Quand un Marocain adopte un ministre hollandais… PAYS-BAS - 23 juillet 2006 - par PAR FOUAD LAROUI
On dit souvent que les politiciens sont coupés des réalités, qu’ils ne connaissent pas le prix d’une baguette de pain ou celui d’un litre de lait. Les exemples abondent de ceux qui sont montés tellement haut qu’ils n’aperçoivent plus la terre ferme. « Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche ! » disait Marie-Antoinette lorsqu’on lui parlait de manifestants affamés exigeant du pain. Son royal époux n’était pas plus au contact de la réalité. Le lendemain de la prise de la Bastille, Louis XVI écrivit dans son journal intime : « Aujourd’hui, rien ». Plus près de nous, je me souviens d’un débat télévisé entre deux candidats à la présidence française au cours duquel l’un d’eux demanda à l’autre s’il pouvait lui donner le prix d’un ticket de métro parisien. Sous-entendu : vous ne prenez jamais le métro, vous vous faites transporter dans une voiture de fonction, vous n’êtes donc pas en mesure de comprendre les préoccupations du citoyen ordinaire.
Cette question des élus-qui-ne-sont-pas-au-contact-du-peuple vient de prendre un tour inattendu aux Pays-Bas. Tout a commencé par une initiative citoyenne visant à rapprocher les ministres du peuple, initiative dont le slogan est « adoptez un politicien ! ». L’idée est que des citoyens lambda désignent un ministre qu’ils souhaitent adopter et que celui-ci joue le jeu, c’est-à-dire qu’il accepte de sortir de temps en temps avec le citoyen en question, de bavarder longuement avec lui, en se promenant.
Et voilà que notre Marocain entre en scène. Lotfi Hadi, 19 ans, a adopté la ministre de l’Intégration, Rita Verdonk.
Pour apprécier le sel de cette information, il faut savoir que Rita Verdonk a accompli l’exploit d’être à la fois le ministre le plus apprécié et le plus détesté du pays en 2005. Sa politique de la main de fer vis-à-vis des immigrés l’a rendue immensément populaire auprès des électeurs de droite. Mais cette même politique de la main de fer l’a fait haïr par la gauche et par la plupart des immigrés. Ceux-ci la classent quelque part entre Belzébuth et la fée Carabosse. Elle a reçu tellement de menaces que, selon ses dires, elle ne s’inquiète que le jour où elle n’en reçoit pas.
C’est elle qui a mis en place le fameux test d’intégration désormais nécessaire pour rejoindre son conjoint aux Pays-Bas. Quiconque veut s’installer dans la patrie de Rembrandt doit désormais prendre, à ses frais, des cours de langue et d’histoire dans son propre pays puis y passer un examen. Les questions sont parfois étranges. Par exemple : combien de fois pourrait-on mettre les Pays-Bas dans le Maroc ? Réponse : 18 fois. Le Maroc est 18 fois plus grand que la patrie de Cruyff. Cette question porte évidemment un message subliminal : pourquoi voulez-vous venir vous serrer comme des sardines dans un pays qui est 18 fois plus petit que le vôtre ?
Il y a encore plusieurs questions comme celle-ci dans le test de Rita Verdonk. Vous comprenez pourquoi elle est extrêmement impopulaire parmi les Marocains et les Turcs.
Or donc, le jeune Lotfi Hadi a adopté cette dame vaguement inquiétante. Celle-ci est bien obligée de jouer le jeu, sinon elle passerait pour une rabat-joie. La voici donc contrainte d’aller se promener avec Lotfi dans les marchés marocains, où il l’oblige à acheter de la menthe de Meknès, des caftans qu’elle doit sans doute refiler à sa soubrette, des briouattes qu’elle picore avec un air effaré.
Mais tout cela ne s’arrêtera pas là. Notre ami Lotfi a un plan qu’il nous a confié sous le sceau du secret. Dans quelques jours, il va sortir madame la ministre. Il a prévu d’aller lui faire écouter le rappeur marocain Ali B. qui fait fureur ici. Ensuite, la tête encore pleine des rythmes de Ali B., Lotfi l’enivrera, à sa grande surprise parce que, bien entendu, elle ignore que le Maroc produit d’excellents vins. La soirée se finira dans l’un des trois cents coffee-shop d’Amsterdam où elle fumera un autre produit marocain très apprécié ici.
Après une telle soirée, nous dit Lotfi, la redoutable ministre des immigrés sera tellement perdue dans les brumes des paradis artificiels qu’on pourra lui faire signer n’importe quoi. Par exemple une annulation de son fameux test d’intégration…
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