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Le socialisme français aux couleurs du sionisme
I
12 janvier 2006 15:05
C'est long, mais c'est interessant et ça vaut le coup d'être lu.


Le socialisme français aux couleurs du sionisme
Bernard Granotier


Le texte suivant est extrait de l'ouvrage [ épuisé ] "Israël, cause de la Troisième Guerre Mondiale ? " publié par Bernard Granotier aux éditions de L'Harmattan en 1982 (262 pages, ISBN : 2-85802-240-2).

"La cinquième guerre du Moyen-Orient, déclenchée en juin 1982 par Israël, a provoqué une émotion considérable dans le monde entier. Aux massacres de populations civiles libanaises s'est ajoutée une stratégie
délibérée d'élimination de l'OLP, seule organisation reconnue par l'ONU et la communauté des nations comme représentative du peuple palestinien. L'engrenage des conflits entre Israéliens et Arabes met de plus en plus en jeu la paix et la sécurité internationales. Les répercussions en sont le terrorisme aveugle qui frappe jusqu'en plein coeur de Paris. Ce livre, "Israël, cause de la Troisième Guerre Mondiale ?" présente une théorie explicative d'ensemble de la situation au Moyen-Orient, depuis les débuts du sionisme, il y a un siècle. Il
suggère des solutions que la France et la Communauté européenne pourraient mettre en oeuvre."

[ Bernard Granotier est Docteur en sociologie. Il fut codirecteur de l'Ecole Spéciale d'Architecture de 1972 à 1975 ; Consultant de l'UNESCO de 1975 à 1978 ; membre du Conseil d'Administration d'Habitat International Council, organe d'experts internationaux de l'ONU, entre 1978 et 1980 ; professeur à l'Institut d'Urbanisme de Rabat (Maroc) en 1981 ; Président-fondateur de l'Association internationale I.O.A.N.E. (1982) pour la coopération euro-arabe. Auteur de divers ouvrages, spécialiste de l'immigration, il est aussi collaborateur des journaux On Target (Angleterre) et Le Monde (France). ]

- EXTRAIT -

S'il fallait résumer l'histoire des relations franco-israéliennes à sa plus simple expression, elle tiendrait en deux dates : 2 juin 1967 lorsque de Gaulle décréta l'embargo sur les ventes d'armes à Jérusalem et 10 mai 1981, l'élection de François Mitterrand connu pour ses sympathies envers l'Etat juif.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la révélation des horreurs de l'Holocauste avait créé un climat favorable au peuple juif terriblement éprouvé. Dès la fin de 1946 fut créée à Paris la Ligue française pour la Palestine Libre, sur le modèle d'un organisme américain : "The Hebrew Committee of National Liberation" qui soutenait l'Irgun. A partir de mars 1947 la Ligue publia un bimensuel : La Riposte, qui dénonçait l'"occupation anglaise" de la Palestine. Een fait le Royaume-Uni n'était que puissance mandataire, mais ainsi le terrorisme
sioniste devenait la "Résistance juive palestinienne" et il n'était jamais fait mention des Palestiniens eux-mêmes. En outre l'idée de l'Etat juif faisait son chemin dans les milieux, notamment gaullistes, où toute réduction de l'influence britannique quelque part dans le monde n'était pas pour déplaire. En 1956 la nationalisation du Canal de Suez et le soutien déclaré de l'Egypte à la lutte d'indépendance en Algérie rendirent Nasser doublement antipathique au gouvernement français, qui s'engagea dans l'aventure de la seconde guerre israélo-arabe. La décennie 1956-1966 marque l'âge d'or des rapports de la France et de l'Etat juif, les ventes d'armes de Paris à Tel-Aviv atteignant des niveaux records après 1959. [1]

Le changement d'orientation débute en 1962 quand de Gaulle ayant réglé le problème algérien cherche à renouer avec les pays arabes notamment pour contrecarrer l'influence américaine au Moyen-Orient. Puis, peu avant que n'éclate la Guerre des Six Jours, il décide l'embargo sur les livraisons d'armes en Israël, qui alors dépendait quasi totalement de la France pour son équipement militaire. La déclaration du 2 juin 1967 indique : "Le premier Etat qui ouvrirait les hostilités au Moyen-Orient ne saurait avoir ni l'approbation ni le soutien de la France [2]. Lors de la troisième guerre israélo-arabe, des armes françaises qui avaient été vendues à l'Algérie et au Liban furent utilisées contre l'Etat juif. Avec l'occupation du Sinaï, du Golan, de Gaza et de la Cisjordanie, le raidissement s'accentue. De Gaulle déclare au Conseil des ministres du 21 juin 1967 : "La France ne tient pour acquis aucun des changements réalisés sur le terrain par l'action militaire [3]." Paris conclue en septembre 1967 un contrat de vente d'armes avec l'Irak, ennemi déclaré d'Israël. Le ton est encore plus sévère lors de la Conférence de presse du 27 novembre 1967 où le Général s'élève contre "les ambitions expansionnistes d'Israël" jusqu'à généraliser hâtivement en caractérisant "les Juifs, restés ce qu'ils avaient été de tout temps, un peuple d'élite, sûr de lui et dominateur". On parla alors d'esprit "maurassien" chez le fondateur de la Vème République et les partisans du sionisme ne manquèrent pas de s'indigner de l'"antisémitisme" de De Gaulle. Les mesures d'embargo furent encore renforcées ensuite, notamment le 3 janvier 1969 pour sanctionner l'attaque du 28 décembre 1968 de l'aéroport de Beyrouth par l'aviation israélienne. On mesure ici le virage opéré par Mitterrand qui, treize ans plus tard, reçoit le ministre des Affaires étrangères de Begin alors que Tsahal met le Liban à feu et à sang. Dans ces conditions le vote juif eut une part certaine dans l'échec de De Gaulle au référendum du 27 avril 1969. Il apparaîtrait que certains Juifs de haute fortune consentirent un considérable appui financier à la campagne antigaulliste. [4]

George Pompidou et Giscard d'Estaing devaient maintenir le principe d'une attitude critique vis-à-vis d'Israël. Certes il y eut des concessions. L'embargo fut allégé le 15 juin 1969, puis contourné en autorisant la livraison de "Mirages" en pièces détachées [5], et enfin supprimé en 1974. D'autre part, en janvier 1975, Paris prit
l'initiative d'intervenir auprès de ses partenaires du Marché Commun pour la signature d'un accord de libre-échange entre la Communauté Européenne et Israël. En réalité, la fermeté restait de rigueur. Alors que Khadafi était arrivé au pouvoir en septembre 1969 un accord de coopération franco-lybien fut signé trois mois plus tard portant sur la vente de 110 "Mirages". On attribue à George Pompidou, pourtant peu suspect d'"antisémitisme" pour avoir fait une bonne partie de sa carrière comme directeur de banque chez Rothschild, la définition d'Israël comme "Etat racial et religieux [6]". Son voyage aux Etats-Unis en février 1970, sur l'invitation de Richard Nixon, tourna à l'émeute. Alors qu'il sortait de l'hôtel "Palmer House" à Chicago, il dut pour regagner sa voiture traverser une horde de Juifs américains vociférant, menaçants, qui l'insultaient, insultaient sa femme, les bousculaient, sans qu'aucun détachement de police ne cherchât à les protéger [7]. En 1972, la France vota à l'ONU pour une résolution qui accusait Israël d'avoir violé la Convention de Genève dans les territoires occupés et d'y avoir commis des crimes de guerre. Pendant la Guerre du Kippour, la France se rangea indirectement du côté des Arabes. Chez les gaullistes, le courant antisioniste, quoique minoritaire, s'était renforcé sous l'impulsion de Louis Terrenoire, président de l'Association de Solidarité Franco-Arabe. Le 8 octobre 1973, Michel Jobert, alors ministre des Affaires étrangères, fit une mise au point très nette par rapport à la version israélienne de la quatrième guerre avec les Arabes : "Est-ce que tenter de remettre les
pieds chez soi constitue forcément une agression imprévue [8] ?" Aujourd'hui (1982) devenu ministre du Commerce extérieur dans le gouvernement socialiste, Michel Jobert n'a sans doute pas la même vision des faits ou alors il évite de parler de l'invasion du Liban, notamment avec son collègue Badinter à la Justice et Attali, conseiller principal de François Mitterrand, tous deux comptant parmi les principaux dirigeants du sionisme en France. Valéry Giscard d'Estaing causa des remous, d'abord en faisant libérer Abou Daoud, accusé d'avoir
organisé l'attentat de Münich en 1972 et que la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) avait arrêté le 7 janvier 1977. Ensuite, au cours d'un voyage dans le Golfe et en Jordanie, il réaffirma "le droit à l'autodétermination du peuple palestinien" et préconisa d'associer l'OLP aux négociations de paix, alors que le
processus de Camp David visait à l'en exclure. Le vote juif ne fut de toute évidence pas du côté de l'auteur de Démocratie française et, peu avant l'élection présidentielle, le 3 avril 1981, le CRIF dénonça publiquement la politique étrangère française avec les pays arabes au Moyen-Orient [9].

François Mitterrand à la Knesset : 4 mars 1982

A mi-chemin entre l'annexion du Golan (décembre 1981) et l'invasion du Liban (juin 1982), la visite officielle de François Mitterrand en Israël, du 2 au 5 mars 1982, ne peut pas ne pas apparaître comme une caution de première grandeur à la politique de Menahem Begin. C'était une double première : premier chef d'Etat français et premier chef d'Etat européen à se rendre en Israël. Certes, entre 1949 et 1980, Mitterrand s'était rendu plusieurs fois à Jérusalem et, encore en décembre 1980, comme Premier secrétaire du Parti Socialiste. Toute la
différence tient dans cette précision : il n'était pas président de la République à cette époque. Quelles puissantes raisons l'ont donc engagé à faire ce pas décisif ? D'abord remplir un engagement électoral, sans nul doute. Le vote juif lui avait été largement acquis le 10 mai 1981 et il convenait de s'acquitter d'une dette. François Mitterrand a une admiration tout à fait légitime et bien évidemment sincère pour le peuple juif. Il a parlé souvent des "nombreux Juifs qui furent - et sont - mes compagnons de vie", non comme ces antisémites qui doivent absolument mentionner qu'ils ont des relations avec des "israélites" (le mot "juif" leur fait en général peur) mais parce que, de George Dayan qui fut son ami de toute une existence à l'acteur Roger Hanin, son parent par alliance, il est vrai qu'il en est ainsi. Dans son discours à la Knesset, le Président Mitterrand voulut arrondir les angles de la trop célèbre définition gaullienne et il parla des Juifs, "peuple noble et fier dans sa plénitude et sa diversité".

Malgré tout, le voyage en Israël est ambigu. Dans une interview précédent sa visite, Mitterrand parlait des Juifs qui "ont conquis Canaan non pour leur compte mais pour celui de Dieu [10]. Voilà bien l'idéologie pseudo-biblique dont on a vu l'utilisation constante par le sionisme. Tout impérialisme, toute dictature éprouve le besoin de faire bénir ses canons et de se ranger derrière le mot "Dieu" : de l'Inquisition espagnole à l'Imam Khomeyni. Il y a plus grave. La visite présidentielle intervenait au moment où la répression dans les territoires occupés battait son plein, culminant dans l'interdiction du Comité d'Orientation Nationale proche de l'OLP, le 11 mars 1982. Comment prétendre que l'on va sur le terrain pour que les Palestiniens soient reconnus comme interlocuteur valable par Israël alors qu'on donne un chèque en blanc pour l'extermination des fedayin et des cadres de l'OLP en juin 1982 ? Ceux-ci ne s'y trompèrent pas, le numéro 2 du Fatah, Abou Ayad, déclarant dès le 18 mars 1982 qu'il ne voyait dans ce déplacement intempestif qu'"un alignement total sur la politique
d'Israël". Jugement peu contestable, le discours à la Knesset survenant trois mois après l'annexion du Golan (qualifiée par Jacques Chirac d'"acte de piraterie"winking smiley, moins d'un an après le bombardement du réacteur
nucléaire irakien de Tamuz, et alors que l'invasion du Liban était imminente. Mais tant pour l'affaire du Tamuz que pour celle du Golan la visite présidentielle n'avait été que déplacée alors qu'il y avait ample raison de l'annuler. Le bref détour par Jérusalem légitime lui aussi à sa façon le coup de force israélien d'août 1980 sur la "capitale éternelle" de l'Etat juif. Quant à l'alibi d'une pression de l'équipe Sharon-Begin, on sait ce qu'il vaut maintenant que la boucherie a eu lieu au Liban en juin 1982. Comme le dit plus crûment l'Arche, revue du judaïsme français : "Mitterrand a fermé avec autorité et panache une parenthèse de quinze années [11]". En bref il s'agit d'un virage prononcé : la crédibilité de l'OLP est entamée, le processus de Camp David est reconnu sans un soupçon de distance critique, le respect du boycott arabe vis-à-vis d'Israël est définitivement interdit aux entreprises françaises, un axe Jérusalem-Paris est mis en place.

Diversion cheyssonienne

L'attachement sincère de Claude Cheysson pour la cause palestinienne ne date pas de son accession au poste de ministre des Relations extérieures, il s'était exprimé sans ambages quand le Commissaire européen des années 70 prenait publiquement position pour l'OLP et contre toute inconditionnalité pro-israélienne. Mais quel rôle a joué
Claude Cheysson au printemps 1982 ? Chaque camouflet à la cause palestinienne venant du plus haut personnage de l'Etat était accompagné ou suivi d'une mission de bons offices auprès des Arabes de la part du fac-totum du Quai d'Orsay. Le 3 mars 1982 Cheysson reçoit les maires de Gaza et Cisjordanie qui lui remettent un mémoire où ils dénoncent l'occupation israélienne des territoires confisqués en 1967 et en voie d'annexion. 10 mars 1982 : "entretien cordial mais franc", dit le communiqué officiel, avec M. Kaddoumi, le ministre des Affaires
étrangères de l'OLP. Du 29 au 31 mai 1982 Claude Cheysson est en Arabie saoudite, en Tunisie et en Lybie, pour calmer les dirigeants arabes de ces pays. 8 juin 1982 : il reçoit une délégation des ambassadeurs des pays arabes en France, à laquelle s'était joint le représentant de l'OLP à Paris, Ibrahim Souss, et celui de la Ligue arabe, Mohammed Yazid. Or le 14 juin le ministre israélien des Affaires étrangères Yitzhak Shamir entamait un voyage officiel en France en plein martyr des populations civiles du Liban, "pays ami de la France". Est-ce
simplement de l'"indifférence", pour reprendre les critiques de Maurice Couve de Murville à l'Assemblée nationale, pendant cette période ? "Demandons-nous, écrivait alors Claude Bourdet, si l'URSS avait envahi la Pologne cet hiver, écrasé de bombes Varsovie, Cracovie, et maints villages, tuant systématiquement n'importe quelle population civile, simplement pour "faire peur", est-ce que la France aurait invité, avant même que les milliers de cadavres ne soient froids, le ministre des Affaires étrangères soviétique Andréï Gromyko ? Et s'il y avait eu une ancienne invitation aurait-elle été ou non annulée ? Et l'Elysée se bornerait-il à demander en Pologne "l'arrêt des bombardements et des combats" ? Allons, M. Shamir a de la chance d'être israélien."
Mais, au-delà de l'indignation, d'ailleurs pleinement justifiée, la manoeuvre qui consiste à se rapprocher de Jérusalem en faisant avaler aux pays arabes une pilule particulièrement amère par ministre des Relations extérieures interposé, recouvre un calcul politique à plus long terme. La France, moins européenne que jamais, est fidèle à une stratégie strictement nationale qui remonte au moins à 1920 et sans doute historiquement aux premières pénétrations au Levant. Quelle fut l'attitude française dans les années 20 sous couvert du mandat de la SDN (Société des Nations, ancêtre de l'ONU) ? Réduire l'influence syrienne et créer un bastion francophile grâce à un Liban dominé par les chrétiens maronites. N'y a-t-il pas une convergence éclatante avec le but d'Israël d'installer à Beyrouth les phalangistes qui lui sont favorables ? Au prix de quelques bévues - Mitterrand assimilant les Palestiniens, qui sont au Liban selon l'accord arabo-libanais de 1969, et les Syriens, comme "armées étrangères" [12] - et surtout de la complicité indirecte avec le massacre de l'OLP, un choix a été fait. Un Liban pro-israélien servant de tête de pont à l'influence française au Moyen-Orient est préférable pour Paris à un Liban syrien comme Hafez-al-Asad, lui aussi héritier d'une longue tradition à Damas, tente de le réaliser. Dans cette orientation du gouvernement socialiste il y a certainement une logique, mais elle est écrasante pour les Palestiniens et elle ignore superbement le potentiel que pourrait représenter une présence active de l'Europe dans l'imbroglio du Moyen-Orient.


Sionisme et judéïté en France

Pour mieux apprécier l'alliance tactique du socialisme français, se parant un temps des couleurs du sionisme, il faut situer ce dernier au sein de la formation sociale française. Conçu au départ par des Juifs pour les Juifs, et même - ce en quoi il a une tendance totalitaire - pour tous les Juifs du monde, le sionisme a pour base et presque comme "matière première" la communauté juive en France.


Celle-ci, estimée à 700 000 personnes environ, est la première d'Europe de l'Ouest et la quatrième du monde. La présence des Juifs en France est attestée dès l'époque des Carolingiens. Au XVIème siècle de nombreux Marranes venus d'Espagne et du Portugal s'installèrent en France. Mais au moment de leur émancipation en 1791 les Juifs n'étaient guère nombreux : environ 40 000 puis 46 000 sous Napoléon. Celui-ci, le 17 juillet 1808, créa par décret le Consistoire Central des Israélites de France, lui-même décentralisé en Consistoires Régionaux, qui jusqu'à aujourd'hui doit, selon l'article 1er de ses statuts : "pourvoir aux intérêts généraux du culte israélite". Une vague d'immigrants juifs venus d'Allemagne et d'Europe Orientale (donc achkénazes et non
sépharades comme les descendants des Marranes), entre 1830 et 1880, fut peut-être l'occasion de la bouffée d'antisémitisme qui saisit la France au moment de l'affaire Dreyfus. Occasion ou plutôt prétexte car à la
fin du XIXème siècle il y avait 80 000 Juifs en France contre 5 millions en Russie, 2 millions en Autriche-Hongrie, 600 000 en Allemagne et 180 000 en Angleterre. Les 30 000 Juifs d'Alsace-Lorraine furent bien entendu Allemands de 1870 à la réintégration de cette province dans la France. Les 40 000 Juifs d'Algérie relevaient de Paris depuis 1862, le Consistoire autonome d'Alger étant alors supprimé tandis que le chef spirituel du judaïsme français prenait alors le titre de Grand Rabbin de France et d'Algérie. Le 24 octobre 1870 le ministre de la Justice Adolphe Crémieux, lui-même Juif, fit adopter un décret accordant la nationalité française aux Algériens autochtones de confession israélite. Le décret Crémieux, suspendu sous Vichy, redevint
en vigueur à la Libération et fut massivement appliqué en 1962 quand 170 000 Juifs d'Algérie, peu sensibles aux sirènes sionistes du "retour" en Palestine, réintégrèrent l'hexagone. La population juive de France passa de 300 000 en 1939 à moins de 200 000 en 1945 (au moins 75 000 victimes des camps nazis). Puis la vague d'Afrique du Nord et d'Egypte entre 1956 et 1962 fit monter cette communauté au chiffre de 535 000 en 1968 et 700 000 en 1982.


La situation française est très différente de celle des Etats-Unis car les sépharades dominent : près des deux tiers des Juifs de France viennent du Maghreb. La moitié des Juifs vivent en région parisienne. Cela dit, les différences de classes, de cultures, d'idéologies, sont telles que le seul dénominateur commun est une certaine identification aux destinées de l'Etat d'Israël. Pas au point d'aller y vivre. L'"aliya" de France vers l'Etat juif a été de 30 000 départs de 1945 à 1971 et ce chiffre diminue encore : 1 000 à peine en 1978.


La communauté juive de France est très structurée. Au sommet le Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF), qui fut fondé en 1944 et comptait 27 organisations-membres en 1971. Le CRIF est présidé par Alain de Rothschild (1982) et travaille avec des Commissions : politique, communautés juives en péril, etc. C'est un des principaux groupes de pression en France, courtisé par la majorité et par l'opposition. Au CRIF le soutien à Israël est inconditionnel. L'invasion du Liban fut présentée comme "cette guerre imposée à Israël"
[13] ! Le Fonds Social Juif Unifié, FSJU, né en 1949, s'est transformé au fil des années d'un centre de collecte d'argent pour Israël en un forum permanent pour toutes sortes d'échanges. Le FSJU fut longtemps présidé par Guy de Rothschild et aujourd'hui (1982) par son fils David de Rothschild. D'après le Guide juif de France il y avait en 1971 neuf grandes organisations nationales, six organisations religieuses, 27 mouvements de services sociaux, vingt organisations sionistes françaises, six partis sionistes internationaux ayant une antenne en France, dix Amicales et Groupements d'originaires (par exemple pour les Juifs du Maroc), 24 écoles juives, 13 mouvements de jeunesse, 11 foyers et centres estudiantins. Les sections françaises d'organisations juives
mondiales jouent un rôle important : Agence juive, Herouth, Women International, Zionist Organisation, Congrès Juif Mondial, etc. La collecte de fonds pour Israël est coordonnée par l'Appel Juif de France dont le Directeur Général est Raphaël Bensimon (1982). La presse juive comprenait 41 titres de journaux et de revues en 1971. Les principaux sont l'Arche, Revue du judaïsme français et Tribune Juive. Parmi les mouvements les plus militants il faudrait citer le Parti sioniste socialiste de Roger Pinto, le Parti sioniste indépendant présidé par Michel Topiol, l'Union des Etudiants Juifs de France, l'Union Sioniste de France de Benny Cohen et deux groupes dits d'auto-défense, où la pratique des arts martiaux est plus recommandée que la méditation des
oeuvres de Herzl : le Betar (antenne française d'un mouvement basé aux Etats-Unis) et, depuis 1981, la Fédération des Juifs de France. L'influence du lobby juif en France est liée encore à des personnalités du monde des affaires (Bleustein-Blanchet, avec Publicis, Marcel Dassault, Gilbert Trigano, patron du Club Méditerranée) [tous décédés depuis, mais les sociétés existent encore], des moyens de communication
(Raymond Aron, Annie Kriegel, Jean Daniel, etc.) ou de la politique et du judaïsme (le Grand Rabbin René-Samuel Sirat qui a succédé à Jacob Kaplan en janvier 1980). Or sur le plan politique, un grand nombre de
Juifs ont choisi le parti socialiste.


Le Parti socialiste et le sionisme

Il ne s'agit pas ici de reprendre les grossiers clichés de la propagande, cette fois non plus de Jérusalem mais de Damas, décrivant un François Mitterrand ligoté par un lobby juif tout puissant et un gouvernement français "noyauté d'agents sionistes". Mais la rencontre sionisme-P.S. n'est pas de pure conjoncture, elle découle d'une
tradition. Faut-il rappeler que déjà Léon Blum avait les meilleures relations avec Weizmann et qu'il fut un des cofondateurs de l'Agence juive élargie en 1929 ? Pierre Mendès-France, quoiqu'issu d'une famille Marrane portugaise très anciennement établie en France, gardait fortement son identité juive. Son meilleur biographe écrit : "Beaucoup de ses amis étaient ou sont d'origine juive, à commencer par le plus influent, George Boris. Il a épousé deux femmes juives [14]. Pendant la période où Mendès-France fut Président du Conseil (juin 1954-février 1955), François Mitterrand fut son protégé et presque son disciple en tant que jeune ministre de l'Intérieur. Mendès-France fut toujours très attaché à l'Etat juif et on a même pu lui reprocher en juin 1982 de n'avoir pas élevé la voix de son autorité morale pour dénoncer les exactions de Tsahal au Liban. Autre personnalité marquante : Daniel Mayer qui en 1966 était au Comité directeur du P.S.. Dans les années 70
le rapprochement du P.S. et des Juifs de France sur le thème du soutien à Israël se précisa. En 1973 le journal sioniste La Terre Retrouvée prenait position pour le P.S.. Le 29 octobre 1975, Mitterrand déclarait à Tel Aviv : "Les socialistes français ont des relations particulières avec Israël." Dans son numéro de juin 1978 l'Arche publiait en pleine page de couverture une photo de Mitterrand et Alain de Rothschild avec pour légende "Une poignée de mains pour resserrer les liens."


D'ailleurs aux élections législatives de 1978, d'après le très sérieux American Jewish Yearbook : "il y a tout lieu de penser que la majorité des Juifs français ont voté à gauche [15]." Lors de la campagne pour les présidentielles de 1981, la couleur fut annoncée à l'avance. Maître Henri Hajdenberg, Secrétaire général du Renouveau Juif, appela à un vote-sanction contre Giscard à cause des livraisons d'armes françaises à l'Irak [16]. Un sondage du Point révélait pour les intentions de vote de l'électorat juif : 53% pour Mitterrand et 23% pour Giscard d'Estaing [17]. Dans Tribune sioniste Roger Ascot appelait à voter Mitterrand et une Association des Juifs de Gauche (P.S.-Parti Socialiste Unifié) fut créée spécialement pour les présidentielles. Emile Touati, membre dirigeant du CRIF et éditorialiste d'Informations juives, rappelait que le critère de vote d'un électeur juif, selon lui, devait être "la souveraineté et la sécurité d'Israël" [18]. Or le Consistoire n'était pas loin de penser que ce critère, dont on peut regretter qu'il soit pour le moins éloigné de l'intérêt prioritaire, celui de la France, était avant tout respecté par le Premier Secrétaire du P.S.. Sa victoire fut célébrée avec enthousiasme en Israël et Mitterrand annonça, aussitôt son installation faite à l'Elysée, qu'il se rendrait en visite officielle sur l'invitation de Menahem Begin. Le journal Maariv se réjouissait pour sa part que le candidat Giscard ait échoué car il était "le chef de file des initiatives anti-israéliennes adoptées par la Communauté européenne".


Dès le 17 juin 1981 Alain de Rothschild, président du CRIF, écrivit au nouveau Premier ministre Pierre Mauroy pour rappeler les promesses du candidat Mitterrand d'annuler les dérogations de Raymond Barre (décidées les 24 juillet 1974 et 9 mai 1980) à la loi anti-boycottage du 7 juin 1977. Ici, l'intérêt des entreprises françaises (exportations vers les pays arabes facilitées en cas d'application partielle du boycott contre Israël) vient donc après l'intérêt d'un pays étranger. C'est aussi choquant (si l'on admet que servir le pays est la tâche
prioritaire d'un gouvernement) que, dans un autre domaine, l'allégeance inconsidérée des partis communistes envers la ligne décidée en Union Soviétique. Les liens du sionisme avec le P.S. peuvent se faire par le biais de personnalités non politiques. Ainsi Gilbert Trigano, favorable à François Mitterrand, exerce une influence importante sur les media grâce à l'énorme budget de publicité de son groupe. Une partie de la presse est vulnérable face à la menace de suspendre les publicités qui sont son principal revenu. Marcel Bleustein-Blanchet est le beau-père de Robert Badinter, dirigeant sioniste et ministre. Jean-Claude Aaron, numéro un de la promotion immobilière en France, qui a une importante participation dans le Parisien libéré, dès 1974 soutenait Mitterrand, déjà candidat pour une seconde tentative, en logeant le comité électoral du leader socialiste.


Ensuite des membres du gouvernement sont acquis au sionisme. Le cas extrême est celui de Robert Badinter, certes Ministre de la Justice, mais qui en même temps est au Comité directeur de trois organisations inconditionnelles d'Israël : le CRIF et le FSJU déjà mentionnés ainsi qu'"Ahavat-Israël". Jacques Attali, qui prépara le voyage présidentiel en Israël, est un militant sioniste convaincu, et lui aussi un des dirigeants de l'"Ahavat Israël" et du FSJU. En tant que conseiller spécial de François Mitterrand on peut imaginer qu'il ne prône pas la transformation rapide du Bureau d'information de l'OLP à Paris en poste diplomatique.


Le sénateur socialiste de Belfort, Michel Dreyfus-Schmidt, préside depuis février 1982 la section française du Congrès Juif Mondial. Serge Weinberg, militant sioniste, est chef de Cabinet de Laurent Fabius, le ministre du Budget. D'autre part Jean Poperen, considéré comme le numéro deux du P.S., est président du groupe parlementaire d'amitié France-Israël. Ces quelques exemples, au niveau des personnes, confirment l'analyse esquissée à propos de la politique étrangère envers le Moyen-Orient. Il y a désengagement par rapport à la cause palestinienne, malgré des discours qui ne sont que de convenance, mais par contre le soutien à Israël devient la clé de voûte dans l'approche des problèmes de cette région. Alors que son prédécesseur critiquait
certains aspects de Camp David, notamment la négation du droit à l'autodétermination des Palestiniens, François Mitterrand déclare le 22 avril 1981 à Europe 1 : "Le traité de Camp David est un bon traité et le P.S. est le seul des grands partis à l'avoir approuvé." Le 8 décembre 1981 le gouvernement français mécontente les pays arabes en décidant d'abandonner l'initiative européenne de Giscard sur le Proche-Orient. Edgar Bronfman, Président du Congrès juif mondial, déclare, après avoir été reçu par le président de la République, qu'il était "très rassuré" par les propos qui lui avaient été tenus [19]. En mai 1982 d'ailleurs la Commission économique mixte franco-israélienne qui avait été en sommeil pendant douze ans a repris ses travaux.

Conséquences négatives pour la France

Malgré la diversion cheyssonienne, les dirigeants de l'OLP ont immédiatement compris que l'Elysée effectuait un virage à leur détriment. Le 21 avril 1982, dans une déclaration au magazine libanais Morning News, le conseiller d'Arafat, Halil le-Hassan, était très net à ce sujet : "La nouvelle position française au Proche-Orient crée de
graves menaces pour la paix dans la région. En devenant le premier chef d'Etat à visiter Israël, Mitterrand a mis fin à l'isolement de ce pays et le sang qui est répandu depuis lors en est le résultat. Ce voyage, en effet, a donné à Begin les rênes plus libres dans les territoires occupés. Nous considérons la position de Mitterrand comme virtuellement hostile à l'OLP." Bien entendu, à court terme l'OLP est si diminuée par les massacres de Tsahal au Liban en juin 1982 que, cyniquement, sa voix pourrait être ignorée. Mais le peuple palestinien est une réalité, et derrière lui se trouve le monde arabo-islamique, immense, multiple, important pour la France et l'Europe. Or les réactions arabes ont aussi été vives. Les Etats du Golfe ont critiqué l'équilibrisme de Paris qui sous couvert de ménager les uns et les autres profite à Israël. Le Cheykh Zayed, président de l'Etat des Emirats Arabes Unis, indiquait : "Dans son discours à la Knesset, Mitterrand a manqué de fermeté par rapport au problème palestinien et n'a même pas dénoncé l'annexion du Golan [20].

Il n'est pas possible d'imputer directement la recrudescence du terrorisme international contre des biens et personnes français au revirement pro-israélien du gouvernement socialiste. Personne ne sait très bien qui manœuvre derrière ces attentats : services secrets, éléments incontrôlés, provocateurs, coups de mains téléguidés par Damas ? En tous cas il y a une corrélation évidente entre les premiers actes de Mitterrand et ces bombes ou attentats. 4 septembre 1981, l'ambassadeur de Beyrouth, Louis Delamare, est assassiné. 15 mars 1982 plasticage du Centre culturel français à Beyrouth. Toujours dans la capitale libanaise, le 15 avril 1982 un employé de l'ambassade de France et son épouse, Guy et Caroline Cavallo, sont abattus. Le 29 mars 1982 l'attentat du Capitole [c'est un train reliant Paris à Toulouse] fait 5 tués et 27 blessés. L'action se déplace alors à Vienne : dans la nuit du 18 au 19 avril des bombes endommagent l'ambassade et Air France. Le 22 avril l'explosion de la rue Marboeuf fait 60 blessés et tue une jeune passante. Le surlendemain ce sont des bombes devant l'Agence France Presse à Beyrouth, puis le 24 mai 1982 la voiture piégée devant l'ambassade de France au Liban massacre onze blessés et en blesse vingt-sept autres.


L'avenir dira si tous ces méfaits sont attribuables à la piste syrienne. Il est clair en tous cas que le capital de confiance que De Gaulle et ses successeurs avaient accumulé dans les pays arabes a été dilapidé en un an de revirement pro-israélien du gouvernement socialiste. Dès juin 1982 on observait d'importants retraits de
capitaux arabes déposés dans des banques françaises et plusieurs capitales du Golfe annonçaient leur intention de réduire le volume des échanges bilatéraux [21]. La présence française est déjà réduite à la portion congrue notamment parce que la Compagnie Française d'Assurances pour le Commerce Extérieur (COFACE) ne travaille pas assez avec les firmes moyennes ou petites. Un raidissement des relations franco-arabes ne présage rien de bon. Il n'est pas inutile de garder présent à l'esprit qu'en 1982 la France dépend à 69,8% du Moyen-Orient pour ses approvisionnements pétroliers [22].


La diplomatie française ne s'est-elle pas engagée dans une impasse ? Le Liban chrétien avant toute chose, cette recette des années 20, est-ce la voie la meilleure à la fin du vingtième siècle quand le problème palestinien devra être résolu, quand la Nation Arabe n'accepte plus le double langage et les humiliations du passé, quand surtout l'Europe a un rôle à jouer au Moyen-Orient ?


- Notes :
[1] :Claude Clément, Israël et la Cinquième République, ed. Orban,
1978, p. 78
[2] : id., p. 103
[3] : id., p. 130
[4] : id., p. 139
[5] : Samy Cohen, De Gaulle, les gaullistes et Israël, éditions Moreau,
1974, p. 159
[6] : Claude Clément, p. 171
[7] : id., p. 156
[8] : Elie Barnavi, Israël au XXème siècle, PUF, 1982, p. 293
[9] : Eurabia, avril 1981
[10] : Tribune Juive, mars 1982, interview de F. Mitterrand
[11] : L'Arche, avril 1982
[12] : Le Monde, 11 juin 1982
[13] : id.
[14] : Jean Lacouture, Pierre Mendès-France, Seuil, 1981, p. 43
[15] : American Jewish Yearbook, p. 206
[16] : Le Monde, 4 février 1981
[17] : Le Monde, 2 avril 1981
[18] : id.
[19] : Le Monde, 24 février 1982
[20] : Le Monde, 12 mars 1982
[21] : Le Monde, 23 juin 1982
[22] : Le Monde diplomatique, mars 1982.


[perso.wanadoo.fr]
a
12 janvier 2006 15:22
merci pour cette information
rachid
D
12 janvier 2006 15:55
Ce n'est pas une suprise !

Pouh ça va être chaud les futurs élections, trés chaud !

Le Kasakstan m'attend !
Vivre sous occupation, c'est l'humiliation à chaque instant de sa vie ... Résister à l'occupation, c'est vivre libre !Aujourd'hui Gaza, demain Al-Qods !
 
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