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Une rencontre, une introduction vivante à l’islam
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5 novembre 2006 20:40
Salam haleikoum,

A l'occasion de la sortie du dernier livre de Tarik Ramadan retraçant la vie du prophète paix et salut sur lui, voici un article et quelques liens. Si vous l'avez lu, merci de poster vos réactions.

Source de l'article posté ci-dessous (dans le lien, en bas de page, vous trouverez également des réactions) :
[oumma.com]

Quelques extraits du livre sur le site de Tarik Ramadan :
[www.tariqramadan.com]

Un site pour le commander : [www.amazon.fr]

L'article de oumma.com

Une rencontre, une introduction vivante à l’islam

Par Tariq Ramadan
jeudi 12 octobre 2006

L’idée initiale de ce *livre est donc de s’immerger au cœur de la vie du Prophète et d’en extraire d’abord les enseignements spirituels atemporels. En effet, de sa naissance à sa mort, sa vie est traversée d’événements, de situations et de propos qui nous renvoient à l’édification spirituelle la plus profonde. L’adhésion de la foi, le dialogue avec Dieu, l’observation de la Nature, le doute de soi, la paix intérieure, les signes et les épreuves, etc. sont autant de thèmes qui nous parlent et nous rappellent qu’au fond rien n’a changé. La biographie du Messager nous renvoie aux questions existentielles premières et éternelles : sa vie, en cela, est une initiation.

Il existe néanmoins un second type de leçons à tirer des événements historiques qui ont jalonné l’existence du Prophète. Au septième siècle, au coeur d’un environnement social, politique et culturel déterminé, l’Envoyé de Dieu a agi, réagi et s’est exprimé vis-à-vis d’êtres humains et d’événements au nom de sa foi, à la lumière de sa morale. Etudier son action dans ce contexte historique et géographique particulier devrait nous permettre de mettre en lumière un certain nombre de principes quant à la relation aux êtres humains, à la fraternité, à l’amour, à l’adversité, à la collectivité, à la justice, aux lois ou à la guerre. Il s’est donc agi pour nous d’observer cette vie avec l’éclairage de notre époque en nous demandant comment elle nous parlait encore, quels en étaient les enseignements contemporains.

Le lecteur, musulman ou non, est donc invité ici à pénétrer une vie en suivant les sinuosités d’une narration rigoureusement fidèle aux biographies classiques (quant aux faits et à la chronologie) mais qui ne cesse néanmoins d’y adjoindre des réflexions et des commentaires inspirés par les faits rapportés et ce autant sur les plans spirituel et philosophique que social, juridique, politique ou culturel. Le choix de la mise en avant de certains événements plutôt que d’autres est bien sûr déterminé par ce souci d’extraire des enseignements qui parlent à nos vies et à notre époque. Dans chacune des sections des chapitres (volontairement courts) qui constituent ce livre, on constatera de constants aller-retour entre la vie du Prophète, le Coran et les enseignements à la fois spirituels et contemporains que l’on peut extraire des différentes situations historiques.

Il s’agit au fond davantage de chercher à connaître le Prophète lui-même que de s’informer sur sa personnalité ou sur les événements de sa vie. Il est ici question d’immersion, de complicité et, au fond, d’amour. Que l’on ait la foi ou non, il n’est point impossible d’essayer de s’imprégner de la quête et du parcours du Prophète et d’accéder au souffle – à l’esprit – qui donne sens à sa mission. Telle est bien l’ambition première de cet ouvrage : faire de la vie du Messager un miroir dans lequel les cœurs et les consciences faisant face aux défis de notre époque puissent s’observer, s’étudier et s’initier aux questions de l’être et du sens comme aux réflexions plus largement éthiques et sociales.

Le texte est destiné au large public, musulman ou non. La rigueur académique, en matière de référence aux sources islamiques classiques, permet d’appréhender cette vie de l’intérieur selon les normes reconnues par les savants et les sciences islamiques alors que la narration, nourrie de réflexions et de méditations, est d’un accès volontairement aisé et cherche à traduire les enseignements spirituels et universels de l’islam. L’expérience historique du Messager est à l’évidence la voie privilégiée pour accéder aux principes éternels auxquels adhèrent plus d’un milliard de musulmans à travers le monde. Ce livre est donc aussi une introduction vivante à l’islam.

Le Messager avait appris à ses compagnons à aimer Dieu et le Coran leur avait enseigné en retour : « Dis [toi, le Messager] ! Si vous aimez Dieu, suivez moi [ mon exemple] ; Dieu alors vous aimera »[1] Ils essayaient donc de suivre son exemple portés par un amour lui-même vivifié par l’intensité de leur amour en Dieu. Cet amour était tel que ‘Umar ibn al-Khattâb, apprenant la mort du Prophète, menaça de tuer celui qui oserait affirmer qu’il était mort : celui-ci était monté au ciel et allait sans doute revenir.

Son compagnon Abû Bakr l’invita au silence et affirma : « O vous les gens, que ceux qui adoraient Muhammad sachent qu’il est mort ! Que ceux qui adoraient Dieu, sachent que Dieu est vivant et qu’Il ne meurt point. »[2] Puis il récita le verset suivant « Muhammad n’est qu’un Messager. Avant lui, d’autres Messagers ont passé. S’il mourait donc, ou s’il venait à être tué, retourneriez-vous sur vos pas ? Quiconque retourne sur ses pas ne nuira en rien à Dieu, et Dieu récompensera les reconnaissants. »[3] Ces paroles ont rappelé avec force la finitude de sa vie mais n’ont en rien diminué l’infini amour et le profond respect qu’ont continué à témoigner les musulmans pour le dernier Prophète à travers les âges.

Cet amour s’exprime par le souvenir permanent de sa vie dans leur cœur et leur mémoire, par les prières renouvelées sur le Messager et, quotidiennement, par cette exigence humaine et morale de « suivre son exemple ». Hier comme aujourd’hui. La présente biographie tente de répondre aux exigences de cet amour et de cette connaissance. La vie du Prophète est une initiation à une spiritualité qui n’évite aucune question et qui nous apprend - au fil des événements, des épreuves, des souffrances et de la quête – que les vraies réponses existentielles sont plus souvent celles du cœur que celles de l’intelligence. Profondément, simplement : il ne pourra point comprendre celui qui ne sait aimer.

******

Liberté et Amour

Le Prophète est venu aux Hommes avec un Message de foi, d’éthique et d’espérance. L’Unique y rappelle à l’humanité entière Sa présence, Ses exigences et le Jour ultime du Retour et de la Rencontre. Il est venu avec un Message et pourtant, tout au long de sa vie, il n’a eu de cesse d’écouter les femmes, les enfants, les hommes, les esclaves, les riches, les pauvres comme les exclus.

Il écoutait, accueillait, réconfortait. Elu parmi les Hommes, il ne cachait ni ses fragilités ni ses doutes. Au demeurant, Dieu l’a fait douter très tôt de lui-même afin qu’il ne doutât point ensuite de son besoin de Lui et Il lui montra la réalité de ses imperfections afin qu’il se mette en quête de Sa parfaite Grâce et demeure indulgent à l’égard de ses semblables. Il ne fut point un modèle par ses seules qualités mais également par ses doutes, ses blessures et, parfois, ses erreurs d’appréciation que, comme nous l’avons vu, tantôt la Révélation tantôt des compagnons relevaient.

Tout, néanmoins, absolument tout dans sa vie était un instrument de renouveau et de transformation : du moindre détail aux plus grands événements qui ont jalonné son existence, l’observateur, le fidèle, le croyant, tire des enseignements et s’approche de l’essence du message et de la lumière de la foi. Le Prophète priait, méditait, se transformait et transformait le monde. Guidé par Son Educateur, il résistait au pire de soi et offrait le meilleur de son être parce que tel était le sens du jihâd, tel était le sens de l’injonction appelant à « promouvoir le bien et à prévenir le mal. »[4] Sa vie était la personnification de cet enseignement.

Au cours de ce voyage d’une vie, de cette initiation offerte à chacune des étapes d’une existence vouée à l’adoration de Dieu, le cœur entre forcément en communion avec un être, un élu, qui parcourait le chemin de sa libération et de la liberté. Non point seulement la liberté de penser ou d’agir, pour laquelle il s’était d’ailleurs battu avec dignité, mais la liberté de l’être qui s’est libéré de ses attachements aux émotions superficielles, aux passions destructrices ou aux dépendances aliénantes.

Tous l’ont aimé, chéri et respecté car il avait l’exigence d’une spiritualité qui lui permettait de transcender son ego, de faire don de soi et, à son tour, d’aimer sans être lié. Un amour divin sans dépendance humaine. Il était soumis et libre. Soumis dans la Paix du Divin et libre des illusions de l’humain. Il avait dit un jour à l’un de ses compagnons le secret du véritable amour des Hommes : « Eloigne-toi de [N’envie point] ce que les hommes aiment et les hommes t’aimeront »[5] et Dieu lui avait inspiré l’autre chemin de l’Amour prolongeant cet amour : « Mon serviteur ne cesse de s’approcher de Moi par des dévotions librement décidées jusqu’à ce que Je l’aime ; et lorsque Je l’aime, Je suis l’ouïe par laquelle il entend, et la vue par laquelle il voit, et la main par laquelle il saisit, et le pied avec lequel il marche. »[6] L’Amour de Dieu offre le don de la proximité et du dépassement de soi. L’Amour de Dieu est un Amour sans dépendance, un Amour qui libère et qui élève. Alors, dans l’expérience de ce rapprochement, se manifeste en l’être la présence de l’Etre, du Divin.

Il avait suivi un chemin et s’était arrêté en différents lieux : l’appel de la foi, l’exil, le retour puis enfin le départ vers la Demeure première, le dernier Refuge. Il y avait eu une initiation et ses différentes étapes que Dieu avait accompagnées de Son amour et fait accompagner de l’amour des Hommes. Le Prophète portait un message universel autant par cette expérience de l’amour qui traversa sa vie que par cette exigence d’une éthique qui transcendait les clivages, les appartenances et les identités recroquevillées.

Il rappelait aux Hommes l’impératif d’une éthique universelle à laquelle ils devaient être loyaux d’abord au-delà de toutes appartenances partisanes. Telle était au fond la vraie liberté de l’être qui aime avec justice et qui ne se laisse pas emprisonner par ses passions raciales, nationalistes ou identitaires : son amour illuminant son sens éthique le rend bon ; son sens éthique orientant ses amours le rend libre. Profondément bon parmi les Hommes et extraordinairement libre à leur égard, telles étaient les deux qualités que tous les compagnons ont reconnues chez le dernier Prophète.

Il était l’aimé de Dieu et un exemple parmi les Hommes. Il priait, il contemplait. Il aimait, il donnait. Il servait, il transformait. Le Prophète était cette lumière qui mène à La Lumière et dans la proximité de sa vie, le croyant revient à la Source de la Vie et trouve Sa lumière, Sa chaleur et Son amour. L’Envoyé a quitté les hommes et, pour l’éternité, il leur a enseigné de ne jamais L’oublier, Lui, le Suprême Refuge, le Témoin, le Très Rapproché. Attester qu’il n’est de dieu que Dieu c’est au fond se mettre en route vers la profonde et authentique liberté ; reconnaître Muhammad comme l’Envoyé c’est essentiellement apprendre à l’aimer en son absence et apprendre à L’aimer en Sa présence. Aimer, et apprendre à aimer. Dieu, le Prophète, la Création et l’Humanité.

(*) Tariq Ramadan, « Muhammad, vie du prophète. Les enseignements spirituels et contemporains ». Editions du Châtelet.

[1] Coran 3 : 31

[2] Ibn Hishâm, As-Sîra an-Nabawyya, Dâr al-Jîl, Beyrouth, sans date, volume 6, pp. 75-76 (en arabe)

[3] Coran 3 : 144

[4] « Al-amr bil-ma`rûf wa an-nahy ‘an al-munkar » (voir par exemple Coran 22 : 41)

[5] Hadîth rapporté par Ibn Mâjah

[6] Hadîth rapporté par al-Bukhârî
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21 novembre 2006 15:48
Avec le Prophète Muhammad (Paix soit sur lui) 1/3

Rencontre avec le Sacré

lundi 22 mai 2006, par Tariq Ramadan
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Rencontre avec le Sacré


Un Dieu

Le monothéisme islamique s’est immédiatement inscrit dans le prolongement de l’histoire sacrée des prophéties. Depuis l’origine, l’Unique a envoyé à l’humanité des Prophètes et des Messagers chargés de porter le message, le rappel de Sa présence, de Ses commandements, de Son amour et de Son espérance. D’Adam, le premier des Prophètes, à Muhammad, le dernier des Messagers, la tradition musulmane reconnaît et se reconnaît dans l’ensemble du cycle de la prophétie comprenant les plus célèbres des Envoyés (Abraham, Noé, Moïse, Jésus, etc.) ; les moins connus, de même que d’autres qui nous sont même inconnus. L’Un n’a eu de cesse d’accompagner les Hommes, Sa création, de son origine à son terme et c’est le sens même du Tawhîd (l’unicité de Dieu) et de la formule coranique qui réfère autant au destin de l’humanité qu’à celui de chaque individu : « Certes nous sommes à Dieu et c’est à Lui que nous retournons »[1]

De tous les Messagers, la figure la plus importante dans la filiation du Prophète de l’islam est sans conteste Abraham. Il y a certes plusieurs raisons à cela mais le Coran, d’emblée, inscrit ce lien particulier avec Abraham par l’expression affirmée et continuée du monothéisme pur, de l’adhésion de la conscience humaine au projet divin, de l’accession du cœur à Sa reconnaissance, à Sa paix dans le don de soi. C’est le sens du mot « islam », trop souvent trop vite traduit par l’idée de simple « soumission » et qui contient pourtant le double sens de « paix » et de « don entier de soi » : ainsi le « muslim », le musulman, est l’être humain qui à travers l’histoire - et avant même la dernière Révélation - désirait accéder à la Paix de Dieu par le don absolu de son être à l’Etre. Abraham fut, en ce sens, l’expression profonde et exemplaire du « musulman » :

« C’est Lui [Dieu] qui vous a élus. Il ne vous a imposé aucune gêne dans la religion. Celle de votre père Abraham lequel vous avait nommés ‘musulmans’ avant [ce livre] et ici [dans ce livre] afin que le Messager soit témoin vis-à-vis de vous [la nouvelle communauté de foi musulmane] et que vous-mêmes vous soyez témoins vis-à-vis des gens... »[2]

Avec cette reconnaissance de l’Unique, la figure d’Abraham a un statut tout à fait singulier dans la lignée des Prophètes qui mène au Messager de l’islam pour plusieurs autres raisons fondamentales. Le livre de la Genèse[3], comme le Coran, rapporte l’histoire de la servante d’Abraham, Hagar, qui donna naissance sur le tard à son premier enfant Ismaël. Sarah, l’épouse d’Abraham, devenue à son tour mère d’Isaac, demanda à son mari d’éloigner sa servante et son enfant.


Une filiation, un lieu

Abraham emporta Hagar et Ismaël loin dans une vallée de la péninsule arabique nommée Bacca, identifiée à la Mecque actuelle par la tradition islamique. Cette dernière comme La Genèse rapporte les questionnements, la souffrance et les prières d’Abraham et de Hagar obligés de vivre l’exil et la séparation. Dans les deux traditions, l’épreuve est présentée et vécue avec l’assurance et le réconfort intime qu’il s’agit pour le couple et l’enfant de répondre à l’exigence de Dieu qui protégera et bénira la descendance d’Abraham née de Hagar. En réponse aux invocations d’Abraham concernant son fils, Dieu répond dans la Genèse : « En faveur d’Ismaël, Je t’ai entendu. Vois, Je l’ai béni... et Je ferai de lui une grande nation »[4] puis plus loin, au moment où Hagar se trouve désemparée sans nourriture ni eau : « Dieu entendit la voix de l’enfant et l’Ange de Dieu appela Hagar et lui dit : ‘Qu’as-tu Hagar ? Ne crains pas, car Dieu a entendu la voix de l’enfant dans le lieu où il est. Lève-toi ! Relève l’enfant et prends-le par la main, car Je ferai de lui une grande nation. »[5] Le Coran rapporte : « Notre Seigneur ! J’ai établi une partie de mes descendants dans une vallée stérile, auprès de la Maison sacrée, - O notre Seigneur ! afin qu’ils s’acquittent de la prière. Fais en sorte que les cœurs de certains hommes s’inclinent vers eux, accorde-leur des fruits en nourriture. Peut-être, alors, seront-ils reconnaissants. O notre Seigneur ! Tu connais parfaitement ce que nous cachons et ce que nous divulguons. Rien n’est caché à Dieu sur la terre et dans le ciel. Louange à Dieu ! Dans ma vieillesse Il m’a donné Ismaël et Isaac ! Mon Seigneur est celui qui entend et exauce les prières »[6]

Sur le plan strictement factuel, le Prophète Muhammad est un descendant des enfants d’Ismaël et il fait donc partie de cette « grande nation » annoncée dans les textes sacrés. Abraham est donc son « père » au sens premier et la tradition musulmane comprend que les prières de ce père couvrent de leur bénédiction son descendant le dernier des Prophètes ainsi que le lieu où il laissa Hagar et Ismaël et où, quelques années plus tard, il aura à vivre la terrible épreuve du sacrifice de son fils et où, enfin, il érigera avec lui la Maison de Dieu (la Ka’ba). La Révélation coranique rapporte :

« Lorsque son Seigneur éprouva Abraham par certains ordres et que celui-ci les eut accomplis, Dieu dit : ‘Je vais faire de toi un guide pour les hommes’, Abraham dit : ‘Et pour ma descendance aussi ?’ Le Seigneur dit :’Mon alliance ne concerne pas les injustes’. Nous avons fait de la Maison un lieu où l’on revient souvent et un asile pour les hommes .Prenez donc la station d’Abraham comme lieu de prière. Nous avons confié une mission à Abraham et Ismaël : Purifiez ma Maison pour ceux qui accomplissent les circuits ; pour ceux qui s’y retirent pieusement, pour ceux qui s’inclinent et se prosternent’. Abraham dit : ‘Mon Seigneur ! Fais de cette cité un asile sûr ; accorde à ses habitants des fruits comme nourriture, à ceux d’entre eux qui auront cru en Dieu et au dernier Jour »[7]


Tel est l’enseignement millénaire de la tradition islamique : Il est un Dieu et une lignée de Prophètes dont la figure centrale d’Abraham, expression archétypale du « musulman », père de sang de cette descendance d’Ismaël qui mène à Muhammad, et qui sanctifiera ce lieu sacré de l’ancienne vallée de Bacca, devenue la Mecque, par la construction - des mains même d’Abraham et d’Ismaël - de la Maison de Dieu (bayt Allah). C’est là, très exactement là, que naîtra le dernier des Envoyés pour l’humanité, Muhammad ibn ‘Abdullah, portant le message du rappel de l’Unique, des Prophètes et de la Maison sacrée. Un Dieu, un Lieu, un Prophète.



L’épreuve de la foi : doute et confiance

Ces simples faits illustrent à eux seuls bien sûr le lien particulier qui lie la vie de Muhammad à celle d’Abraham. Mais c’est plus encore la filiation spirituelle qui est révélatrice de la singularité de ce lien. L’ensemble de l’expérience abrahamique dévoile la dimension fondamentale de la foi en l’Unique. Abraham, déjà très âgé et qui vient juste d’accueillir son enfant à la vie, doit vivre l’épreuve de la séparation et de l’abandon qui mèneront Hagar et son enfant aux abords de la détresse et de la mort. Sa foi est « confiance en Dieu » : il entend (comme d’ailleurs Hagar) l’ordre de Dieu, il y répond malgré l’épreuve et la souffrance et ne cesse d’invoquer Dieu et de s’en remettre à lui. Au-delà de ses déchirements humains et par la nature même de ces derniers, il entretient et développe, au fil de ses épreuves, un rapport de fidélité, de réconciliation, de paix et de confiance avec Dieu. Celui-ci l’éprouve mais ne cesse de lui parler, de l’inspirer et de faire jalonner sa route de signes qui l’apaisent et le rassurent.

Quelques années après l’abandon dans le désert, Abraham devra vivre une autre épreuve puisque Dieu lui demande de sacrifier son premier né Ismaël. Le Coran rapporte cette histoire en ces termes :

« Nous lui avons alors annoncé (à Abraham) une bonne nouvelle : la naissance d’un garçon, doux de caractère. Lorsqu’il fut en âge d’accompagner son père, celui-ci dit : ’O mon fils ! Je me suis vu en songe, je t’immolais ; qu’y vois-tu donc ?’ Il dit : ’O mon père ! Fais ce qui t’est ordonné. Tu me trouveras patient, si Dieu le veut !’. Après que tous deux se furent soumis, et qu’Abraham eut placé son fils, le front à terre, nous l’appelâmes : ’O Abraham ! Tu as cru en cette vision et tu l’as réalisée ; c’est ainsi que nous récompensons ceux qui font le bien : voilà l’épreuve concluante’ Nous avons racheté son fils par un sacrifice solennel. Nous avons perpétué son souvenir dans la postérité : paix sur Abraham ! »[8]

L’épreuve est terrible : au nom de son amour et de sa foi en Dieu, Abraham doit sacrifier son fils, maîtriser et dépasser son amour de père. L’épreuve de la foi s’exprime ici dans cette tension entre deux amours. C’est pourtant son propre fils, objet du sacrifice, qui le réconforte et l’accompagne comme un signe et une confirmation lorsqu’il lui murmure : « O mon père ! Fais ce qui t’est ordonné. Tu me trouveras patient, si Dieu le veut ! ». Comme ce fut le cas, quelques années plus tôt avec Hagar, il trouve en autrui des signes qui lui permettent de faire face à l’épreuve. Ces signes, expression de la présence du divin au cœur de l’épreuve, ont une fonction fondamentale dans l’expérience de la foi et façonnent le mode d’être avec soi et avec Dieu. Lorsque Dieu fait subir une épreuve terrible à son Envoyé et qu’Il accompagne cette dernière de signes de Sa Présence et de Son soutien (les propos de confirmation de la femme ou de l’enfant, une vision, un rêve, une inspiration, etc.), il l’éduque dans la foi et lui impose une double attitude : il doute de soi, de sa force, de sa foi à l’instant même où les signes l’empêchent de douter de Dieu. L’épreuve de la foi, accompagnée des signes de la présence du divin, est donc une école de l’humilité et de la reconnaissance du Créateur. Abraham subit l’épreuve et est tenté par un profond doute quant à soi, sa foi, la véracité de ce qu’il entend et comprend. Les inspirations, les confirmations de sa femme comme de son fils (qu’il aime et qu’il sacrifie au nom de l’amour divin), lui permettent de ne point douter de Dieu, de Sa présence et de Sa bonté. Le doute « quant à soi » se marie à la profonde « confiance quant à Lui ».

De fait l’épreuve de la foi n’est jamais « tragique » dans la tradition islamique et en ce sens l’histoire d’Abraham si elle est rapportée de façon similaire en beaucoup de points en ce qui concerne l’histoire de Hagar et d’Ismaël est fondamentalement différente de celle de la Bible quant à l’expérience du sacrifice. On lit dans la Genèse :

« Or, après ces événements, Dieu mit Abraham à l’épreuve et lui dit : ’Abraham’ ; il répondit : ’Me voici’. Il reprit : ’Prends ton fils, ton unique, Isaac, que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu l’offriras en holocauste sur celle des montagnes que je t’indiquerai. (...). Abraham prit les bûches pour l’holocauste et en chargea son fils Isaac ; il prit en main la pierre à feu et le couteau, et tous deux s’en allèrent ensemble. Isaac parla à son père Abraham : ’Mon père’ dit-il, et Abraham répondit : ’Me voici, mon fils’. Il reprit : ’Voici le feu et les bûches ; où est l’agneau pour l’holocauste ?’. Abraham répondit : ’Dieu saura voir l’agneau pour l’holocauste, mon fils’ Tous deux continuèrent à aller ensemble. »[9]

Abraham doit sacrifier son fils et il vit ici cette épreuve dans une absolue solitude. A la question directe de son fils : « où est l’agneau pour l’holocauste ? », Abraham répond de façon elliptique. Il est seul à répondre à l’appel de Dieu. Cette différence entre les deux narrations est apparemment anodine mais elle a pourtant des conséquences fondamentales dans la perception même de la foi, de l’épreuve de la foi et de la relation de l’être humain à Dieu.


Expérience tragique ?

Cette solitude tragique de l’Homme faisant face au divin traverse l’histoire de la pensée occidentale depuis la tragédie grecque (avec la figure centrale du rebelle Prométhée face aux dieux de l’Olympe) jusqu’aux interprétations chrétiennes existentialistes et modernes à l’instar de l’œuvre de Sören Kierkegaard[10]. La récurrence du thème de l’ « épreuve tragique de la foi solitaire » dans la théologie et la philosophie occidentales a associé à cette réflexion la question du doute, de la révolte, de la culpabilité, du pardon et a, à son tour naturellement façonné, le discours sur la foi, l’épreuve et la faute.[11]

Il faut néanmoins se méfier des analogies apparentes. Certes les histoires des Prophètes, et notamment celle d’Abraham, sont rapportées respectivement dans les traditions juive, chrétienne et musulmane. Apparemment de façon similaire : à l’étude on s’aperçoit cependant que les narrations sont différentes et ne présentent pas toujours ni les mêmes faits ni les mêmes leçons. Ainsi, à celle ou à celui qui entre dans l’univers de l’islam et cherche à rencontrer et à comprendre « le sacré » islamique et ses enseignements, il faut demander de faire l’effort intellectuel et pédagogique de se dépouiller - le temps de cette rencontre - des liens naturels qu’elle/il a pu établir entre l’expérience de la foi, l’épreuve, la faute et la dimension tragique de l’existence.

La Révélation coranique rapporte les histoires des Prophètes et tout au long de cette narration, elle façonne dans l’esprit et le cœur du musulman un rapport au Transcendant qui ne cesse de mettre en avant la permanence de la communication par l’intermédiaire des signes, des inspirations, et, au fond, de la présence très intime de l’Unique comme l’exprime si bien ce verset du Coran : « Si Mon serviteur te questionne à mon sujet : Certes, Je suis proche. Je réponds à l’appel de qui M’appelle quand il M’appelle. » [12] Tous les Envoyés ont, comme Abraham et Muhammad, vécu l’épreuve de la foi et tous ont, de la même façon, été protégés d’eux-mêmes et de leurs doutes par Dieu, Ses signes et Sa parole. Leur souffrance n’est point synonyme de faute et elle ne révèle pas non plus une quelconque dimension tragique de l’existence : elle est plus simplement une initiation à l’humilité comprise comme une étape nécessaire à l’expérience de la foi.

Parce que sa vie a exprimé l’essence manifestée et vécue de ce message, la rencontre avec le Prophète Muhammad est un moyen privilégié d’accéder à l’univers spirituel de l’islam. De sa naissance à sa mort, l’expérience de cet Envoyé marie - bien loin de tout tragique humain - l’appel de la foi, l’épreuve parmi les hommes, l’humilité, et la quête de paix avec l’Unique.


[Extrait du prochain livre de Tariq Ramadan
sur la Sîra, Vie du Prophète Muhammad :
Enseignements Spirituels et Contemporains.]

[1] Coran 2 , 156
[2] Coran, 22,78
[3] Genèse, 15,5
[4] Genèse, 17 :20
[5] Genèse, 21 :17-19
[6] Coran, 14 : 37-39
[7] Coran, 2 : 124-126
[8] Coran 37 : 101-109
[9] Genèse 22/1-2 et 6-8 ; Traduction oecuménique (TOCool, Livre de poche, 1980
[10] Notamment son analyse sur l’expérience d’Abraham dans son ouvrage Craintes et Tremblements (1843)
[11] Voir à ce sujet notre analyse dans Islam, le face à face des civilisations, Quel projet pour quelle modernité ? Tawhîd, Lyon, 1995, (Troisième partie : Valeurs et finalités)
[12] Coran 2 : 186

Source : [www.tariqramadan.com]
s
21 novembre 2006 15:51
Sur OummaTV : cliquez sur le lien ci-dessous et regardez la vidéo

Qui était véritablement le Prophète Muhammad ?

Pourquoi un livre sur le Prophète ? Quelles sont les sources utilisées ? Qui était véritablement le Prophète Muhammad ? Autant de questions auxquelles Tariq Ramadan tente de répondre sur OummaTV à l’occasion de la parution de son dernier livre « Muhammad, vie du prophète. Les enseignements spirituels et contemporains » aux éditions du Châtelet. Tariq Ramadan est professeur à l’université d’Oxford (St. Antony’s College) et Senior Research à la Lokahi Foundation.

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