec ? La direction palestinienne est plus que réticente ; elle explique qu’il faut préparer le terrain pour qu’une rencontre entre M. Barak et M. Arafat soit vraiment fructueuse, qu’un sommet convoqué à la va-vite risque de déboucher sur un désastre. Rien n’y fera.
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M. Barak a convaincu le président Clinton, dont le mandat arrive bientôt à échéance, de finir sa carrière sur un coup d’éclat. Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois le 15 juillet 1999 - selon Charles Enderlin, ce fut un coup de foudre. Le président américain se découvre « une grande admiration pour ce général ». Il dira même : « Je me sens comme un enfant qui vient de recevoir un nouveau jouet. » Cette connivence pèsera sur le sommet de Camp David. Malgré ses efforts, le président américain se sentira toujours plus proche du premier ministre israélien que de M. Arafat. C’est presque spontanément qu’il comprend le point de vue israélien, l’épouse, s’en fait le porte-parole.

Un long chapitre du livre de Charles Enderlin est donc consacré à la réunion de Camp David. On y vit avec les participants, on peut suivre les débats internes de chacune des trois délégations. Mais est-ce vraiment un sommet ? M. Barak refuse de négocier directement avec M. Arafat, il ne le verra jamais en tête à tête. Deux ans plus tard, il tentera de justifier cette inconcevable posture : « Nixon a-t-il rencontré Ho Chi Minh ou Giap [avant de signer l’accord de paix sur le Vietnam] ? Ou de Gaulle a-t-il jamais parlé à Ben Bella (5) ? » Mais ni Nixon ni de Gaulle n’avaient exigé une rencontre au sommet avec leurs adversaires. Le mépris ainsi affiché pour M. Arafat accroîtra la suspicion des Palestiniens.
H
28 janvier 2009 18:13
Au-delà des péripéties de quinze jours de huis clos, très instructifs, le compte rendu de Charles Enderlin confirme qu’« à aucun moment Arafat ne s’est vu proposer l’Etat palestinien sur plus de 91 % de la Cisjordanie et cela sans que jamais lui soit reconnue la souveraineté complète sur les quartiers arabes de Jérusalem et le Haram al-Charif/mont du Temple ». « Jamais, poursuit le journaliste, comme l’affirmeront certaines organisations juives, les négociateurs palestiniens n’ont exigé le retour en Israël de trois millions de réfugiés. Les chiffres discutés au cours des pourparlers ont varié de quelques centaines à quelques milliers de Palestiniens autorisés à revenir avec l’autorisation d’Israël. »

Le président de l’Autorité palestinienne a déjà expliqué au président américain, le 15 juin 2000 à Washington : « Il existe certes la résolution 194 [du 11 décembre 1948, sur le droit des réfugiés de retourner dans leurs foyers], mais nous devons trouver le point d’équilibre entre les inquiétudes démographiques des Israéliens et nos propres préoccupations. » Ce problème des réfugiés, confirment Robert Malley et Hussein Agha, « fut à peine discuté par les deux parties (6) » au sommet. A la conférence de presse qui suit le sommet, M. Barak attribuera l’échec aux divergences sur Jérusalem, avant de changer sa version des faits et de mettre l’accent sur le problème des réfugiés.

Camp David se termina donc sans accord. Ce n’était pas la fin du monde. Des pas en avant avaient été accomplis, des tabous avaient été brisés - sur Jérusalem, par les Israéliens, qui envisageaient pour la première fois une forme de partage ; par les Palestiniens, qui admettaient que certains territoires de la Cisjordanie ou de Jérusalem-Est, avec une forte densité de colons, pourraient être annexés par Israël.

Mais, au lieu de bâtir sur ces acquis, le premier ministre israélien rejette toute la responsabilité de l’échec sur le président palestinien et, surtout, commence à reprendre le vieux slogan de la droite : il n’y a pas d’interlocuteur du côté palestinien. Relayée par les journalistes et les médias, cette thèse va acquérir force de loi. Et M. Barak va se consacrer alors à une seule tâche, révéler le « véritable visage » de M. Arafat. Il ne négocie plus pour aboutir mais pour montrer que l’on ne peut pas aboutir.

Bien sûr, les négociations se sont poursuivies, notamment lors de la rencontre de Taba (Egypte), en janvier 2001. Elles ont permis de rapprocher encore les positions sur la plupart des questions en débat, aussi bien territoriales que sur le partage de souveraineté à Jérusalem-Est, selon le principe que les quartiers arabes seront intégrés dans l’Etat palestinien, les quartiers juifs seront annexés par Israël. Même sur le dossier des réfugiés, les délégués israéliens avaient fait des propositions novatrices (7). Mais représentaient-elles vraiment les positions de M. Barak ? Celui-ci ne les a jamais entérinées.

D’ailleurs, M. Menahem Klein, conseiller de l’ancien ministre israélien des affaires étrangères Shlomo Ben Ami, a admis récemment que M. Barak lui avait affirmé avoir envoyé une délégation à Taba « uniquement pour révéler le véritable visage d’Arafat et non pour conclure un accord (8) ». De fait, le chef du gouvernement israélien réussira à convaincre son opinion publique que, désormais, c’est « eux » ou « nous ». Il portera ainsi un coup mortel au camp de la paix - M. Uri Avnery, vieux militant pacifiste israélien, aura raison de qualifier M. Barak de « criminel de paix ».
H
28 janvier 2009 18:14
Il ne s’agit pas ici - et Charles Enderlin s’en garde bien - d’exonérer les dirigeants palestiniens de toute responsabilité. M. Arafat est souvent incapable de prendre des décisions, de trancher dans le vif. Il sous-estime totalement les risques d’une victoire de la droite aux élections de février 2001 et accorde un crédit injustifié à la nouvelle administration américaine. Surtout, il se révèle incapable de comprendre les mouvements profonds de l’opinion israélienne et de formuler un programme clair, notamment après le déclenchement de la seconde Intifada.

Charles Enderlin dément totalement l’idée selon laquelle la direction palestinienne aurait planifié le soulèvement, une appréciation que partage son confrère Georges Malbrunot, dans son récit très bien documenté sur le soulèvement des Palestiniens, Des pierres aux fusils (9). Ce dernier cite M. Saeb Erekat, qui, s’adressant à l’ensemble des responsables des services de sécurité, le 31 juillet 2000 - un mois environ avant le déclenchement de l’Intifada -, à Jéricho, déclare : « Camp David a échoué, mais il faut préserver les acquis. Les négociations continuent et les chances d’aboutir sont réelles. (...) Au cours des semaines à venir, vous devez prévenir les frictions qui pourraient conduire à une confrontation violente. » Il est déjà trop tard. L’Autorité doit faire face à la révolte du peuple palestinien, qui exige la fin immédiate d’une occupation qui dure depuis trente-cinq ans. Il faudra plusieurs semaines encore - il est bon de le rappeler - pour que l’Intifada se militarise, en réponse à la répression de l’armée dont Georges Malbrunot rappelle l’ampleur : « 204 Palestiniens sont tués par des soldats israéliens entre le 28 septembre et le 2 décembre, dont 73 mineurs de moins de 17 ans, et 24 membres des services de sécurité. “Nous ne pouvions pas perdre dix enfants par jour, le coût humain était trop élevé. On devait passer à une autre stratégie”, soulignent à l’unisson les responsables palestiniens. »

Oslo est désormais mort. On débattra encore longtemps des causes de ce décès, des responsabilités personnelles des uns et des autres. Mais la paix a été manquée avant tout parce que la puissance occupante, Israël - le gouvernement comme une partie importante de l’opinion publique -, a été incapable de reconnaître l’Autre, le Palestinien, comme un égal. Les droits des Palestiniens à la dignité, à la liberté, à la sécurité, à l’indépendance, ont toujours été subordonnés aux droits des Israéliens. Pour avancer, il faudra bien un jour rompre avec cette vision coloniale, dont M. Barak se fait désormais le porte-parole.

Dans un récent entretien, où il soutient la stratégie de terreur de M. Sharon, notamment l’opération « Rempart » du mois d’avril 2002 - il l’aurait voulue « plus énergique et plus rapide, et contre toutes les grandes villes à la fois » -, M. Barak dévoile son « véritable visage ». Il évoque les Arabes : « Ils sont le produit d’une culture dans laquelle dire un mensonge ne pose aucun problème [creates no dissonance]. Ils ne souffrent pas, comme dans la culture judéo-chrétienne, de dire un mensonge. La vérité est pour eux une catégorie hors sujet [irrelevant]. »

Cette vision essentialiste, qui met au banc des accusés une culture tout entière, rappelle l’obsession raciste que colportaient les autorités françaises en Algérie et dont Camille Brunel, auteur colonialiste du début du XXe siècle, se faisait le chantre : « Un officier français avait fait grâce à un insurgé arabe qui, pourtant, avait mérité cent fois la mort. L’autre lui tint ce langage : je suis ton débiteur ; pour te remercier, je te donne ce conseil, que tu ne devras jamais oublier, car il te sera toujours utile parmi les miens : “Ne te fie jamais à un Arabe, pas même à moi” (10). »

Alain Gresh.
Le monde diplomatique
Juillet 2002
 
Emission spécial MRE
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