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La rançon de nos abandons
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25 septembre 2006 12:23
Politiques, préfets, juges, policiers... tous responsables du gouffre social creusé sous nos pieds.
La rançon de nos abandons

Par Jean de MAILLARD, Didier GALLOT
QUOTIDIEN : Lundi 25 septembre 2006 - 06:00

Jean de Maillard vice-président du tribunal de grande instance d'Orléans et Didier Gallot vice-président du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon


Etrange république ! Un préfet de l'Etat écrit au ministre de l'Intérieur pour se plaindre des dérèglements de la justice, chaudement appuyé par vingt-huit de ses collègues. Nul n'imagine que le haut fonctionnaire a pris sa plume pour satisfaire son seul goût de la littérature. A partir d'une fuite soigneusement distillée, ledit ministre entonne publiquement, au lancement de sa campagne préélectorale, le thème populaire du laxisme judiciaire. Le garde des Sceaux, dont la dernière réaction mémorable fut de sanctuariser les cabinets d'avocats fricotant d'un peu trop près avec la grande délinquance financière, se terre au fond de son ministère, attendant que passe l'orage non désiré. Quant au Premier ministre... Ah oui, il y a un Premier ministre ? Il y a même, dit-on, un président de la République, garant constitutionnel de l'indépendance de la justice.
Le bon peuple stupéfait regarde une nouvelle fois le microcosme de ses élites s'entre-déchirer et cherche en vain à comprendre ce qu'il a fait pour mériter un tel sort. Certains doivent s'en réjouir. Les autres se désolent. Ils se demandent d'abord qui a raison et qui a tort, et ensuite où va nous mener cette fin de règne où la campagne électorale s'engage comme une guerre au couteau entre les institutions de l'agonisante république.
Pourtant, le pire demeure soigneusement caché, à la satisfaction générale de ceux qui s'étripent sous les yeux du petit peuple ébahi. Car le débat ­ appelons-le ainsi, par charité ­ ne sert qu'à dissimuler ou à rejeter sur les autres des responsabilités que tous partagent. Disons-le d'emblée : crispés dans une défense sectaire, les magistrats sont pitoyables. Face à des critiques qui sont loin d'être toutes impertinentes, ils s'abritent frileusement derrière leur indépendance bafouée. Sont-ils à ce point aveugles, pour ne pas voir que la loi de la rue sévit parfois jusque dans leurs tribunaux ? En dehors de leurs enceintes en tout cas, la loi républicaine ne fonctionne encore que par miracle ou grâce au dévouement désespéré des petites mains de la fonction publique. Submergée par une misère polymorphe qu'elle gère au jour le jour, la justice a renoncé à comprendre les raisons d'une violence qui tend à devenir la relation sociale privilégiée (heureusement cette violence n'atteint pas encore les sommets américain ou sud-africain, mais nous progressons de jour en jour vers ces modèles). Face à une délinquance dont ils ne maîtrisent rien, les juges se contentent de prononcer le plus souvent des peines d'apaisement en rentrant la tête dans les épaules, allant parfois jusqu'à espérer qu'ils éviteront au moins, quand la violence s'est installée au coeur même du prétoire, d'être ainsi à leur tour les prochaines victimes de ceux qu'ils jugent.
Le discours éducatif et humanitaire est devenu la dernière planche de salut. Mais il n'y a pas de quoi s'en réjouir : il ne sert qu'à masquer l'impuissance de la justice face aux justiciables les moins contrôlables. Certains sont jeunes et d'autres moins, mais tous vivent en rébellion avec la société dont ils n'ont d'ailleurs intégré aucun des principes de base. La pratique judiciaire dégouline aujourd'hui d'hugotisme paternaliste et bienveillant. Celui-ci est en réalité le seul moyen qu'ont trouvé les professionnels de la justice, débordés par l'océan des problèmes qui les entoure, pour éviter la dépression nerveuse et tenter d'échapper au non-sens de leur métier. Ce qui n'empêche pas, car la masse des affaires ne cesse de grossir et les contentieux de s'aggraver, de prononcer en même temps des peines de prison qui font exploser les établissements pénitentiaires. Plutôt que d'affronter la vérité d'un système judiciaire en déshérence au sein d'une société en perdition, chaque acteur de la chaîne pénale préfère alors vitupérer l'incapacité des autres afin de s'exonérer soi-même de sa propre impotence.
En tout cas, la police n'a pas de leçon à donner aux juges : entre les zones de non-droit où elle n'ose plus mettre les pieds depuis longtemps et les procédures bâclées pour faire du chiffre et plaire à son ministre, ses diatribes antijudiciaires ne servent qu'à «refiler la patate» aux juges, moins doués pour la communication. Cette tartufferie ne l'exonère de rien, car aujourd'hui l'action publique se décide place Beauvau et dans les commissariats, et non dans les parquets. Les circulaires d'action publique sont rédigées par le ministre de l'Intérieur et contresignées distraitement par le garde des Sceaux, avant d'être envoyées pour exécution ­ docile ­ aux procureurs généraux.
Les politiques ne sont pas quittes non plus du chaos ambiant. Qu'ils cessent enfin de rêver, à droite comme à gauche ou au centre, qu'ils cessent surtout de nous bercer d'illusions. Depuis trente ans, l'Etat et la société française ont abandonné à leur sort les nouvelles classes dangereuses, en admettant même qu'ils ne les aient pas consciencieusement façonnées. On a d'abord créé des ghettos urbains, qui sont vite devenus des ghettos sociaux. Mais le point de non-retour a été atteint quand ceux-là se sont pérennisés sous forme de ghettos culturels, abandonnés à une subculture de banlieue encensée par les intellectuels comme si elle pouvait jamais devenir un mode d'insertion des cités dans la Cité.
Face à cette partie de la population qu'on a laissé partir à la dérive et qui ne répond plus aux critères d'une socialisation minimale, l'activisme pseudo-éducatif auquel se livrent les tribunaux et leurs cohortes d'experts jargonnant, psys en tout genre, médiateurs improvisés et éducateurs de tout poil, sous l'oeil humide des politiques aux abois et des médias béats, n'est que de la poudre aux yeux. Elle suffit à nous aveugler, pour éviter de contempler sous nos pieds le gouffre social qu'ont creusé trente années de libéralisme mondialisé et d'idéologie de l'abandon. D'où le consensus qui unit tous les acteurs chargés en principe de la défense de l'ordre social : traiter sous forme de déviations psychologiques individuelles, sur lesquelles on applique le charabia absurde de la criminologie clinique, les immenses problèmes sociétaux que le désengagement politique a méticuleusement fabriqués.
Alors, de grâce, cessons de nous mentir. Au bal des hypocrites, nous sommes tous responsables ­ politiques, préfets, juges, policiers... ­ de ces enfants des rues sans passé ni avenir qui sont notre mauvaise conscience et notre tourment collectif. Nous sommes tous responsables des mafias qui parasitent une société languide. Nous sommes tous responsables de la délinquance des élites qui pillent impunément les ressources communes. Nous sommes tous responsables de notre impuissance à maintenir un ordre social encore décent. Tous responsables et tous coupables.



[www.liberation.fr]
"Si les singes savaient s'ennuyer ils pourraient devenir des hommes." (Goëthe)
t
25 septembre 2006 13:29
salam

thxs Bulle

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liberation: a écrit:
Ah oui, il y a un Premier ministre ? Il y a même, dit-on, un président de la République, garant constitutionnel de l'indépendance de la justice.


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