Chaque jour nous sommes assaillis de rencontres diverses. L'objectif de cette émission est de tenter une mise en cohérence, de tracer un chemin en pointillé dont chaque pas sera une réflexion de quelques minutes à propos du rôle de la science dans notre société. Car c'est le souci d'interroger l'univers qui a fait bifurquer l'aventure humaine.
Semaine du 31 Octobre 2005
Lundi
Ouvrir l'école à l'entreprise : un danger aux yeux d'Albert Jacquard.
Le rêve du PDG serait d'avoir un personel docile, soumis. Le rêve de l'enseignant : avoir des élèves qui écoutent et qui réagissent. "Si tu m'as compris, tu me jettes" écrivait Gide.
Le ministère de l'Education nationale n'est pas une entreprise. Une entreprise rentabilise les ressources : humaines, matières premières ... et met chacun en compétition. Le monde de l'éducation doit apporter autre chose.
Hélas, l'éducation adopte trop souvent le langage, les réflexes, le regard du monde de l'entreprise. On ne saurait calquer à l'enseignement les modes de fonctionnement de l'entreprise.
Les mêmes qui veulent ouvrir l'école aux entreprises, veulent favoriser l'osmose avec les familles. Un danger pour A. Jacquard car il faut que l'enfant fasse la césure avec sa famille.
A. Jacquard propose une mise en perspective historique de la question de l'enseignement en citant Adolphe Thiers. Le danger d'enseigner le savoir, c'est de donner au peuple les moyens d'un esprit critique. Vaut-il mieux en effet privilégier l'ignorance et l'ordre, ou prendre le risque du désordre, en mettant en valeur l'humain, en misant sur son respect et son devenir ?
La main à la pâte est un groupe de scientifiques qui cherchent à promulguer l'enseignement des sciences. Leur objectif est de donner aux enfants le goût de l'investigation, l'art de la question pertinente, de la construction des hypothèses. Dans notre façon d'interroger le monde, c'est aussi la manière dont notre intelligence fonctionne qui est en question. (Yves Quéré est l'auteur de "La sagesse du physicien" - éd. l'Oeil neuf)
Toujours à propos de ce groupe de scientifiques La main à la pâte, qui s'est donné pour vocation de former les enfants à l'attitude scientifique. A partir d'expériences, on laisse cheminer leurs réflexions, prenant au sérieux toutes les hypothèses, pour donner du temps à leur intelligence de forger de nouveaux concepts. La notion de rapidité n'est pas une valeur ici.
Trop souvent dans l'enseignement, c'est la vitesse et la rentabilité qui priment. L'âge de l'élève est un critère, et les cursus scolaires deviennent une course. En réalité, le rythme de construction d'une intelligence est très irrégulière et l'activité intellectuelle passe souvent d'une période de sommeil à une période d'effervescence.
A. Jacquard s'est élevé souvent ici contre la pratique des palmarès. Pourtant il en est un récent qui a le mérite malheureux de refléter une réalité ; c'est le classement des chercheurs ayant le mieux contribué au progrès des sciences. Alors que des universités anglaises ou américaines arrivent en tête, on note que la France a accumulé un énorme retard.
Dans sa dernière chronique, A. Jacquard évoque un classement mondial des meilleures universités scientifiques, dans lequel notre prestigieuse Ecole Polytechnique ne figure pas avant la 200ème place. C'est le système des concours et des classes préparatoires qui serait responsable du fiasco de l'Enseignement français de haut niveau. Quels objectifs proposent réellement ces Grandes Ecoles à leurs étudiants ?
Les classes préparatoires sont considérées en France comme la voie royale. Pourtant, quelles sont vraiment les qualités qui font cette supériorité ? A. Jacquard, qui a suivi autrefois ce parcours, pose un regard distancié et réservé sur ces élites : pour lui, il s'agit avant tout chez ces élèves d'aptitudes à se conformer à une norme, aux règles imposées. Alors que nous vivons une révolution planétaire, ces élèves apprennent surtout à maintenir la société dans l'état où elle se trouve ; ils n'ont pas d'intérêt pour le renouveau.
L'aspect le plus déplaisant des Grandes Ecoles, c'est le principe du classement : la course à la première place. Pourtant, on peut tous constater que le temps, la rapidité, n'est pas un facteur contrôlable dans le développement de l'intelligence. Les bonds soudains de notre réflexion sont souvent inattendus et dus à des errements ; le plus important étant d'analyser ses erreurs, mais cela ,justement, prend du temps.
Les techniques de pointe qu'offrent aujourd'hui nos hôpitaux auraient été considérées autrefois comme de vrais miracles. Et le recours au médecin a longtemps été réservé aux riches. Le droit aux soins quelque soit le niveau de ressources du malade et chacun selon ses besoins, représente dans notre société une véritable révolution.
Le bond vers plus de civilisation qu'a apporté le droit aux soins pour tous ne va pas sans poser de problèmes d'adaptation économique. On ne peut penser la guérison en terme de rentabilité sans s'approcher de la barbarie. Le droit aux soins est un choix politique et non économique. Ce qui fut une utopie autrefois est devenue réalité.
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