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Le récit du rescapé turc de l'incident mortel qui déclencha les émeutes...
Y
5 janvier 2006 14:21
Salam,

C'est trop triste quand je lis cet article, j'attends l'enquête que je trouve très longue. Juste pour dire que ce ne sont pas des voyous ou des racailles comme le dit Sarkosy.


Le récit du rescapé turc de l'incident mortel qui déclencha les émeutes urbaines en France

Muhittin Altun, 17 ans, rescapé du transformateur EDF où ont péri ses amis Bouna et Zyed, à Clichy-sous-Bois, le 27 octobre. Grièvement brûlé, il est sorti de l'hôpital après les émeutes.
Choqué grave

Par Judith PERRIGNON
Libération samedi 31 décembre 2005

Muhittin Altun en 3 dates
Mars 1988
Naissance à Halfeti (Turquie).
2001
Arrivée en France.
Octobre 2005
Mort de Bouna Traore et de Zyed Benna sur le site EDF de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Muhittin est gravement brûlé.

Il est rentré à Clichy-sous-Bois un jeudi. Le lendemain, il a disparu pendant trois longues heures. On l'a retrouvé hurlant à la mort devant le commissariat de Livry-Gargan. Il avait refait le chemin à l'envers, longé le site EDF, traversé le parc, frôlé du souvenir le terrain de foot, et l'ultime partie avec Bouna et Zyed. Il pleurait face à la police. On l'a ramené chez lui, allée Victor-Hugo. Rez-de-chaussée. Hall vert qui s'écaille. Appartement impeccable, bouquets de fleurs en tissu et de petites soeurs, et au fond, derrière une cloison dans le salon, un lit superposé, le coin du fils aîné. L'hôpital Rothschild qui avait soigné ses brûlures a faxé une ordonnance à la pharmacie de Clichy. Muhittin Altun prend aujourd'hui des anxiolytiques à haute dose.

Sa capuche, ses écouteurs qui débordent de rap, ses yeux très noirs, dessinent un portrait robot du jeune de banlieue, où la rétine française veut voir dérives et crimes, passés ou à venir. Deux traits verticaux lui barrent le front, c'est plus qu'une mine de petit dur, on dirait deux coupures. Il fronce les sourcils. Il ne tient pas en place. Il se lève, tourne en rond, se rassied, propose d'enlever son blouson, son sweat-shirt, pour montrer les pansements sur ses bras, ses cuisses, son dos. 10 % de son corps a été grièvement brûlé, on lui a greffé de la peau. Il entend des doutes : «Y a des gens qui disent : "Comment t'es sorti de là-bas ?"» Ces mots, c'est surtout sa peine de survivant qui les lui souffle. Il n'a pas réussi à aller voir les parents de Bouna et Zyed : «J'y arrive pas, ils vont penser qu'ils ont perdu leur fils et que moi je suis là.» Il a une question, c'est celle que posera à la police le juge saisi par les familles pour non-assistance à personne en danger. «Le seul truc que je veux savoir, c'est pourquoi on nous a laissés sur le terrain sans rien faire.» Une demi-heure s'écoule entre l'escalade du mur et la décharge mortelle de 18 h 12. Les policiers n'ont prévenu ni EDF, ni les pompiers. Muhittin, dans son français parfois approximatif, raconte «les sirènes» et «la voix des chiens».

Tout commence et tout s'arrête avec ce moment-là. Depuis, Muhittin est en état de sidération.

Mehmet Dogan est avec lui. Il a 19 ans, ne le quitte pas d'une semelle. Il veille. Il a peur d'une connerie. Il déteste sa vie, mais il veut bien être la mémoire, la voix et le sourire perdu de Muhittin. «Avant, toujours, on rigolait. Je me rappelle quand il est arrivé, il parlait pas bien français, il jouait au foot devant la porte de chez lui.» Il avait 13 ans, il venait de Turquie, de Sanliurfa, ville de la plaine de Mésopotamie, à 20 kilomètres de la frontière syrienne, mélange d'Arabes, de Turcs et de Kurdes. Il y a là-bas une fontaine cernée de bassins que la légende retient comme celle d'Abraham. Muhittin y a grandi avec sa mère, ses trois soeurs et l'argent qu'envoyait le père parti faire le maçon en France alors que son fils avait 8 mois. La famille n'a suivi que treize ans plus tard. Muhittin a un titre de séjour de dix ans : «Mes potes sont français, ils ont la carte bleue.» Il nomme la carte d'identité comme celle qui donne l'argent. Il sait pourtant que ça n'a rien à voir : «Mes potes, ils sont au chômage.» Il est retourné en Turquie, cet été. A son retour, muni d'une photo, il parlait de sa fiancée. Il chattait avec elle sur l'Internet, à la téléboutique du centre commercial, 2 euros la demi-heure. «Il parlait grave avec sa meuf», raconte Mehmet. Il disait qu'il l'aimait, qu'il voulait trouver du travail, aller la chercher avec une belle voiture, et l'épouser. Il ne voulait plus aller au collège, il était en troisième, la principale de l'établissement faisait son possible pour le retenir, mais il répétait : «Faut qu'on travaille, même si je dois nettoyer les toilettes.» Mehmet lui répondait : «Marie-toi pas si t'as rien. Il faut 20 000 euros et tu te maries.» Il abordait ce passage où l'école achève de remplir les journées. Il allait docilement à la mosquée le vendredi en fils de famille pieuse, il faisait du quad le dimanche grâce au service jeunesse de la ville, il ne fumait pas de cannabis, il «traînaillait» avec ses copains du côté du centre commercial ou autour de la «Play». «Pas un violent», raconte Mehdi, l'éducateur. Il rentrait à 19 heures pétantes, parce qu'à 19 h 5 son père criait. Il avait arrêté le foot au Raincy, ça finissait trop tard: «Mon père voulait pas que je sois dehors.» Ce père si rarement vu jusqu'à l'adolescence, homme au chômage depuis deux mois, ferme et isolé parce qu'il parle mal français, il lui obéit. «Il écoute grave son père», dit Mehmet.

Muhittin a un casier judiciaire vierge mais une longue et banale histoire avec la police.

Quand Muhittin va au cinéma, c'est à Rosny 2 : «Je me fais contrôler.» Quand il va à Paris : «Habillé comme ça, je me fais contrôler.» Quand il va chercher une baguette un soir au supermarché à 100 mètres de chez lui, un policier l'arrête : «Pourquoi tu cours ?» «Je suis contrôlé tout le temps, les flics du Raincy, de Livry, tous ils m'ont contrôlé. Mon père, il me tape pas, il crie. Pourquoi je me mange des claques par les policiers? Moi, je suis pas une racaille.» Alors, il a couru avec les autres le 27 octobre dernier quand la police s'est approchée. Rien à se reprocher, martèle-t-il, rien fait du côté de la baraque de chantier où la petite bande fut remarquée. Mais courir. «Parce qu'on en a marre de se faire contrôler. Un contrôle d'identité, ça ne se passe jamais bien.»

«Il était premier au cross au collège !» improvise Mehmet. «Tu te souviens ?» Pas de réaction. C'est trop loin. Les dernières semaines ont saturé sa mémoire. Elle est quadrillée de flashballs et d'uniformes, qui le pourchassent. La police est venue prendre sa déposition à l'hôpital. «Ils allument leurs clopes, et me disent : "Avec vos conneries, t'as vu ce qui se passe à Clichy-sous-Bois !" Après ils voulaient que je signe, j'avais mal à la main à cause des brûlures. Ils m'ont dit : "T'as qu'à mettre une croix."» Dans la chambre d'à côté, il y avait cette femme brûlée par une bande, dans un bus, au plus fort des émeutes. «Elle était à côté de moi, elle a rien à faire dans l'histoire. Même si on crame toute la France, ça va ramener quoi ?» Dans les couloirs passaient des médecins penchés sur ses brûlures et la laideur des faubourgs: «Ils me demandaient si j'allais à l'école, je leur disais : "Oui, mais c'est comme être à la rue." Ils me disaient qu'il fallait s'accrocher. Je leur disais : "Non, ça marche pas pour nous."» Le juge est resté une heure et demie. Muhittin est pressé de le revoir. «Le juge, il va comprendre.» «La justice doit réparer. Elle est investie d'un pouvoir symbolique considérable», estime l'avocat des trois familles, Jean-Pierre Mignard. Pour Muhittin, il demandera dès que possible la nationalité française: «On la lui doit.»

Depuis sa sortie d'hôpital, Muhittin marche beaucoup. «J'arrive pas à rester chez moi.» Il envoie des textos vers la Turquie. Son oncle lui a offert un portable. Il est venu d'Allemagne pour Noël, il tient une pizzeria pas loin de Francfort. Il a proposé à Muhittin de venir travailler à ses côtés pour se changer les idées. Muhittin a dit non : «J'ai mes potes ici.» Il défait la fermeture de son blouson, sort un tirage grand format, la photo des copains le jour de son retour de l'hôpital, serrés dans le salon de ses parents où l'on ne pénètre pas sans enlever ses chaussures. Mais la famille Altun veut partir. Dans une chemise jaune, elle a glissé un dossier de demande de logement. La première piste à Noisy-le-Sec n'est pas la bonne. La vue donne sur un cimetière.



Sources:
[www.liberation.fr]
a
5 janvier 2006 14:35
no comment
 
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