Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
Le tramway de la colonisation
M
12 février 2006 02:20
Le tramway de la colonisation
publié le mercredi 1er février 2006

Isabelle Avran, Pour la Palestine n°48





La participation de deux entreprises françaises à la construction et à l’exploitation d’un tramway israélien à Jérusalem et dans les colonies, obtenue par la diplomatie française, signe-t-elle une réorientation de la politique française au Proche-Orient ?
L’information, en tout cas donnée comme telle, était présentée ce 12 décembre dans le quotidien israélien Jérusalem Post. Le ministre israélien de la sécurité intérieure Gideon Ezra et l’inspecteur général de police Moshe Karadi devaient être les invités à Paris de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et président de l’UMP, pour une rencontre de travail de trois jours avec leurs homologues français. Toujours selon le quotidien, à la requête de la France, Moshe Karadi devait être accompagné de Ya’acov Nehemia, chef des forces spéciales de police. La rencontre devait se focaliser sur deux dossiers. L’un concerne le sort de Gaydamak, accusé de malversations internationales, actuellement en Israël. L’autre concernerait rien moins que l’échange d’informations en matière de « lutte anti-émeutes », le ministre de l’Intérieur souhaitant, selon le journal, bénéficier de l’expérience israélienne dans la répression de l’Intifada.

« L’expérience israélienne » importée dans les banlieues

L’information du Jérusalem Post mérite vérification ; si elle n’était que pure propagande, elle justifierait un démenti immédiat et ferme de la diplomatie française ; dans le cas contraire, si elle s’avérait exacte, elle serait extrêmement grave à plus d’un titre. D’abord en matière de politique étrangère. Elle signifierait, et ce serait inquiétant, que Nicolas Sarkozy aurait fait le choix d’importer en France le conflit israélo-palestinien. Et avec lui la vision et les méthodes des forces de répression israéliennes. Comme une reconnaissance de facto d’une quelconque légitimité de la répression du soulèvement national palestinien par les forces de la puissance occupante. Cette négation du droit international revenant dès lors à désavouer ce qui continue pourtant à fonder officiellement la diplomatie française et, partant, son analyse publique du conflit et de ses solutions reposant en principe sur le droit. Le ministre des Affaires étrangères, le Premier ministre et le chef de l’Etat seraient dès lors requis non seulement à exiger des explications, mais aussi à récuser clairement et définitivement cette initiative inopportune du ministre de l’Intérieur. Celle-ci signerait aussi, ensuite, une vision de la réalité de notre société et une lecture spécieuse de l’explosion de la colère qui a marqué ses banlieues depuis la mort de deux adolescents à Clichy-sous-Bois (93), le 27 octobre dernier. Simple engagement dans une course électorale précocement entamée, ou plus gravement intégration et propagation d’une vision du monde telle que la diffusent les néo-conservateurs américains, celle de la « guerre des civilisations » au préjudice d’une citoyenneté fondée sur la devise républicaine d’égalité, de liberté et de fraternité qui fonde la collectivité ? Le contexte passionnel qui a accompagné le retour revanchard d’un certain refoulé colonial depuis la loi du 23 février 2005 sur l’enseignement des « aspects positifs » de « la présence française outremer », c’est-à-dire de la colonisation, jusqu’à la mise en place de l’état d’urgence, incite à tout le moins à poser la question.

Un tramway vers les colonies de Jérusalem


D’autant que la diplomatie française vis-à-vis du conflit israélo-palestinien a été marquée ces derniers mois d’autres événements non moins inquiétants. Ainsi de la signature d’un accord de coopération très particulier entre le gouvernement israélien et un consortium français pour la construction et l’exploitation d’un tramway à Jérusalem. De quoi s’agit-il ? Deux compagnies françaises, Alstom et Connex, ont été retenues pour participer à ce consortium. La première fournirait les rames, la seconde participerait à l’exploitation du tramway, qui doit entrer en service en 2008. Or celui-ci vise à relier la partie occidentale de la ville à deux colonies construites en Cisjordanie aujourd’hui occupée : Pisgat Zeev et French Hill, alors que se poursuivent les constructions dans la proche colonie de Ma’ale Adumim avec l’objectif de couper en deux la Cisjordanie. Pour les dirigeants israéliens, il s’agit de préempter sur l’avenir de la ville, annexée illégalement, et décrétée tout aussi illégalement toute entière capitale de l’Etat, alors que la partie palestinienne considère, au contraire, que la ville doit devenir capitale des deux Etats, avenir qui doit être l’objet de négociations, fondées sur le droit international.

Engagement de deux entreprises en dehors de toute implication de l’Etat français ? Le porte-parole de Philippe Douste- Blazy, ministre des Affaires étrangères, annonce le 26 octobre [1] : « La participation d’entreprises françaises à la construction du tramway de Jérusalem s’inscrit dans le cadre d’un marché international qui obéit à une logique commerciale. Leur participation à cette construction n’emporte à nos yeux aucune conséquence sur le statut de Jérusalem- Est. Notre position reste inchangée sur la colonisation en Cisjordanie et autour de Jérusalem-Est qui est contraire au droit international ».

Une telle affirmation appelle plusieurs interrogations. La première porte sur le mot « autour ». Quid de la colonisation dans la ville elle-même, dont aucun Etat ne reconnaît l’annexion pas plus que la moindre légalité aux colonies qui se construisent dans sa partie orientale (avec les destructions et confiscations de terres qui l’accompagnent), aux modifications de sa situation démographique ? La Cour Internationale de Justice y a condamné l’édification du mur le 9 juillet 2004, avis adopté par l’Assemblée générale des Nations unies onze jours plus tard, avec le vote des 25 Etats membres de l’Union européenne, dont la France. Or, nul ne l’ignore, la ville est soumise aujourd’hui à une intense politique de colonisation, dont le réseau de « Murs » est le principal vecteur. Des quartiers entiers de la partie orientale de la ville, c’est-à-dire la partie palestinienne occupée, sont détruits, d’autres divisés, cloisonnés, bouclés par ces murs qui rendent par ailleurs quasi-impossible toute circulation des personnes et des marchandises entre Jérusalem-Est et le reste de la Cisjordanie. Une telle politique empêche l’accès des Palestiniens non résidents à ce qu’ils considèrent pourtant comme leur capitale administrative, culturelle, cultuelle et sanitaire (hôpitaux), et pénalise gravement toute l’économie palestinienne.

La seconde question concerne donc l’assertion selon laquelle la construction de ce tramway ne participerait pas du projet d’annexion du grand Jérusalem, dans le dessein d’empêcher toute négociation sur l’avenir de la ville et, partant, toute viabilité d’un Etat palestinien.

La troisième interrogation concerne l’irresponsabilité juridique des entreprises françaises, assertion irrecevable.

La dernière, enfin, concerne la façon dont l’Etat français se dédouanerait ainsi de toute responsabilité d’une part et de toute possibilité d’intervention d’autre part, en dépit de ses obligations internationales. Or, Maurice Sportlich, qui vient de passer cinq années à la tête de la mission économique de l’ambassade de France à Tel-Aviv, dément dans un entretien au même Jerusalem Post [2], cité un temps sur le site de l’ambassade de France le non engagement de l’Etat dans cette opération. Pire, il en revendique une part de paternité : « je souhaitais surtout que les entreprises françaises soient présentes sur les grands projets d’infrastructures. Il y a un effort considérable qui est fait en Israël pour développer des projets dans le domaine des transports, de l’énergie, de l’eau, de l’environnement (...). Pour s’en tenir au tangible et à ce qui a été signé, on peut citer la réalisation par Véolia de la plus importante usine de dessalement d’eau de mer du Moyen-Orient à Ashkelon ou encore la construction et l’exploitation du tramway de Jérusalem par Alstom et Connex. Après Jérusalem, nous sommes en course pour l’appel d’offres pour le tramway de Tel-Aviv ». La participation de deux entreprises françaises à ce tramway est non seulement le fruit d’une intense activité diplomatique, mais elle s’inscrit explicitement comme le jalon d’autres projets économiques. On comprend qu’elle ait été l’un des sujets soulevés par le ministre palestinien des Affaires étrangères, Nasser al-Qidwa, lors de la visite en France du Président Mahmoud Abbas le 17 octobre dernier. Dès décembre 2004, à l’occasion de la « conférence d’Herzlya », Nicolas Sarkozy se réjouissait que le commerce francoisraélien ait quasiment doublé depuis le début des années 1990, atteignant aujourd’hui près de deux milliards d’euros et citait, parmi les exemples de cette nouvelle donne, l’investissement d’entreprises françaises dans ce projet de tramway.


A sa suite, Philippe Douste-Blazy ne manque pas une occasion de saluer la progression de la coopération économique, scientifique, technologique franco-israélienne. Non seulement, donc, ces ministres réfutent toute perspective d’intervention de la France contre l’impunité israélienne dont la politique de colonisation et d’édification du mur constitue l’élément le plus dramatique pour l’hypothèse de la paix et se refusent à l’utilisation du principal instrument de lutte contre l’impunité dont la France comme l’Europe disposent : les sanctions économiques. Mais, de plus, un pas nouveau est en train d’être franchi dans la coopération avec l’entreprise illégale de colonisation dans et autour de Jérusalem. Sauf si, face à la campagne de protestation citoyenne en cours, le gouvernement et le chef de l’Etat se décidaient enfin à revenir sur un tel projet pour le condamner et en empêcher la réalisation. En comprenant que seul l’engagement à favoriser de véritables négociations, fondées sur le droit international, pour que puisse voir le jour une coexistence entre deux Etats indépendants, Israël et Palestine, permettra de s’engager dans de véritables projets de développement, auxquels les entreprises françaises auront alors légitimité à coopérer activement.

Commerce et diplomatie ?

Faut-il lire dans cette attitude le fait d’appétits commerciaux réduisant les principes de politique étrangère à rang négligeable, ou bien l’amorce d’une réelle nouvelle donne diplomatique, ou encore la combinaison des deux ? La France a salué, à l’instar de la communauté internationale, le retrait israélien de la bande de Gaza. Le chef de l’Etat lui-même n’a eu de cesse que de louer « le courage » du Premier ministre israélien. C’est dans ce contexte qu’a été rendu visible le réchauffement diplomatique franco-israélien, qui s’est manifesté avant, pendant et après ce retrait par une série de visites de ministres français en Israël avec, à la clef, la conclusion de nombreux accords de coopération et par celle du Premier ministre israélien en France le 9 juillet dernier. Officiellement, la France s’en tient à ses principes, ceux du droit international et de la nécessité de deux Etats indépendants. Officiellement toujours, elle considère le retrait de la bande de Gaza comme devant être le premier pas d’un retrait des territoires occupés. Mais qu’est-ce à dire ? Qu’elle conçoit que telle serait la volonté d’Ariel Sharon ou bien qu’elle aspire à orienter Israël dans cette voie ?

Ce n’est pourtant pas celle choisie par le Premier ministre israélien. Il n’a jamais caché la nature de son projet : « achever ce qui ne l’a été en 1948 ». Son conseiller Dov Weisglass n’avait pas davantage caché l’objectif du retrait de Gaza : « geler dans le formol toute perspective de négociation politique », le caractère unilatéral du retrait s’inscrivant dans ce rejet. Or la politique mise en oeuvre sur le terrain ancre pleinement ce projet tandis que se poursuit l’édification du mur illégal et que vient d’être décidée la construction de plus de 200 nouvelles habitations dans les colonies. L’objectif consiste à annexer les grands blocs de colonies, avec le soutien des Etats-Unis. Si Condoleezza Rice plaide en faveur d’un Etat palestinien viable dans un territoire contigu et en faveur d’un accord négocié et non imposé, George W.Bush maintient cependant le contenu de sa lettre adressée à Ariel Sharon le 14 avril 2004 : au mépris du droit international, les Etats-Unis soutiennent le dessein israélien d’une annexion de ces blocs de colonies, affirmant que la « ligne verte » de 1967 ne saurait devenir la frontière entre les deux Etats. Comment dès lors considérer de bonne foi le retrait de Gaza comme une étape, sauf à en forcer les suivantes ?

Influence néo-conservatrice ?

Ce n’est pas la voie que semble choisir Paris. Au point de réaffirmer d’un côté la validité de la feuille de route et, de l’autre, d’en donner une nouvelle lecture contraire à sa lettre : Philippe Douste- Blazy n’hésite pas à proposer le démantèlement des organisations armées palestiniennes comme un préalable à sa mise en oeuvre. Au moment où le président palestinien tente de préserver une trêve durement obtenue des organisations de résistance palestiniennes, en dépit de sa violation récurrente par les forces armées israéliennes et de l’absence de perspective politique qui fragilise son projet, de telles mentions apparaissent relever de la politique de l’apprenti sorcier. Les atermoiements de la France suscitent d’autant plus d’inquiétude qu’ils s’inscrivent en faux contre la position diplomatique qu’elle a définie depuis 1967. La nouvelle orientation de la politique française dessinée par Charles De Gaulle à l’issue de la guerre de 1967, de l’occupation de territoires arabes par Israël, et dans le contexte de la diplomatie spécifique vis-à-vis des Etats-Unis a guidé, malgré des approches sensiblement différentes, la politique des gouvernements suivants. Elle s’est manifestée en particulier durant cette Intifada à la fois dans la réaffirmation des principes du droit et dans celle de la légitimité des représentants élus que se choisit le peuple palestinien, notamment face à la campagne israélienne de délégitimation du président Yasser Arafat reclus à la Muqata’a. Une orientation adoptée également par l’Union européenne. Même si cela n’a pas empêché le développement de la coopération économique et scientifique franco et euro-israélienne, en particulier depuis 2002, pas plus que le mépris des chefs d’Etats et de gouvernements vis-à-vis des recommandations du parlement européen, par deux fois depuis le 10 avril 2002, de suspendre l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël. Il n’empêche que c’est en vertu des mêmes principes que Paris a su aussi s’opposer énergiquement à la guerre contre l’Irak, au nom une fois encore du nécessaire respect du droit, des instances internationales, et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Jacques Chirac soulignant alors que la démocratie ne s’exporte pas dans des chars. La coopération de plus en plus ostensible entre la France et Israël semble remettre en cause ces orientations. Or celle-ci s’inscrit aussi dans un rapprochement des relations franco-américaines, singulièrement au Proche et au Moyen- Orient, alors que nombre de dirigeants d’entreprises françaises se lamentent de n’avoir pu participer au partage du marché irakien. Le discours de Nicolas Sarkozy à Herzlya de décembre 2004 semble quant à lui aller bien audelà de la volonté de développement d’une telle coopération, avec notamment la mise en oeuvre entre l’Union européenne et Israël d’une politique de voisinage dépassant très largement le cadre de l’accord d’association. Il n’hésite pas à faire de « valeurs communes » comme de la proximité culturelle un thème central. Valeurs communes ? Le respect du droit et de celui des peuples à l’autodétermination n’en feraient-ils donc plus partie ? La colonisation israélienne de la Palestine seraitelle à inscrire au titre des aspects positifs de l’engagement de la civilisation face à la barbarie ?

Une telle vision, si elle se devait se confirmer, serait d’abord préjudiciable à la paix à construire et, partant, à l’avenir des deux sociétés, israélienne comme palestinienne. Elle le serait aussi aux ambitions régionales que s’est définies l’Europe, tant politiques qu’économiques, alors qu’elle a pu vérifier notamment combien l’impasse politique grippe durablement tous les projets de coopération économique envisagés à Barcelone en 1995. Elle le serait enfin pour notre société elle-même. Car le néo-conservatisme des promoteurs du « clash des civilisations » ne saurait faire figure de projet de société acceptable, quand qu’il s’agit de dynamiser, au contraire, instamment, un destin commun fondé sur l’égalité des droits et enrichi par le respect de la diversité.

Isabelle Avran


[1] Site du ministère des Affaires étrangères [www.diplomatie.gouv.fr] 833/israel-territoirespalestiniens_ 413/france-les-territoirespalestiniens_ 4261

[2] 7 juin 2005

[www.france-palestine.org]
H
12 février 2006 07:36
Si ce changement de politique sous l'ère Sarko se confirme c'est une page qui est tournée dans la politique moyen-orientale de la France.

Mais détrompons-nous, l'allégeance des occidentaux (incluant les français) envers Israël à toujours été sans équivoque. Je me souviendrais toujours de la phrase qu'avait prononcé un ex-patron des services secrets français, Il parlait d'un entretien qu’il avait eu avec Arafat. Après avoir commenter l'entretien il ajoute une petite phrase assassine disant : "Évidement j'ai fait part au Mossad du contenu de l'entretien". C'est le "Évidement" qui m'avait frappé....
 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook