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temoignage de la journaliste Giuliana Sgrena
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15 mars 2005 02:09
[www.lecourrier.ch]


Je suis encore dans le noir. Vendredi a été la journée la plus tragique de ma vie. J'étais séquestrée depuis tellement longtemps. Un peu avant, j'avais parlé avec mes ravisseurs. Depuis des jours et des jours ils disaient qu'ils me libéreraient. Je vivais des heures d'attente. Ils disaient des choses dont j'ai compris l'importance seulement plus tard. Ils parlaient de problèmes «liés aux transferts». J'avais appris à sentir le vent tourner d'après l'attitude de mes gardes, deux hommes qui me surveillaient au quotidien. L'un d'eux en particulier, qui montrait de l'attention à chacune de mes demandes, était incroyablement crâneur. Pour savoir enfin ce qu'il en était, je lui ai demandé avec provocation s'il était content parce que je m'en allais ou parce que je restais. J'ai été stupéfaite et contente lorsque – c'était la première fois que ça arrivait – il m'a dit: «Je sais seulement que tu t'en iras, mais je ne sais pas quand.» Quelque chose de neuf se préparait: ils sont venus tous les deux dans la pièce comme pour me réconforter et plaisanter: «Félicitations – m'ont-ils dit – tu pars pour Rome.» Pour Rome, ils ont vraiment parlé comme ça. J'ai éprouvé une étrange sensation. Parce que ce mot a évoqué immédiatement la libération, mais m'a également projetée dans un nouveau vide. J'ai compris qu'il s'agissait du moment le plus difficile de tout mon enlèvement et que si tout ce que j'avais vécu jusqu'ici était «certain», désormais s'ouvrait un abîme d'incertitudes – l'une plus oppressante que l'autre. J'ai changé de vêtements. Ils sont revenus: «Nous t'accompagnons, et ne donne pas de signaux de ta présence avec nous, sinon les Américains peuvent intervenir.» C'était la confirmation que je ne voulais pas avoir. C'était le moment le plus heureux et à la fois le plus dangereux. Si nous rencontrions quelqu'un, à savoir des militaires américains, il y aurait une fusillade, mes kidnappeurs étaient prêts et répondraient aux tirs.
Je devais garder les yeux bandés. Je m'habituais déjà à une cécité momentanée. De ce qui arrivait dehors je savais seulement qu'à Bagdad, il avait plu. La voiture roulait dans une zone marécageuse. Il y avait un chauffeur et les deux ravisseurs. J'ai immédiatement entendu quelque chose que je ne voulais pas entendre. Un hélicoptère survolait à basse altitude justement la zone où nous nous étions arrêtés. «Reste tranquille, maintenant ils viennent te chercher... dans dix minutes, ils viendront te chercher.» Ils ont parlé arabe tout le temps, un peu en français et beaucoup en anglais, mais très mal.
Ils sont descendus de la voiture. Je suis restée immobile et aveugle. J'avais les yeux bourrés de coton, recouverts de lunettes de soleil. J'étais immobile. J'ai pensé... que faire? Je me suis mise à compter les secondes qui me séparaient de ma future condition. Celle de la liberté? J'ai à peine eu le temps de penser à une comptine que, soudain, j'ai entendu une voix amie à mes oreilles: «Giuliana, Giuliana, c'est Nicola, ne t'inquiète pas, j'ai parlé avec Gabriele Polo, reste tranquille, tu es libre.»
Il m'a demander d'ôter mon «bandeau» et mes lunettes noires. J'ai ressenti du soulagement, non pour ce qui arrivait et que je ne comprenais pas, mais pour les mots de ce «Nicola». Il parlait, parlait, il était incontrôlable, une avalanche de phrases amicales, de blagues. J'ai éprouvé finalement une consolation presque physique, chaleureuse, que j'avais oubliée depuis longtemps. La voiture continuait son chemin, traversant un tunnel plein de nids-de-poule et sortant presque de route pour les éviter. Nous avons tous incroyablement ri. C'était libérateur. Sortir de route dans un Bagdad inondé et avoir un terrible accident après tout ce que nous avions vécu était tout à fait irracontable. Nicola Calipari s'est alors assis à mes côtés. Le chauffeur avait communiqué par deux fois, à l'ambassade et en Italie, que nous nous dirigions vers l'aéroport que je savais hyper-contrôlé par les troupes américaines, il ne restait plus qu'un kilomètre à parcourir, m'ont-ils dit... quand... je ne me souviens que des tirs. A ce moment, une pluie de feu et de projectiles s'est abattue sur nous, faisant taire pour toujours les voix enjouées quelques minutes auparavant.
Le chauffeur a commencé à crier «nous sommes italiens, nous sommes italiens», Nicola Calipari s'est jeté sur moi pour me protéger, et immédiatement, je répète, immédiatement, j'ai senti le dernier souffle de l'homme qui mourait sur moi. J'ai éprouvé une douleur physique, mais je ne savais pas pourquoi. En un éclair, mon esprit s'est soudain souvenu des mots des kidnappeurs. Ils déclaraient soutenir totalement ma libération, mais me demandaient d'être attentive «parce que les Américains ne veulent pas que tu rentres». Sur le moment, j'avais jugé ces paroles superflues et idéologiques. Plus tard, elles risquaient d'acquérir le goût de la plus amère des vérités.
Quant à la suite, je ne peux pas encore la raconter.
Ce jour a été le plus dramatique. Mais le mois que j'ai vécu séquestrée a probablement changé mon existence pour toujours. Un mois seule avec moi-même. Prisonnière de mes convictions les plus profondes. Chaque jour a été une vérification sans pitié de mon travail.
Parfois, ils se moquaient de moi, me demandaient pourquoi donc je voulais partir, me disaient de rester. Ils insistaient sur mes relations personnelles. Ils me faisaient penser à ces priorités que trop souvent nous mettons de côté. Ils pointaient sur la famille. «Demande de l'aide à ton mari», me disaient-ils. Et je l'ai dit aussi dans la première vidéo que, je crois, vous avez tous vue. Ma vie a changé. C'étaient les mots de l'ingénieur irakien Ra'ad Ali Abdulaziz de «Un Ponte per'», enlevé avec les deux Simone. «Ma vie n'est plus la même», disait-il. Je ne comprenais pas. Maintenant je sais ce qu'il entendait. Parce que j'ai éprouvé toute la dureté de la vérité, sa difficile accessibilité. Et la fragilité de celui qui s'en approche.
Les premiers jours de mon enlèvement, je n'ai pas versé une seule larme. J'étais simplement en colère. Je lançais au visage de mes kidnappeurs: «Mais pourquoi m'enlever alors que je suis contre la guerre?!» A ce moment, ils se précipitaient dans un échange féroce. «Parce que tu parles avec les gens, nous n'enlèverions jamais un journaliste qui reste enfermé à l'hôtel. Et puis, tu dis être contre la guerre, c'est peut-être une couverture.» Je réfutais tout, presque en les provoquant: «Il est facile d'enlever une faible femme comme moi, pourquoi vous n'essayez pas avec les soldats américains?» J'insistais sur le fait qu'ils ne pouvaient demander au Gouvernement italien de rapatrier ses troupes. Leur interlocuteur «politique» ne pouvait être le gouvernement, mais plutôt le peuple italien qui était et reste contre la guerre.
Ça a été un mois de ballottement, entre fortes espérances et grande dépression. Comme quand – c'était le premier dimanche après le vendredi de l'enlèvement –, dans la maison de Bagdad où j'étais retenue et sur laquelle est perchée une antenne parabolique, j'ai pu regarder un journal télévisé d'Euronews. J'y ai vu ma photo en format géant, suspendue à l'Hôtel de Ville de Rome. Je me suis reprise. Mais ensuite, juste après, est arrivée la revendication du Jihad qui annonçait mon exécution si l'Italie ne retirait pas ses troupes. J'étais terrorisée. Mes ravisseurs m'ont tout de suite rassurée, ils m'ont expliqué qu'ils n'étaient pas les auteurs de cette demande, que je devais me méfier de ces communiqués, qu'ils émanaient de «provocateurs». Souvent je demandais à celui qui, de visage, me semblait le plus disponible et qui avait de toute façon, comme l'autre, une tête de soldat: «Dis-moi la vérité, vous voulez me tuer.» Et pourtant, de nombreuses, fois, il y avait d'étranges dialogues, justement avec eux. «Viens voir un film à la télévision», me proposaient-ils, tandis qu'une femme wahhabite, couverte de la tête aux pieds, s'affairait dans la maison et s'occupait de moi.
Mes ravisseurs ne m'ont pas semblé très religieux, en continuelle prière sur les versets du Coran. Mais vendredi, au moment de ma libération, celui qui parmi eux me paraissait le plus religieux – chaque matin il se levait à cinq heure pour prier – m'a «félicitée» en me serrant très fort la main – ce n'est pas le comportement habituel d'un fondamentaliste islamique. Il a ajouté: «Si tu te comportes bien, tu pars maintenant.» Ensuite, il est arrivé un événement presque divertissant. Un des deux gardiens est venu vers moi, stupéfait, à la fois parce que la télévision montrait mon portrait suspendu dans les villes européennes, à la fois pour Totti. Oui, Totti. Mon ravisseur était tifoso de Rome et restait déconcerté: son footballeur préféré était descendu sur le terrain avec l'inscription «Libérez Giuliana» sur son maillot.
J'ai vécu dans une enclave où je n'avais plus de certitudes. Je me suis retrouvée complètement affaiblie. Je soutenais qu'il fallait aller sur le terrain et raconter cette guerre sale. Et je me retrouvais dans l'alternative soit de rester à l'hôtel soit d'être enlevée à cause de mon travail. «Nous ne voulons plus personne», me disaient les ravisseurs. Mais je voulais raconter le bain de sang de Falloujah à partir des témoignages des réfugiés. Ce matin-là déjà, les réfugiés, ou quelques «leaders», ne m'écoutaient pas. J'avais devant moi la vérification des analyses de ce que la société irakienne est devenue depuis la guerre. Ils me jetaient à la figure leur vérité: «Nous ne voulons personne, pourquoi ne restez-vous pas chez vous, à quoi peut nous servir cette interview?» Le pire effet collatéral – la guerre qui tue le dialogue – se précipitait sur moi. Alors que j'ai tout risqué, défiant le Gouvernement italien qui ne voulait pas que les journalistes rejoignent l'Irak. Défiant les Américains qui ne voulaient pas que notre travail témoigne de ce qu'est devenu réellement ce pays, à cause de la guerre, et malgré ce qu'ils nomment élections.
A présent, je m'interroge. Est-ce un échec que ce refus?
i
15 mars 2005 11:15
Touchant et vrai
imad
c
23 mars 2005 05:53
ca cé vraiment un temoignage de l'instint de survie ... tout le monde entier est malheureux et a cause de qui ? Pas uniquement a cause de boush et ils ont tous les memes interets a la foi les uns pour et contre les autres ... mais nous les citoyens on est plus nombreux qu'eux a combien de sujets sur ces forums je pourrais dire ca ??? a plusieurs ça cé sure ... et pourtant on en parle sans agir... ils nous faut plus qu'un non pour la guerre en irak meme s'ils ne l'ont pas entendu en laisse boush agir... on devrait continuer sans oublier tout ce qu'ils font ... et les obliger a souhaité le meilleur pour tous les peuples ... Malheureusement la désinformation et l'education aide ces hommes coupables de toutes ces situations a eduqué et manipuler les gens de facon a ce qu'ils aient les memes defaut qu'eux du plus petits au plsu grands ...
 
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