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la réalité cubaine
M
1 août 2004 12:16
Extrait de cuba solidarity project:

"Cuba n'est pas un commissariat



D'une manière générale, l'information relative à Cuba surfe sur un socle de semi-vérités, d'omissions, consolidées par l'absence de point de vue contradictoire sur la réalité contrastée de l'île des Caraïbes. L'article de Christian Sorg (Coups bas à Cuba, Télérama N° 2845 du 21 juillet 2004) s'inscrit dans la tonalité de Reporters Sans Frontières ; l'acharnement anti-cubain de cette officine lui valut naguère l'exclusion de la liste des ONG agréées par l'ONU et plusieurs condamnations en France. Les Cubains affirment disposer des preuves de ses liens avec la CIA. Pour ma part, je note que ses cibles privilégiées, voire obsessionnelles, sont toujours des pays pauvres placés dans le collimateur de l'oncle Sam. Pour son classement 2003 des pays respectant la liberté de la presse, RSF a eu recours à un stratagème sidérant afin de ne pas épingler les USA, pourtant coupables de la mort de nombreux journalistes en ex-Yougoslavie, Afghanistan, Irak : elle classe le pays de Bush en deux fois, une sur son territoire, une à l'extérieur. Du coup, les USA (où la presse a fait croire à son peuple que Saddam Hussein était complice de Ben Laden) sont bien classés !

A la lecture des quatre pages signées Ch. Sorg, je suis étonné qu'il ait vu tant de policiers partout et qu'il ait entendu les Cubains parler du « Lider maximo » (expression inventée par la CIA). Ch. Sorg a-t-il trouvé à Cuba une statue, un portrait officiel de Castro, une seule rue portant son nom ?). De plus, comment peut-on évoquer la pénurie alimentaire sans même écrire une fois le mot « blocus » ? Quant aux journalistes étrangers, trente agents castristes « seraient chargés d'espionner chacun d'entre eux » (d'après RSF). Soyons précis : « seraient » ou « sont » ?

Je vous propose ci-dessous un autre point de vue mais aussi quelques renseignements dont la véracité sera mise en doute tant ils contredisent les idées martelées, et donc apparemment incontestables.

Les USA ont déclaré la guerre à Cuba. Les USA ont publié la liste des pays susceptibles de subir le sort de l'Irak. Cuba y est désigné comme « Pays ennemi, terroriste et cible potentielle ». La sixième agression US contre Cuba en à peine plus d'un siècle est donc annoncée. Les Mexicains, facétieux, disent : « C'est par malice que Dieu a placé notre grand ami américain si près de nous ». Un tout récent rapport officiel (450 pages) du gouvernement US expose dans les moindres détails la future gestion de l'île sous protectorat.

Les USA font une fixation sur Cuba. Faut-il rappeler les multiples tentatives d'assassinat fomentées à Miami et visant Fidel Castro ? Naguère, des « agents de la CIA » (en réalité agents doubles de la Sécurité cubaine) ont révélé la nature des renseignements voulus par les USA : emplacement de la voiture de Castro dans les cortèges, compagnie d'aviation utilisée quand il quitte l'île, noms de ses médecins, réactions possibles du peuple s'il mourait brutalement, banques étrangères travaillant avec Cuba (afin des les en dissuader), nature et quantité de pesticides en stock, types de maladies virales qui affectent la population, médicaments disponibles (de mystérieuses épidémies ont frappé l'île dans les années 70 et 80, affectant les Cubains, les plantations de cannes à sucre, de café, de tabac, le cheptel).

Au printemps 2003, le représentant des intérêts américains à la Havane, James Cason, a créé à Cuba un « Parti de la Jeunesse Libérale cubaine » (imaginons l'Ambassadeur d'Allemagne en France créant un parti à Paris en 1939). Le même Cason subventionnait des groupes pro-américains (jusqu'à 100 $ par mois et par militant, soit cinq fois le salaire moyen d'un Cubain et deux fois celui d'un ministre) contre l'obtention d'informations en vue d'organiser (et, si possible, de hâter) un après-Castro à la sauce américaine.

Cuba est étranglée par le blocus. Depuis 44 ans, le blocus US étrangle Cuba. L'ONU exige régulièrement sa levée : en 2002, la onzième résolution en ce sens a recueilli 173 voix pour et trois contre : les USA, Israël et les îles Marshall. Les biens de consommation non produits à Cuba et disponibles sur le marché US doivent être importés d'au-delà des océans. Les prix d'achat en sont doublés. Pis : la loi Helms-Burton (1996), du nom de deux sénateurs Etats-uniens, interdit pratiquement à toute entreprise de quelque pays que ce soit de commercer avec Cuba (plusieurs pays européens ont négocié quelques dérogations. Ceux qui violent ce diktat imposé au monde entier par un seul gouvernement encourent d'exorbitantes pénalités (destinées à dédommager les Américains expropriés par la révolution) et sont exclus de tout commerce avec les USA ; leurs dirigeants et leur famille (y compris les enfants) ne pourront plus entrer dans ce pays.

James Sabzali., un Canadien, a été inculpé en 2002 aux Etats-Unis pour avoir vendu à des hôpitaux cubains des résines pour la purification de l'eau, utiles notamment pour les dialyses.

Flux migratoire et piraterie encouragée. Cuba a signé avec les USA un accord migratoire permettant la sortie de 20 000 cubains par an. Mais l'Administration Bush délivre les visas au compte-gouttes afin d'encourager les sorties illégales, de crier au goulag-que-le-peuple-fuit. Notons à ce sujet que tout Latino-américain cherchant à rejoindre l'Eldorado US est un émigrant économique, sauf s'il est Cubain, c'est-à-dire, du coup, « réfugié politique ». Une loi états-unienne spéciale (loi d'ajustment) permet aux Cubains arrivant aux USA après un acte de piraterie de bénéficier d'un visa (les autres Latino-américains arrivant illégalement vont en prison).

Une zone de non-droit. Cependant, j'ai connaissance de tortures qui, à Cuba, sont ou ont été infligées à de centaines de prisonniers : les malheureux, pieds et mains liés, affublés de moufles, de bandeaux, de bouchons d'oreilles pour anéantir toute sensation et les détruire psychologiquement, sont parqués dans des cages en plein air entre deux interrogatoires avec interdiction de parler entre eux, parfois confinés dans des containers, souvent tabassés comme l'ont attesté des cicatrices constatées sur plusieurs d'entre eux (reconnus innocents et libérés). Ni la presse, ni des avocats n'ont pu s'approcher du lieu du supplice. Le chef d'inculpation n'est pas notifié, les familles ne sont pas admises, les tentatives de suicide (pourtant condamnées par la religion des prisonniers) sont légion. L'endroit est déclaré zone de non-droit. Ce scandale de la base américaine de Guantanamo où croupissent entre autres huit Français, cet îlot de dictature féroce, n'arrache pas même un soupir à nos édiles et inspire chichement notre intelligentsia.

Les tyrannies sanguinaires sont ailleurs. Cuba, depuis sa révolution, est un des rares pays d'Amérique latine où l'on ne retrouve pas au petit matin des cadavres d'adversaires sur les trottoirs ou dans les terrains vagues, où n'a jamais été constatée une disparition d'opposants (30 000 disparus en Argentine pendant la dictature des capitaines). Jamais depuis 45 ans, l'armée ou la police ne se sont tournées contre leur peuple. Ce dernier (ô pénurie !) ignore l'odeur des gaz lacrymogènes. Entre 1995 et 2001, 196 journalistes ont été tués dans le monde, 40 en Amérique latine, zéro à Cuba. Ce qui ne signifie pas que le pluralisme de la presse y soit satisfaisant, mais seulement que ceux qui réclament ne finissent pas à la décharge. Au demeurant, il faut ajouter aux « trois journaux cubains » que vous répertoriez, la multitude de journaux catholiques qui paraissent librement, dès lors qu'ils n'encouragent pas les visées guerrières américaines sur l'île et les préconisations du FMI. L'état de guerre fait de Cuba un pays aux lois rigoureuses pour ses adversaires, mais jamais une exécution extra-judiciaire n'a été notée. Le gouvernement cubain, par éthique, est hostile à la peine de mort (appliquée en 2003 à 3 pirates de la mer, elle ne l'était plus depuis 3 ans et ne l'a plus été depuis, contrairement aux pratiques de son puissant voisin). Il aspire à la paix qui lui permettra de l'abolir.

Enfin, on lit souvent que tous les opposants sont emprisonnés. Onze mille Cubains viennent d'user d'un droit prévu par la constitution en signant une pétition (le projet Varela) pour une ouverture politique. Ils ne sont pas poursuivis.

Deux ou trois choses encore. Cuba, où l'espérance de vie ne cesse de croître, est le pays du monde qui forme le plus de médecins, le seul pays d'Amérique latine ou l'avortement est légalisé (aux USA, 30 Etats y ont adjoint des restrictions), où l'homosexualité est légale (réprimée dans 16 Etats américains), où les mariages inter-raciaux sont plus que fréquents (0,6 % aux USA). A Cuba, les enfants ne dorment pas dans les rues ou dans les gares, ils ne sont pas vendus, prostitués, enlevés pour prélèvement d'organes, assassinés par des escadrons de la mort, et pas davantage analphabètes. Parmi les pays pauvres, Cuba est le seul où le taux de scolarisation des filles est proche de 100%. Le taux de population carcérale à Cuba est inférieur à celui des USA. 85% des Cubains sont propriétaires de leur logement. Enfin, le système économique cubain dispense à tous une alimentation équilibrée (mais peu abondante, il est vrai), avec des rations garanties de lait pour les petits enfants et de viande bovine pour les adolescents.

Cuba est un laboratoire. Non seulement Cuba produit de plus en plus les médicaments dont le blocus la prive (elle en exporte même), mais elle découvre des vaccins qu'elle propose aux pays pauvres.

Cuba est un laboratoire social, le seul pays du tiers-monde où les citoyens jouissent pleinement de libertés essentielles : celle de ne pas mourir à la naissance (la mortalité infantile est de 6,5 pour mille, c'est-à-dire égale ou inférieure à celle des pays riches. Elle est de 20 pour mille en Amérique latine et atteint 200 pour mille dans certains pays d'Afrique, 250 pour mille en. Afghanistan), celle d'être scolarisé, celle d'être nourri à suffisance, d'être soigné, d'avoir un travail, un toit, (je sais, d'autres libertés manquent, mais s'agit-il de les ajouter ou de les substituer aux premières ?). Cuba (par effets du blocus érigés en doctrine) est un laboratoire écologique : recours systématique aux énergies renouvelables, aux engrais organiques, refus proclamé du modèle occidental de croissance qui épuise la planète et bouleverse les climats. Les tenants du « développement durable » seraient bien inspirés d'y mandater des observateurs : le monde a des choses à y apprendre. Cuba a fait de la pénurie chronique un mode de vie : les Cubains flânent, dansent, chantent, se rassemblent à tous les coins de rue, discutent, flirtent. Pays sans publicité, d'autres valeurs que celle de l'instinct d'appropriation sont cultivées avec l'aval du gouvernement qui exhorte les citoyens à ne pas rêver de l'american way of life, mais à prendre le temps de l'étude et du loisir.

Cuba est une conscience. La Havane est probablement la seule capitale du tiers monde où les « yankees » peuvent déambuler sans crainte, de jour et de nuit. Les Cubains ont acquis un haut niveau de conscience politique et humaine : ils ne confondent pas les peuples et les gouvernements.

Il serait mesquin de réduire la rencontre entre Jean-Paul II et Fidel Castro en 1998 à la conjonction de deux intérêts. En dépit de tout ce qui sépare le pape de l'ancien élève des jésuites, ils sont d'accord pour ne pas réduire les hommes à des consommateurs, la liberté au commerce, pour nier que la valeur suprême est le dollar, pour préférer exalter l'altruisme que l'égoïsme.

Laissez une chance à Cuba. Obtenir des USA qu'ils renoncent à Cuba est le préalable indispensable à une évolution que les Cubains (y compris leurs dirigeants) souhaitent. Qu'une déclaration de paix, la levée du blocus interviennent, que la communauté internationale se porte garante de la sécurité de Cuba, et le test grandeur nature pourra avoir lieu : ou bien l'île évoluera vers un multipartisme, laissera naître des organes de presse plus diversifiés, prendra un essor économique respectueux de la planète sans renoncer à une seule de ses réussites sociales et, dès lors, les progressistes de tous les pays regarderont ce qui peut s'emprunter à cette expérience. Ou bien rien ne changera et la preuve sera faite que le capitalisme est la seule voie des peuples et Cuba un débris anachronique de l'ex-Union soviétique. Qui a peur de ce défi ?

Mais, dans l'immédiat, n'oublions pas quatre faits alarmants :

1- Trente extrémistes Américano-cubains font aujourd'hui partie de l'Administration Bush, dont un de ses proches conseillers (si douteux que le Sénat a refusé de ratifier sa nomination). Bush a besoin d'eux pour sa réélection.

2- Pendant l'invasion de l'Irak, un seul Etat au monde (la Floride) a vu des manifestants soutenir la guerre (en hurlant : « Irak aujourd'hui, Cuba demain »).

3- Jeb Bush, le gouverneur de Floride, frère du président et artisan de sa discutable élection, a déclaré, dès la fin des combats en Irak : « Maintenant, il va falloir regarder dans le voisinage ».

4- Nombre de médias européens susurrent en substance : « Il faut libérer Cuba».

Un million de morts ? Or, quiconque connaît Cuba mesure ce qui la sépare de l'Afghanistan ou de l'Irak. Les Cubains ont des acquis inestimables à défendre, ils sont fiers de leur révolution, ils sont instruits et un patriotisme exacerbé imprègne même les couches les plus critiques à l'égard du pouvoir. S'il existe des Cubains qui honnissent leur chef de gouvernement, d'autres (plus nombreux, c'est indéniable) lui sont attachés et il jouit d'un immense prestige parmi les peuples des pays de « l'arrière-cour US ». C'est pourquoi on peut prendre au sérieux Fidel Castro quand il dit qu'une attaque états-unienne fera un million de morts et que la guerre durera cent ans. Après tout, ce peuple a déjà résisté à l'occupation espagnole (quatre siècles) et états-unienne (60 ans) et à un interminable blocus.

Faut-il préciser ici que, si Cuba est détruite par le fer, le feu et l'uranium appauvri, si ses citoyens sont massacrés, si Guantanamo recouvre l'île, si le système social : scolaire, alimentaire, culturel, de santé cubain est ramené au niveau de tous les autres pays du tiers-monde, les pauvres des pays pauvres perdront un espoir et un indispensable rempart ? La surface de cupidité aura augmentée sur une planète qui n'en sera pas meilleure.

Comment pourra-t-on alors se contenter de regrets du genre de ceux exprimés par notre intelligentsia qui, à la manière de Romain Goupil (cf. Télérama N°2839) pleurera tardivement les morts d'une « catastrophe absolue » qu'elle aura contribué à rendre possible ?

Maxime Vivas.

Ecrivain"

Jean-Paul Moreau
 
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