Juger c'est ne point comprendre car si l'on comprenait on ne pourrait plus juger [Edmond de Goncourt]
L'AVANTAGE DE LA SCIENCE (Jean de la Fontaine)
Entre deux Bourgeois d'une Ville S'émut (1)jadis un différend. L'un était pauvre, mais habile, L'autre riche, mais ignorant. Celui-ci sur son concurrent Voulait emporter l'avantage : Prétendait que tout homme sage ! Etait tenu de l'honorer. C'était tout homme sot ; car pourquoi révérer Des biens dépourvus de mérite ? La raison m'en semble petite. Mon ami, disait-il souvent Au savant, Vous vous croyez considérable ; (2) Mais, dites-moi, tenez-vous table ? (3) Que sert à vos pareils de lire incessamment ? (4) Ils sont toujours logés à la troisième chambre, Vêtus au mois de Juin comme au mois de décembre, Ayant pour tout Laquais leur ombre seulement. La République a bien affaire De gens qui ne dépensent rien : Je ne sais d'homme nécessaire Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien. Nous en usons, Dieu sait : notre plaisir occupe L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe, Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez À Messieurs les gens de finance De méchants livres bien payés. Ces mots remplis d'impertinence Eurent le sort qu'ils méritaient. L'homme lettré se tut, il avait trop à dire. La guerre le vengea bien mieux qu'une satire. Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient. L'un et l'autre quitta sa ville. L'ignorant resta sans asile ; Il reçut partout des mépris : L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle. Cela décida leur querelle. Laissez dire les sots ; le savoir a son prix.
(les destinataires de cette fable se reconnaîtront)
Modifié 1 fois. Dernière modification le 09/10/12 23:34 par Sadek El Marrakechi.