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Rappeurs en Tunisie : « On veut nous faire payer la révolution »
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28 juin 2013 23:27
Rappeurs en Tunisie : « On veut nous faire payer la révolution »

Thierry Brésillon
Journaliste
Publié le 25/06/2013 à 10h39

Manifestation de soutien à Weld el XV, lors de la fête de la musique, le 21 juin 2013 (Thierry Brésillon)

Ce mardi, le rappeur Weld el XV sera jugé en appel. Un moment décisif dans la relation entre une jeunesse exaspérée par l’absence de changement et le pouvoir.

Sa condamnation, le 13 juin, à deux ans de prison ferme pour une chanson dirigée contre la police, « Boulicia Kleb » (« Les policiers sont des chiens »), sonnait comme une revanche. Tout comme la violence avec laquelle les policiers présents dans la salle d’audience ont évacué le tribunal de Ben Arous après les protestations du public à l’annonce du verdict, puis endommagé la caméra d’un journaliste de Nawaat, et finalement engagé des poursuites pénales contre les protestataires.

Ou encore la dispersion du petit rassemblement de solidarité avec Weld el XV sur l’avenue Habib Bourguiba, au centre de Tunis, à l’occasion de la Fête de la musique. Comme si la corporation policière, discréditée par son rôle dans l’ancien régime, tentait de retrouver sa capacité d’intimidation.
Manifestation de soutien à Weld el XV et dispersion par la police
« On veut casser la culture du non »

Pour Aziz Amami, l’un des cyberactivistes les plus engagés dans la révolution, le sens de ces événements est clair :

« La justice et la police, c’était la force répressive de l’ancien régime et elle est en toujours en place. Les changements politiques, ça n’est que l’habillage. Aucun parti ne veut casser ce système parce qu’aucun ne peut exercer le pouvoir sans elle. Aujourd’hui, elle veut faire payer la révolution à ceux qui l’ont faite : les jeunes des quartiers, les rappeurs, les cyberactivistes, les syndicalistes de base… C’est pour cela que je considère Weld el XV comme un prisonnier politique. »

Il cite en exemple la condamnation à dix ans de prison par contumace, en avril dernier, de dix jeunes de Ajim, sur l’île de Jerba, pour l’incendie d’un commissariat de police le 15 janvier, ou encore les poursuites toujours en cours contre Saber Mraihi, libéré le 25 mai dernier après plus d’un an de détention provisoire, accusé, sans preuve selon son comité de soutien, d’une tentative de meurtre contre un policier le 16 janvier 2011, dans les jours de confusion après le départ de Ben Ali.

La police bénéficie, il est vrai, d’un retour en grâce depuis qu’elle a repris la main face aux salafistes djihadistes lors de tentative de rassemblement à Kairouan et depuis que les mines artisanales au mont Chaambi ont remis au goût du jour les priorités sécuritaires, avec le soutien des partis d’opposition.

Anissa Daoud, jeune actrice et dramaturge, qui s’active pour mobiliser le soutien des artistes en faveur des rappeurs poursuivis, s’inquiète :

« On veut casser la culture du non qui venait à peine d’émerger chez les Tunisiens. J’ose espérer qu’on n’a plus peur, que les gens ne sont pas complètement cassés par les difficultés économiques et la désillusion politique… »

Cri de colère

Les rappeurs seront-ils les seuls à se confronter directement avec cette structure de pouvoir à peine ébranlée par les aléas politiques ?

Certains, y compris parmi les artistes ou les militants politiques démocrates, ne veulent pas de solidariser de Weld el XV en raison de la violence de ses propos – il chante entre autres que « pour l’aïd, je préfère égorger un flic plutôt qu’un mouton ». Mais tout autant que l’insulte, c’est son allusion à l’implication de la police dans le trafic de drogue qui lui vaut d’être inculpé :

« Cocaïne, zatla (cannabis), “vitamines”
C’est vous qui les rapportez et vous nous demandez “ça vient d’où ?”
C’est vous les trafiquants
Vous nous démolissez depuis qu’on est jeunes avec ces produits. »

Le cri des rappeurs est au diapason de la colère des milieux populaires. Fatma Jgham anime une association culturelle dans le quartier de Hay Tadhamon, le quartier le plus peuplé et l’un des plus déshérités de Tunis :

« Les gens du quartier voient que depuis la révolution, les pauvres deviennent plus pauvres et les riches plus riches. Qu’ils vivent toujours dans le même environnement dégradant. L’art de la rue, le rap et les graffitis, sont les seuls moyens qui restent aux jeunes pour s’exprimer et revendiquer les objectifs de la révolution. Et quand ils parlent de la police, c’est le symbole d’un Etat qui les méprise qu’ils visent. »

Comme le dit le rappeur Phénix dans un langage imagé :

« Les jeunes qui ont fait la révolution sont en train de se faire enc... et ils n’ont même pas le droit de dire “Aïe” ! »

« La guerre est déclarée »

Si le langage très cru des rappeurs choque certains, Majdi, un des jeunes du quartier, rappelle :

« La vulgarité des paroles, c’est aussi celle des policiers quand ils nous parlent ou quand ils nous frappent. Ce qui est vulgaire, c’est la manière dont les politiciens nous traitent. Personne ne nous écoute. Tous ces gens ne comprennent que ce langage. »

Cet été, la mode devrait être au rap et en comparaison des textes qui commencent à sortir, « les policiers sont des chiens » paraîtra bien angélique. Phénix est clair entre les rappeurs et la police : « La guerre est déclarée ! »

Il annonce, à la fin, de son dernier texte que « la révolution commence ici ».

Actualisation, 25 juin - 22 heures : L’annonce du verdict de Weld el XV a été suspendue jusqu’à 2 juillet. La demande de mise en liberté a été refusée.
 
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