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Religion. Les chasseurs de lune
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28 octobre 2006 11:40
Par Abdellatif El Azizi



Depuis des décennies, le début (et la fin) du ramadan sont conditionnés par une observation de la lune à l'œil nu. Bien huilé, le rituel n'en prête pas moins le flanc à la critique.


“Jeûnez après l'observation du croissant et célébrez la fin du ramadan après l'observation”, dit le Prophète dans un hadith, relatif au début et à la fin du 9ème mois hégirien. Un hadith que les Marocains respectent à la lettre : pour déterminer le début du mois du jeûne, nous continuons, 14 siècles plus tard, à scruter l'horizon après le coucher du soleil dans l'espoir d'apercevoir un bout de lune.


Et pour ce ramadan, la tâche fut particulièrement ardue. “Traditionnellement, le début du mois survient quand le premier croissant de la nouvelle lune est visible à l'œil nu. Or, ce premier quartier n'est pas toujours facile à discerner”, explique Ahmed Abbadi, le Directeur des affaires islamiques. “Pour ce ramadan, le croissant était suffisamment visible. Mais comme il était trop proche de la ligne d'horizon au moment du coucher du soleil, la luminosité excessive a gêné la vision”. Cela n'a cependant pas empêché le ministère des Habous de décréter le jeûne pour le 24 septembre 2006.

Un panel hétéroclite
Ils sont quelques centaines de fonctionnaires, de Adouls, de juges et même de militaires à se partager la lourde responsabilité de donner aux Marocains le “starting shot” du ramadan. Sous la supervision d'une équipe du département de la “Mouraqabat Al Ahila”, divers intervenants sont ainsi mobilisés chaque année pendant les trois derniers jours du mois de Chaâbane.

Ces derniers sacrifient chaque année à un rituel immuable : une équipe d'experts, spécialisée dans les calculs astronomiques, prévient le ministère de l'imminence de l'apparition de la lune. Ces astronomes formés à l'école du “Tawqit” de Salé travaillent en collaboration avec leurs homologues à l'étranger pour échanger les données scientifiques. Et une fois “l'alerte” donnée, c'est le branle-bas de combat au niveau des points d'observation.

Répartis sur 70 points, correspondant aux provinces du pays, les délégués des Habous se mettent alors sur le qui-vive et restent en contact permanent avec ces vigiles que sont les Adouls et autres juges.
L'armée est également dans le coup. Ainsi, en vertu d'un accord signé entre l'Etat-major et les Habous, les militaires en poste dans les camps reculés du Sud sont habilités à observer l'apparition de la lune. “En général, nous n'avons pas de difficultés à trouver des candidats pour effecteur cette opération. Les soldats se sentent ainsi plus utiles et tirent une grande fierté, quand c'est le cas, d'être les premiers à signaler l'apparition de la lune”, confirme un officier des F.A.R.

Point commun de ce panel hétéroclite de super-observateurs : une acuité visuelle irréprochable. Car tous ne se servent en tout et pour tout que de leurs mirettes : point de jumelles et encore moins de télescope. Bref, la technologie, connais pas ! Pour autant, la compétence des observateurs marocains est aujourd'hui largement reconnue à l'échelle internationale. Une fiabilité constatée notamment par des experts européens, comme Cheikh Ya'qub al-Qasmi, président du “Majlis Tahqiqat Shar'iyya” de Grande-Bretagne.

Résultat, de nombreux pays européens, dont la France, ont décidé depuis quelques années de se mettre à l'heure marocaine pour les dates du ramadan.

C'est que le travail du team d'observation suit un processus bien huilé, qui laisse peu de place à l'erreur. Comme le calendrier lunaire hégirien considère que le jour commence à l'aube et finit avec le coucher du soleil, les membres de cet observatoire hétéroclite se fient à des observations se basant sur la taille du croissant de lune à l'aube et au coucher du soleil.

Dès qu'une première apparition est signalée, l'équipe chargée de la question s'entretient au téléphone avec la personne concernée pour avoir plus de détails. Avec des précisions sur le lieu de l'observation, la forme du croissant, les directions vers lesquelles sont orientées ses pointes... Après ce premier examen oral, le “témoin” se doit ensuite de consigner son observation par écrit pour l'envoyer par fax au ministère des Habous.

Ce dernier ne se contente d'ailleurs jamais d'un seul témoignage : une douzaine au minimum est nécessaire pour que l'apparition de la lune soit cautionnée (voir encadré). Auquel cas, le ramadan débute le lendemain.

Une fonction politico-religieuse
Institutionnalisé depuis des décennies, ce cérémonial n'est pas pour autant à l'abri de la critique. Chaque année, une petite controverse sur l'apparition de la lune prend place. Avec une question en filigrane : la vision du croissant dans un pays musulman implique-t-elle, comme le pense le fameux Youssouf Qaradawi, que tous les pays sont tenus de jeûner ? La détermination du début du ramadan aurait-elle une fonction plus politique que spirituelle ? “Qui peut nier que dans des contextes divers, des pouvoirs cherchent à se servir du mois du jeûne, de sa sacralité et de ses immenses capacités de mobilisation, pour mieux assurer leur légitimité ?”, s'interroge ce professeur de Sciences islamiques.

En effet, cette dimension politique du jeûne apparaît clairement quand on remarque la réticence de nombreux pays à privilégier l'approche scientifique et à adopter une date commune pour le début et la fin du jeûne. Pour Mohamed Darif, l'explication est à chercher du côté de la volonté farouche de chaque chef d'état musulman à protéger son propre champ religieux de l'ingérence des autres sources extérieures. “Les foukaha officiels ont pour rôle essentiel de légitimer le pouvoir. En conséquence, que ce soit pour le ramadan ou pour tout autre fait de la sphère religieuse, ils privilégient une approche purement locale. La question du ramadan a d'ailleurs souvent été au centre de conflits entre le pouvoir et les oulémas eux-mêmes”.

Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que le Cheikh Yassine est l'un des plus fervents supporters de l'unification des dates du ramadan. L'instrumentalisation politique du phénomène est d'ailleurs largement usitée par les salafistes, qui vont par militantisme jusqu'à jeûner et fêter l'Aïd à l'heure saoudienne, référence wahhabite oblige. “L'Arabie Saoudite est considérée par de nombreux marocains comme l'unique détenteur de la légitimité symbolique, à cause de la présence sur son sol de nombreux lieux saints, dont la Mecque”, explique un alem. Pour mémoire, en 1979, au lendemain de la proclamation de la Révolution Islamique Iranienne, de nombreux oulémas tangérois avaient décidé de jeûner en même temps que les Iraniens, soit deux jours avant les Marocains. Hassan II ne s'était pas privé d'ordonner leur mise immédiate aux arrêts.

Calculs scientifiques ou observation empirique ? Si aucune démarche ne semble pouvoir mettre les pays musulmans d'accord, la polémique sur la date a poussé de nombreux intervenants scientifiques à militer pour un calcul astronomique rationnel du calendrier. Pour ces derniers, les millions de pratiquants, qui attendent chaque année avec une même incertitude le verdict de “la nuit du doute”, mériteraient peut-être plus de respect.





Ailleurs. Comment font les autres ?

De tous les pays musulmans, la Turquie et la Tunisie sont les seuls à avoir définitivement adopté le calcul astronomique pour fixer le début du mois de ramadan. Quant aux autres pays, qui privilégient l'observation à l'œil nu, le seul point de divergence s'arrête au nombre et à la qualité des personnes habilitées à assurer l'observation de la nouvelle lune. En Arabie Saoudite, le témoignage d'une seule personne qualifiée est suffisant pour déclarer le début ou la fin du mois, alors qu'au Pakistan, on préfère se fier au témoignage de plusieurs personnes… qui ne sont pas nécessairement qualifiées pour le faire. Dans certains pays, une récompense substantielle est même accordée au premier témoin. Ces différences sont essentiellement liées au courant de rite islamique appliqué par le pays en question. À titre d'exemple, d'après le rite malékite, l'attestation d'une douzaine de personnes qualifiées est nécessaire pour que l'apparition de la lune soit cautionnée.



Tel Quel n°244
l
29 octobre 2006 00:37
A mon humble avis, nous devrions tous nous metre d'accord et avoir confiance les uns aux autres pour décréter Ramadan pour tous et toutes le même jour...Mais c'est Dieu qui sait...
 
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