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Le sport à l'épreuve de la religion
S
26 février 2009 17:10
Ici, nul signe ostensible de richesse. Dans le gymnase du quartier Sainte-Geneviève, à Auxerre (Yonne), une douzaine de femmes suivent une séance de fitness. Foin des baskets de marque ou des survêtements tape-à-l'oeil, chacun vient comme il veut ou comme il peut. Il y a là Jamila Harid, 39 ans et agent de service, Marie Brulé, 30 ans, assistante scolaire, Annie Penin, 35 ans, ancienne esthéticienne devenue peintre en bâtiment, ou Nadia Bourouma, 38 ans et mère au foyer. Dans la pièce mitoyenne, leurs enfants jouent sous la surveillance d'un animateur.

D'une voix douce, presque flûtée, le sourire aux lèvres, Souad Aouami, 27 ans, mène la séance de torture, se moque gentiment des visages contractés par la douleur. Au dernier accord de musique, les victimes poussent un soupir de soulagement, plaisantent, enfilent leur manteau et rameutent les enfants. Quelques-unes, il y a cinq minutes encore en tenue de sport, emprisonnent discrètement leurs cheveux dans un foulard avant de sortir.

Musulmanes ou non, ces femmes apprécient avant tout d'échapper au regard, à l'inquisition. "Il n'y a pas de remarques, constate Annie Penin. Du coup, on est bien dans son corps et bien dans sa tête en repartant." "Depuis longtemps, je me trouve trop forte, explique Marie Brulé. Dans les salles traditionnelles, je me sentais examinée de la tête aux pieds. Ici, on ne se juge pas entre nous. Alors, qu'une femme porte le voile au-dehors ne me dérange pas."

Née à Oujda, au Maroc, Souad Aouami a été élevée en France.. Nantie d'un diplôme ad hoc, elle est devenue professeur de fitness dans une salle de sport à 350 euros l'abonnement annuel. Elle s'est très vite lassée de sculpter les abdominaux d'une population par trop uniforme, par trop loin de son milieu d'origine aussi. "Je ne me sentais pas finir ma vie dans un club." A la fin de 2005, elle crée une association, baptisée Forme et bien-être, qui propose à des milieux défavorisés, moyennant 10 euros par mois, la possibilité d'une quinzaine de cours par semaine, dans différents lieux de la ville.

Les premiers mois sont déprimants. "Je me retrouvais seule à chaque séance, raconte la jeune femme. J'ai compris qu'il fallait absolument faire tomber les barrières, les préjugés, aller à la rencontre de femmes qui n'imaginaient même pas que mes cours leur étaient accessibles." Elle écume alors les maisons de quartier, propose des démonstrations. Le bouche-à-oreille fait le reste. Aujourd'hui, l'association revendique 250 adhérents, dont 5 hommes.

Peu à peu, Souad Aouami a vu se présenter des femmes voilées. "Elles me disaient qu'elles voulaient travailler leurs fessiers. Elles avaient envie de plaire." La professeur ne se leurre pas : elle sait que bien d'autres ne franchiront pas le pas, qu'un interdit moral plane encore. "Ce n'est pas forcément dans les moeurs." Elle n'en reste pas moins persuadée que les mentalités évoluent favorablement. "J'ai le sentiment que des obstacles culturels tombent, que se développe un cheminement intellectuel sur les femmes issues de l'immigration et le sport, que les familles accordent plus facilement leur consentement aux jeunes filles", se réjouit Souad Aouami.

A ses côtés, Nadia Bourouma acquiesce. "Nos mères ne faisaient pas de sport. Leur éducation ne le permettait pas. Elles s'occupaient plus de nous que d'elles." "Il y a vingt ans, même nous, nous n'avions pas le droit à ce genre d'occupation, renchérit Jamila Harid. Aujourd'hui, ma fille fait du foot et je trouve cela très bien." Mais la mère de famille admet également que des réticences demeurent : "Auparavant, je vivais à Avignon. Là-bas, une fille qui allait courir était critiquée : on disait qu'elle cherchait les hommes."

L'originalité du projet de Souad Aouami est remontée jusqu'à Paris. En 2007, l'association est devenue lauréate nationale du concours Fais nous rêver, lancé par l'Agence pour l'éducation par le sport. La jeune femme est également devenue conseillère municipale d'Auxerre aux dernières élections. Elle parle volontiers mais sans forfanterie de la réussite de son projet, qui contrebat bien des idées reçues. Elle s'agace des intégristes mais également de la publicité qui leur est faite..

Régulièrement, des exemples de "dérives communautaires" traversent l'actualité. Médias traditionnels ou blogs laïcs évoquent les cas de piscines réservant des créneaux horaires aux femmes, comme ce fut le cas dans l'agglomération lilloise ou à La Verpillière (Isère). Les prêches de Tariq Ramadan affirmant, en 2008, dans l'île de La Réunion, que "les piscines ne sont pas islamiques", inondent Internet.

En juin 2008, la commune de Vigneux-sur-Seine (Essonne) a défrayé la chronique. Le gymnase municipal avait été réservé par une association culturelle pour une compétition de basket féminin qui s'est révélée être un tournoi inter-mosquées. Les affiches en interdisaient l'accès aux hommes.
S
26 février 2009 17:11
SUITE ET FIN :

Averti, le maire (UMP) Serge Poinsot a empêché la manifestation. "Nous, c'est la République, le drapeau bleu-blanc-rouge, pas le drapeau vert", assure l'élu. Il tient cependant à relativiser : "Nous n'avons pas de problème communautaire, juste deux ou trois personnes qui essayent de faire monter la mayonnaise."

"Cela reste marginal", assure également Jean-Philippe Acensi, 38 ans, délégué général de l'Agence pour l'éducation par le sport. L'homme écume depuis treize ans les banlieues à la recherche de projets à soutenir. Il constate également, ici ou là, des tentatives de récupération religieuse. Dans quelques associations, des "éducateurs" tentent de faire du prosélytisme. Dans tel club du Nord, l'un d'eux imposait même la prière aux jeunes licenciés. "Ceux-là tentent de profiter d'un certain vide, regrette Jean-Philippe Acensi. Dans le contexte de détresse sociale, de paupérisation, il faut que les pouvoirs publics occupent le terrain, investissent les projets sportifs, afin de défendre notre modèle républicain d'intégration."

Benoît Hopquin

source: www.lemonde.fr/societe/article/2009/02/23/le-sport-a-l-epreuve-de-la-religion_1159185_3224.html
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26 février 2009 18:32
Cet article est porteur d'avenir
 
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