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Profanation du Coran par l'armée US: le Marocain Ibrahim Benchekroun confirme
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8 juin 2005 11:18
Profanation du Coran par l'armée US: le Marocain Ibrahim Benchekroun confirme


Le réquisitoire d'Ibrahim Benchakroun, matricule 587 dans "l'enfer" de la base américaine
LE MONDE | 06.06.05 | 13h48 • Mis à jour le 06.06.05 | 19h23
CASABLANCA de notre envoyé spécial
[www.lemonde.fr]

D'abord être blanchi par la justice de son pays. Ne plus devoir se contenter d'une liberté "provisoire" . Ce n'est peut-être plus qu'une question de semaines. Le 4 juillet, assure Ibrahim Benchakroun, la cour d'appel de Rabat, espère-t-il, dira que lui, le lettré passionné d'études islamiques, n'a jamais été un terroriste.

Ensuite, le plus important : d'accusé il se transformera en accusateur et portera plainte contre les Etats-Unis qui lui ont volé deux ans de sa vie, entre 2002 et 2004. "J'ai connu les camps de Bagram et de Kandahar, en Afghanistan. J'ai connu Guantanamo. J'ai connu l'enfer alors que j'étais innocent" , clame le jeune homme.

De sa grand-mère maternelle noire de peau, Ibrahim, 26 ans, a hérité un teint foncé et des cheveux clairs. Il ne porte pas de barbe ostensible et, vêtu d'un jean et d'une chemisette blanche, il passe inaperçu. Lorsqu'il raconte son parcours, d'une voix douce mais ferme et dans un français excellent, les mots sont choisis, les souvenirs précis, les jugements sans appel. "Maintenant, je connais le vrai visage des Américains, dit-il. Ils ne respectent pas les droits de l'homme. Ils mentent lorsqu'ils disent vouloir apporter la démocratie dans le monde arabe. Ils veulent nous coloniser. Ils n'ont pas déclaré la guerre au terrorisme mais à l'islam, la religion d'un milliard et demi de personnes. Ils sont notre pire ennemi, mais leur empire finira par tomber."

"VENDU" AUX AMÉRICAINS

Etudiant dans une école coranique proche de Lahore, au Pakistan, lors des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, Ibrahim a été arrêté dans un taxi par la police un matin, fin décembre ou début janvier 2002, il ne se souvient pas. "A partir de ce jour-là, j'ai été catalogué terroriste" , résume-t-il. Le Marocain a ses papiers en règle. Il demande à pouvoir contacter l'ambassade de son pays, entame une grève de la faim pour appuyer ses exigences. En vain : après 45 jours au secret dans une cellule sans ouverture, quelques bastonnades et des interrogatoires interminables, il est "vendu" , dit-il, aux Américains. "Oui, vendu, affirme-t-il. A l'aéroport militaire d'Islamabad où j'ai été réceptionné par les Américains j'ai vu malgré la cagoule sur mon visage une mallette pleine de billets changer de mains."

Ibrahim n'est pas le seul "terroriste" étranger acheté ce jour-là. Six autres individus de diverses nationalités partagent son sort, dont un Yéménite, "un laïque venu au Pakistan pour la drogue. Il ne connaissait rien au Coran. Les Pakistanais avaient laissé pousser sa barbe et l'ont fait passer pour un terroriste" .

Commence pour le jeune Marocain un périple de deux ans et trois mois au cours duquel il connaîtra trois camps de détention hors normes. Trois centres où, comme on le lui dira au cours d'un interrogatoire, "même Dieu ne peut pas te venir en aide" . Les deux premiers ­ - Bagram et Kandahar ­ - sont en Afghanistan ; le troisième est celui de Guantanamo, à Cuba.

GRÈVES DE LA FAIM

Lorsqu'on le questionne pour savoir lequel a été le plus difficile à supporter, Ibrahim se dit incapable de trancher. "Ils étaient tous très durs" , dit-il. Le premier, celui de Bagram, est en altitude. "On est arrivé la nuit. Il y avait de la neige et il faisait très froid. Dans l'avion, on avait voyagé allongés par terre, encagoulés, avec des fers aux bras et aux pieds. En plus ils nous avaient mis des sangles. On était convaincus que les Américains allaient nous jeter dans le vide."

Sur la base militaire de Bagram, au nord de Kaboul, les conditions de vie sont difficiles à imaginer. Les prisonniers sont installés à l'intérieur d'un vaste hangar où des barbelés délimitent des sortes de cellules collectives pour six à huit prisonniers. Les lits sont côte à côte. Des projecteurs éclairent les cellules vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le bruit incessant d'un gros générateur interdit de parler à son voisin.

Chaque détenu a reçu une combinaison bleue pour tout vêtement, et deux couvertures. Une ration militaire - ­ incomplète - ­ est distribuée en fin de journée. C'est l'unique repas. Les "terroristes" passent la journée allongés sur le dos, enchaînés. La plupart du temps ils prient. Ils n'ont le droit de se lever que pour aller aux toilettes ("on faisait nos besoins devant tout le monde" ) ou pour se rendre aux interrogatoires.

"J'ai raconté des dizaines de fois ma vie. On me posait toujours les mêmes questions : si j'étais allé en Afghanistan, ce que je pensais des talibans, si j'avais des amis terroristes... Parfois, on me présentait des albums photos et je devais dire si je reconnaissais un visage. Pendant plus de deux ans ça a été la même rengaine. Mais jamais, insiste Ibrahim, les Américains n'ont dit de façon précise ce qui m'était reproché." Ibrahim sait que la Croix-Rouge est venue une fois à Bagram. "Les Américains avaient fait évacuer notre cellule un peu avant parce que le Turkmène avec qui nous étions avait un œil enflé à la suite d'un coup de brodequin." "La Croix-Rouge n'a pas fait son travail" , tranche-t-il.

En fait, ce ne sont pas les violences physiques ­ - limitées - ­ ni les conditions de détention qui aujourd'hui encore obsèdent Ibrahim. Ce qu'il ne pardonnera jamais à ses geôliers, c'est d'avoir profané le Coran. A Bagram, puis à Kandahar et à Guantanamo, les Américains distribuaient à chaque prisonnier un exemplaire du livre saint des musulmans. "Ils le faisaient pour mieux nous humilier. Car dans les trois camps le Coran a été profané, assure Ibrahim. J'ai vu un soldat volontairement poser son pied sur le mien posé au pied du lit. A Kandahar, lors des fouilles, ils les jetaient par terre quand ce n'était pas dans les seaux utilisés pour nos besoins. Les Américains ne respectent pas la religion. Lorsqu'on priait ils se mettaient à siffler, ils refusaient de nous donner de l'eau pour les ablutions, ou alors ils organisaient des fouilles pendant les prières."

Plus tard, à Kandahar et à Guantanamo, raconte encore Ibrahim, des détenus organiseront des grèves de la faim pour protester contre ces profanations. Pour la même raison, plusieurs prisonniers tenteront ­ - en vain - ­ de mettre fin à leurs jours. "On disait à nos gardiens 'tuez-nous mais ne touchez pas au Coran'" , raconte le jeune Marocain.

HUMILIATIONS À RÉPÉTITION

Des humiliations, Ibrahim dit en avoir subi beaucoup. A Bagram c'était la contrainte de poses indécentes sous couvert de mouvements de gymnastique. Dans le camp suivant, à Kandahar, dans le sud de l'Afghanistan, où Ibrahim est resté trois mois dans une baraque de bois, abruti par le bruit des avions tout proches, ce fut autre chose. "Les militaires, parfois de jeunes femmes, prenaient plaisir à toucher nos parties intimes pendant les fouilles." A Guantanamo, ce fut pire, à en croire l'ancien détenu. "On nous rasait les cheveux de façon à tracer une croix. Un jour, les Américains ont enveloppé un Saoudien dans deux drapeaux, celui des Etats-Unis et celui d'Israël, avant de le faire tomber par terre."

D'une voix qui enfle, Ibrahim raconte ensuite les recettes pour faire craquer les prisonniers : caresses appuyées entre soldats hommes et femmes sous les yeux des "terroristes" ; menaces de viol ; simulacres d'exécution ; interrogatoires interminables dans des pièces alternativement surchauffées puis glaciales, courses jusqu'à l'épuisement dans une cour de la prison ; chantage aux soins médicaux... Plus d'une cinquantaine de détenus, dit-il, ont perdu la raison.

Son cauchemar a pris fin en juillet 2004. Les Américains n'ont rien de concret à reprocher au matricule 587 de Guantanamo. "Tu n'as pas de lien avec les groupes terroristes. Tu étais au mauvais endroit au mauvais moment" , conclut un officier. Avant de renvoyer Ibrahim au Maroc, l'armée lui a fait signer un papier rédigé en anglais où, croit-il se souvenir, il reconnaît à l'armée américaine le droit de le renvoyer à Guantanamo si d'aventure il rejoignait les rangs des terroristes.

Jean-Pierre Tuquoi
Article paru dans l'édition du 07.06.05
 
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