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JP Tuquoi - Où en sont les relations franco-marocaines ?
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7 avril 2006 22:06
Où en sont les relations franco-marocaines ?
LEMONDE.FR | 31.03.06 | 10h53 • Mis à jour le 03.04.06 | 14h00

L'intégralité du débat avec Jean-Pierre Tuquoi, journaliste au "Monde", lundi 03 avril 2006

Rihada : Pourquoi l'Europe et la France ne veulent pas voir les changements considérables que connaît ce pays ?

Jean-Pierre Tuquoi : Changements "considérables" ? Disons que la France et l'Europe, une partie des élites en tout cas, est plus sceptique que vous sur l'ampleur des changements. Il y en a eu mais moins que vous dites. Si l'on fait le tri, le changement le plus important concernait la modification du statut de la famille.



Celinenaceridion : Pensez-vous que les relations entre la France et le Maroc peuvent trouver une nouvelle dimension grâce à la coopération décentralisée ? Le Maroc est-il prêt pour cela ?

Jean-Pierre Tuquoi : C'est effectivement un sujet important et les journaux, en général, en parlent peu, trop peu. C'est en plein développement pourtant. De la à dire que ça peut bouleverser les relations, c'est sans doute aller un peu vite en besogne. Je pense que si l'on n'en parle pas beaucoup ça tient au fait que la coopération décentralisée, par définition, est locale. Elle ne touche pas les grands moyens d'information.

Celinenaceridion : La Maroc est-il destiné fatalement à être ce pays ami de la France sans que les relations franco-marocaines voient la confiance renforcée ? Je pense à la délivrance de visas par exemple.

Jean-Pierre Tuquoi : Le problème de la délivrance de visas est général. Il ne concerne pas que le Maroc. Regardez ce qui se passe avec les Subsahariens qui, au péril de leur vie, tentent de rejoindre la "forteresse Europe". La tendance est au durcissement de l'octroi des visas. Ce n'est d'ailleurs pas vrai que de la France et de l'Europe. Il y a des pays africains qui songent à créer des visas pour certains ressortissants africains. Je pense à la Mauritanie.

Settat : Pourquoi la France n'essaie pas d'investir un peu plus au Maroc ?

Jean-Pierre Tuquoi : Elle investit beaucoup si l'on met en parallèle la taille du marché marocain. Elle investit bien davantage qu'en Algérie, par exemple. L'économie marocaine dans son ensemble, c'est celle d'une petite région française. En revanche, pour une poignée de groupes français, le Maroc est un marché important. Ils y réalisent des bénéfices sans commune mesure avec leur chiffre d'affaires. Le Maroc est un bon investissement pour elles.

Algeriano : La France appuie-t-elle toujours les revendications marocaines sur le Sahara Occidental à l'approche du débat onusien ?

Jean-Pierre Tuquoi : Oui, plus que jamais. Jacques Chirac, le meilleur avocat du Maroc sur ce dossier, n'a d'ailleurs jamais caché qu'il avait épousé la cause marocaine et que, à ses yeux, le Sahara Occidental était marocain à 100 %. Philippe Douste-Blazy l'a redit il y a peu. Mais je pense que la solution n'est pas entre les mains des Français. Ce sont les Américains qui, seuls, sont en mesure d'imposer une solution, pas les Français. Or, les Américains sont moins "pro-Marocains" que les diplomates français.


Settat : Qu'en est-il des relations entre Nicolas Sarkozy et le souverain marocain ?

Jean-Pierre Tuquoi : Elle sont de fraîche date. Sarkozy n'a pas une "longue histoire d'amour avec le Maroc" comme Chirac et tutti quanti. Mais il rattrape le temps perdu. Il multiplie les déplacements au Maroc, que ce soit à titre professionnel ou privé.


Lio : Que pensez-vous du lancement cet été de la nouvelle télévision franco-marocaine Médi1-sat ?

Jean-Pierre Tuquoi : Pas grand-chose. Si elle est effectivement lancée, souhaitons qu'elle fasse du Maroc une couverture plus indépendante que la radio...

Nabil : Une victoire de la gauche aux prochaines élections présidentielles peut-elle isoler un peu le pouvoir marocain ? Ou bien les connivences actuelles vont-elles perdurer ?

Jean-Pierre Tuquoi : Ça dépendra du futur président. Au sein de la gauche, certains entretiennent avec le "makhzen" des relations qui n'ont rien à envier à celles de certains dirigeants de droite. J'en parle dans le livre.

Mouss_ : Est-ce que vous pensez que la France joue un jeu dangereux en soutenant le régime corrompu du Maroc ? Ne risque- t-elle pas de perdre la sympathie des Marocains au bout du compte ?

Jean-Pierre Tuquoi : Je pense que la France en fait trop, et qu'à trop coller aux positions marocaines, elle dessert les intérêts du royaume. Il me paraîtrait plus intelligent de mettre à profit la relation particulière que nous avons avec le Maroc pour, au contraire, peser dans le sens d'une démocratisation accrue.


Martin : Quelles sont les chances d'une véritable démocratisation du Maroc ?

Jean-Pierre Tuquoi : En dernier ressort, ce sont les Marocains qui ont le sort de leur pays entre leurs mains. Quelle que soit l'influence qu'exerce un pays comme la France sur l'avenir immédiat du royaume, au bout du compte, ce sont les Marocains qui construisent leur histoire. La démocratisation viendra si les Marocains le décident. Plus facile à dire qu'à faire j'en conviens.


Algeriano : Le Maroc constitue-t-il toujours le marché économique prioritaire pour la France dans la région ?

Jean-Pierre Tuquoi : Oui et non. L'Algérie revient très fort. Elle a beaucoup de pétrole et de gaz et donc beaucoup d'argent. Paris essaie de concilier les deux. Continuer à être le principal partenaire du Maroc (mais attention à l'Espagne) et augmenter ses échanges avec l'Algérie (que lorgne Washington).

Algeriano : Après l'important contrat d'armement contracté par l'Algérie auprès des Russes, pensez-vous que la France serait prête à faire de même avec le Maroc dans un souci d'équilibre stratégique dans la région ?

Jean-Pierre Tuquoi : Le problème est que le Maroc n'a pas les moyens financiers de l'Algérie. Loin s'en faut. Et Paris ne va pas brader son matériel militaire. Peut-être les pays du Golfe vont-ils aider les Marocains à se mettre à la hauteur.



Rihada : C'est quand même étrange de ne voir que le changement du statut de la femme lorsqu'on parle de changement au Maroc. Pensez-vous que l'on vit au Maroc comme à l'époque de Hassan II ?

Jean-Pierre Tuquoi : Non, je ne le pense pas. Ce que je pense c'est que le Maroc évolue conformément à l'impulsion donnée par Hassan II les dernières années de son règne. Et puis, c'est vrai que la société évolue aussi indépendamment du politique, qu'elle a son propre rythme, sa propre vie. C'est le plus encourageant.


Celinenaceridion : Dans quelle mesure l'accord de libre-échange signé entre le Maroc et les Etats-Unis peut-il nuire aux relations franco-marocaines ?

Jean-Pierre Tuquoi : Bonne question. Réponse délicate. D'un côté, les Etats-Unis sont loin. Les échanges entre eux et le Maroc sont très faibles. D'un autre côté, lorsqu'on se souvient des commentaires très négatifs entendus ici en France au moment de la conclusion de l'accord... Ça ne plaisait pas beaucoup à Paris.

Lio : Elections en 2007 au Maroc : tsunami islamiste attendu, le royaume a-t-il les moyens de résister encore longtemps à la pression des"barbus" ?

Jean-Pierre Tuquoi : Je ne suis pas certain que ce soit un tsunami. Un sondage d'opinion récent, réalisé au Maroc par les républicains américains, leur attribue 47 % des suffrages. C'est énorme. Le pouvoir le sait. Lors des dernières élections ils avaient négocié avec les islamistes du PJD de sorte que les "barbus" ne présentaient de candidats que dans un nombre restreint de circonscriptions. Est-ce qu'ils vont négocier la même chose en 2007 pour le Parlement ? Ce n'est pas impossible. D'autant que les islamistes du PJD sont des gens accommodants, au moins du point de vue politique. Il faudrait parler des "islamistes du roi" à leur propos. Mais ils ne sont pas les seuls.

Zarlaw : Depuis la parution de votre dernier livre "Majesté etc... ", pensez-vous que les autorités marocaines vont vous interdire l'entrée du territoire marocain ?

Jean-Pierre Tuquoi : C'est à eux qu'il faudrait poser la question. Moi, je ne pense pas. Ça leur ferait une contre-publicité. Ils vont plutôt surveiller mes allées et venues dans le royaume. Ce ne serait pas la première fois. Et je ne suis pas le seul dans ce cas.

Martin : Dans votre ouvrage, vous mentionnez l'ex-ambassadeur Mérimée et la façon dont les autorités marocaines l'ont traité. Où en est cette affaire ?


Jean-Pierre Tuquoi : Elle suit son cours, comme on dit. Ses démêlés avec la justice ne concernent que le volet irakien, donc l'affaire dite "pétrole contre nourriture". Les Marocains ont de leur côté bien traité Mérimée (cf sa maison à Ouarzazate) lorsqu'il était à l'ONU. Mais il n'y a pas de plainte là-dessus. Cela concerne uniquement les Marocains, la justice marocaine éventuellement.

Zarlaw : Les lecteurs de votre récent ouvrage auraient souhaité avoir plus d'informations sur les "investissements" français au Maroc et la façon dont certaines sociétés telles qu'Accor, Vivendi, la Lyonnaise des eaux, Bouygues et autres... ont obtenu des concessions juteuses dans ce pays plutôt que d'être submergés par les détails plus ou moins croustillants sur la conduite et les préférences sexuelles de certains dirigeants marocains dont la turpitude n'a d'égale que celle de vos propres dirigeants, dont le plus notoire est celui qui, sous couvert de libéralisme, prône la "discrimination positive" feignant d'oublier que beaucoup de Marocains qui se pensent "citoyens français" possèdent plus de diplômes que lui.


Jean-Pierre Tuquoi : Effectivement, le chapitre concernant les investissements français au Maroc aurait pu être davantage copieux. Je crois savoir qu'un ouvrage (à venir) signé d'un autre est en préparation sur ce thème.

Aladin : Ne pensez-vous pas que votre livre risque de rendre suspecte toute personnalité française désireuse de renforcer les liens entre le Maroc et la France et donc par conséquent de participer à casser une alliance stratégique entre deux partenaires privilégiés de longue date ?

Jean-Pierre Tuquoi : Je ne le pense pas. L'alliance, heureusement, est faite d'une multitude de liens autrement plus solides, plus forts. Les Français et les Marocains se respectent de longue date. Depuis Lyautey, non ?

Martin : Avez-vous subi des pressions pour que votre livre ne sorte pas ?

Jean-Pierre Tuquoi : Non, les pressions sont venues ensuite. Elles visaient – elles visent – à faire que personne ne parle du livre et des arguments qui y sont développés. Là, il y a eu des pressions.

Arbicop : A votre avis, quel est l'avenir de la monarchie au Maroc ?

Jean-Pierre Tuquoi : Bonne question pour conclure ce "chat". Il est entre les mains du roi (pour partie) et des Marocains (pour l'essentiel). Le jeu des pays tiers, comme la France, n'est pas le plus important. Merci pour toutes vos questions. Et bonne chance au Maroc.

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