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Valeurs Actuelles: "Fez sauve sa Medina"
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21 septembre 2011 14:28
[www.valeursactuelles.com]

Fès sauve sa médina

Valérie Collet le jeudi, 15/09/2011
dans

* Actualités


Les Journées européennes du patrimoine explorent le thème du voyage. Reportage au Maroc, où l’Athènes de l’Afrique montre l’exemple par ses nombreuses restaurations.

Les voyages permettent de relativiser notre conception très ethnocentrique du patrimoine. Quand la moindre intervention sur nos vieilles pierres provoque les polémiques les plus vives, la Pologne ou l’Allemagne, très détruites par la guerre, n’hésitent pas à reconstruire entièrement leurs monuments. Tout comme le Japon, qui rebâtit depuis toujours ses vieux temples en bois neuf. Quant aux pays nordiques, ils transplantent leurs vieilles églises dans de vastes musées en plein air. Le patrimoine pourrait donc aussi être remplaçable et nomade…

Les médinas sont un cas à part. Comme une bonne partie de l’architecture du Maghreb et de l’Afrique, ces constructions en terre ont une durée de vie limitée. Il faut les entretenir et les reconstruire sans cesse, architectures sans âge, organismes vivants en métamorphose permanente. Cela explique l’absence, jusqu’à l’arrivée du tourisme culturel, d’une réelle conscience patrimoniale au sens où nous l’entendons en France. Fès se distingue du lot. Fière de ses richesses et de leur intérêt pour le développement économique, la reine de l’histoire est plus que jamais attachée à la survie de sa vieille ville, contrairement à l’imprudente et affairiste Casablanca qui laisse détruire scandaleusement, au nom de la modernité, une part de son patrimoine années 1930.

La médina de Fès est la plus ancienne d’Afrique du Nord. Avec ses 340 hec tares, ses 9 400 ruelles (90 kilomètres), ses 14 000 édifices (dont 11 000 historiques), ses 185 mosquées et ses 500 demeures et palais privés, elle est aussi la plus vaste et une des plus grandes villes piétonnes du monde.

Vue de loin, la ville écrasée par le soleil semble morte, silencieuse et immobile. Les maisons s’y imbriquent à l’infini en un enchevêtrement de cubes sable. Pénétrez-la, elle vous entraîne dans l’agitation de son labyrinthe infini dont vous ressortirez difficilement, vous frottant et vous cognant contre les hautes parois de ses étroites ruelles. Se promener dans la médina de Fès est une expérience physique. Vous la frôlez, elle vous touche, s’usant un peu plus à chaque instant. D’où ces revêtements en bois particuliers, notamment à la base des portails, les tabouts.

La ville sainte de Médine, où le Prophète se rendit depuis La Mecque, est une des premières villes musulmanes. Elle donna son nom à toutes les autres. La fondation de Fès, nichée au creux d’un vallon, au pied des montagnes du Moyen Atlas, remonte à 808, sous le règne d’Idriss II, le fils d’Idriss Ier, créateur de la première dynastie royale du Maroc. Souvent surnommée “l’Athènes de l’Afrique”, Fès fut un grand centre culturel. Sa mosquée universitaire Al-Qaraouiyine – créée en 859 par une femme, Fatima al-Fihriya – est plus ancienne que les universités européennes d’Oxford, de Bologne ou de la Sorbonne. Peuplée par une mosaïque d’ethnies, la ville fut le foyer prestigieux de la civilisation musulmane, le berceau de la culture berbère et des Arabes d’Andalousie.

Une réhabilitation due, en grande partie, à l’Ader

Classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 1981, la médina de Fès fascine par sa richesse historique, ses enfilades de superbes palais à l’architecture hispano-mauresque et sa physionomie médiévale inchangée depuis douze siècles.

Contrairement aux autres, pour la plupart en pisé (terre crue), elle est majoritairement édifiée en briques de terre cuite avec des joints en terre et en chaux, ce dernier matériau assurant une bonne résistance (le béton du passé). Une technique de construction idéale pour ces maisons qui, atteignant 15mè tres de haut, sont collées les unes aux autres, se soutenant pour former une structure antisismique. À l’intérieur, le cèdre et le stuc sculptés règnent en maî tres dans les parties hautes tandis que les zelliges (carreaux de céramique) recouvrent toutes les parties basses de vertigineuses compositions géométriques.

« Quand la médina va bien, tout va bien », dit-on à Fès. Mais la médina est fragile, et elle a subi au fil du temps une très forte dégradation naturelle qui a culminé dans les années 1980. Le roi Hassan II s’en alarma. Il fut le premier à donner priorité à la ville, au titre de la mémoire collective du Maroc et comme levier de développement économique, volonté qui se concrétisa en 1991 par un programme de restauration unique au Maroc. Le principal outil en est l’Ader (Agence pour la dédensification et la réhabilitation de la médina de Fès), qui réalise des études, des travaux et coordonne les différents partenaires, des ministères (Intérieur, Habitat, Culture, Finan ces…) aux administrations territoriales en passant par la Banque mondiale, l’université de Harvard ou l’Unesco. Cet organisme, qui, il y a peu, employait encore une soixantaine de personnes et qui a réuni en vingt ans 64 millions d’euros, a déjà restauré une bonne partie du système hydraulique avec ses canalisations en terre cuite et ses 70 fontaines du XIIe siècle. Il a participé à la restauration, avec l’aide de mécènes, d’une vingtaine de monuments historiques, dont la place et les portails Bab Makina ou la médersa Attarine (en 2009), et supervise la réhabilitation des murailles de la ville (24 kilomètres), celle de Dar Al-Mouak kit, financée par la reine du Danemark, ou celle du fondouk Nejjarine par la Fondation Karim-Lamrani.

Une grande part de ses efforts portent sur la sécurisation de la médina, en étayant les vieilles demeures devenues instables. Programme accéléré encore depuis l’effondrement de la mosquée Aïn el-Khayl, en 1989, qui fit 11 morts. Dans les six mois qui ont suivi , 1 200 opérations d’étayage ont été réalisées. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour… 4000 bâtisses sont encore dans un état critique, dont 1 800 dans un état grave.

Autre préoccupation de l’Ader, la “dédensification”. « Un des problèmes auxquels nous nous heurtons est la densité de l’occupation, explique Fouad Serrhini, son directeur général. Parfois, 40 personnes, soit 6 ou 7 familles, se partagent une même maison. Or, pour bien fonctionner, la médina devrait supporter 100 000 personnes. Elle est encore nettement au-dessus. Signalons aussi que 60 % de la population est locataire, donc moins apte à entretenir les bâtiments. Nous nous efforçons donc d’aider les plus pauvres, de créer des emplois dans l’entretien du patrimoine, le tourisme ou la culture tout en incitant les classes moyennes à s’installer et à accéder à la propriété. »

La restauration de la médina, on l’a compris, s’accompagne d’un plan de développement économique et social. Des circuits touristiques sur le thème de l’artisanat ont été mis en place pour encourager les métiers traditionnels, au nombre de 200 : 40 000 artisans prospèrent à Fès, des dinandiers aux célèbres tanneurs, des céramistes aux fabricants de seaux de hammam en cèdre ou aux sculpteurs de cornes de boeuf ! Il y a dix ans, une seule entreprise spécialisée dans la restauration existait à Fès. Elles sont une vingtaine aujourd’hui.

La visite chez un fabricant de zelliges est inoubliable. On peut rester des heures à observer un de ces habiles artisans tenant un carreau de terre vernissée entre ses pieds et le découpant en de petits triangles ou étoiles qui viendront composer les décors muraux. Il vous contera peut-être l’histoire de cet art dérivé de la mosaïque romaine puis byzantine, dont l’enivrante géométrie illustre la notion de rayonnement infini à partir d’un centre symbole de Dieu. Les compositions de zelliges seraient régies par toute une symbolique des nombres et des cou leurs, arabesques et entrelacs représentant, eux, les multiples plans de l’existence…

Si l’Ader est parfois critiquée pour son manque d’efficacité, étant, de plus, menacée actuellement par des problèmes financiers (son personnel était en grève au printemps dernier), elle a agi comme un moteur et a donné un élan à la réhabilitation de la médina. Elle a inspiré nombre d’initiatives privées, la plupart venant de Marocains. « On ne veut pas dénaturer la médina. On veut garder notre âme, pas comme à Marrakech. À Fès, riches et pauvres vivent ensemble, dans tous les quartiers, depuis toujours. On veut que la médina reste une ville vivante et aux mains des Marocains », témoigne Ahmed Sentissi, vice-président du conseil régional du tourisme et membre de la commission de classement des sites. On lui doit la restauration du palais Mnebhi (aujourd’hui un restaurant), qui abrita le maréchal Lyautey et fut le lieu de signature du traité de protectorat entre la France et le Maroc. La Maison bleue, maison d’hôte aménagée dans la demeure d’un ancien astrologue, et le Riad Fès témoignent de cette même démarche. De même, le Dar Bensouda (quartier Quettanine), demeure XVIIe d’un ancien savant, professeur à l’université, transformée en maison d’hôte raffinée par le Marrakchi Abdellatif Ait ben Ab dallah.

Des familles modestes participent aussi à la réhabilitation de la médina, restaurant leur propre de meure pour offrir un logement chez l’habitant. C’est le cas de la famille Hlimi, qui trouve là une nouvelle source de revenus. Petite visite à 11 heures du matin. Dans la coquette cour carrelée meublée de canapés de couleur, la maîtresse de maison prépare le tajine tandis que Rajae, l’aînée des cinq enfants, explique : « Mon père est un commerçant à la retraite. Il a tout fait lui-même, avec ses économies. » Trois chambres sont ainsi louées depuis trois ans, avec les conseils et le soutien de Ziyarates Fès, association en partie financée par l’Agence de développement social, qui gère les réservations sur Internet. Une trentaine de foyers fassis bénéficient déjà de ce système. Fès se restaure, se reconstruit, s’ouvre au monde… Doucement, sûrement. Valérie Collet

Office national marocain du tourisme : 01.42.60.56.77. Y aller : Transavia.com Se loger : Sofitel Palais Jamaï, Bab Guissa, 30000 Fès. www.sofitel.com



Modifié 1 fois. Dernière modification le 21/09/11 14:31 par axis7.
 
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