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Précisions et rappels insolubles autour de cette culture sans discours
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14 octobre 2005 23:38
Pour S.Y.

«Les peuples, après tout, ont les mythes qu'ils méritent. Et aussi les classes sociales.» Jean Cazeneuve, Bonheur et civilisation, p.25)





st-ce le hasard qui commence tout? Cette interrogation me revient toujours à l'esprit quand il est question de la culture amazighe conçue habituellement comme un héritage sans origine, sans histoire et sans discours propre. Et avant de parler, je sais déjà qu'on m'objectera ce qui suit: Tamazight n'est pas une culture comme il faut, ni une langue comme il faut, ni un discours comme il faut. Il y a également ceux qui prétendraient avancer l'impossibilité à définir l'amazighité, qui n'est à leurs yeux qu'une structure de modèles hétérogènes, par conséquent un ensemble de formes hybrides qui ne peuvent point véhiculer des sens complets (intègres). Là, pour eux, il est plutôt question d'un mot absolument indéchiffrable ou vide. Mais, qu'est-ce qu'un mot vide? Est-ce plutôt, dans ce cas, un signe vidé ou évidé? Qu'est-ce qu'un mot indéchiffrable? N'est-ce pas cette tendance allergique à ne pas voir ces choses dans leur juste manifestation? Là encore, il s'agit toujours d'une interprétation…

Pour les autres, le deuxième groupe, c'est-à-dire nous, ceux qui sont mis au second plan, pouvons-nous manifester librement nos positions? Maintenant, oui. Très bien. Néanmoins, cette émersion d'affranchissement a pris beaucoup de temps pour les amazighistes. Et pour atteindre l'émersion totale, il reste encore beaucoup d'espace. L'amazighité se construit-elle donc d'un temps «de démocratie» et dans un espace «d'autonomie totale»? Le mot «amazighité», à l'encontre de trop de mots importants et illuminants, ne veut rien dire, rien que parce qu'il signifie beaucoup…

A ce sujet, voilà alors mes précisions «caduques» ou déplacées.



I.- Le temps des rappels insolubles
Tout d'abord, dans le monde «globalisant», on s'intéresse énormément aux cultures expansionnistes, aux cultures modernes, aux cultures artificielles qui renferment l'idée du Pouvoir. Mais, point aux cultures dominées, aux cultures millénaires, aux cultures qui renouent avec l'homme «primitif»; c'est bien dans ce groupe que se trouve mise tamazight. L'intérêt nul ou négatif ressenti vis-à-vis de tamazight est ostensible, donc explicable: on a automatiquement envie de rire (mépriser) à l'émission d'une de ces manifestations «primitives» (qui dénotent l'absence du pouvoir).

Secundo, la culture amazighe est un héritage qui vit en confrontation, elle survit face aux incessantes invasions. Ses blessures et ses faiblesses sont multiples. Précisons, par ailleurs, qu'il n'y a pas deux sortes d'invasions en Afrique du nord: la première de cohabitation et la deuxième de substitution (comme le prétendent de nombreux historiens ou anthropologues). L'invasion, tissée de terreur et de destruction, a une seule forme et un contenu net: occuper la terre et l'homme sur tous les plans. Point d'accord. Point d'échange. Point d'équilibre. La culture dominée est appelée à souffrir continûment: ses jours courent le risque de s'éteindre.

De même, autre précision relative aux ressorts de la culture. Selon Jean Dubuffet qui réfute toute construction de la culture, elle a deux ressorts: «le premier, la notion de valeur et, le second, celle de la conservation.» (Asphyxiante Culture, Minuit, 1986, p.62).Valeur de l'amazighité?! Conservation de l'amazighité?! Une série de mots reviennent automatiquement au rappel de ces deux ressorts: ( pour Valeur = bêtise, vanité, folie, racisme… et pour Conservation = sous-développement, déracinement, élagage, mal…) qui apparaissent plus justes pour traduire cette culture «primitive». Et l'impact sur le citoyen sera désastreux: la culture en tant que point d'attache devient plutôt un kaléidoscope pour entamer l'errance...

Se valoir, se conserver dans d'autres corps insufflés par l'âme amazighe demeure la fin de cette errance. La masse amazighe, à travers l'Histoire, contribue à l'expansion des autres cultures. Cette tendance à habiter d'autres aires, à embrasser le quiproquo comme identité, à imiter les autres et à louer l'altérité s'avère systématique pour le nord-africain. Pourquoi? C'est pour survivre en recherchant la mort définitive (culturelle)… A pour quand la propension à se rechercher force à être, à se valoir et à se conserver?

Notons en dernier lieu que l'être amazigh se trouve en crise: ses rapports avec soi-même demeurent, en plus de complexes, ambigus. L'amazighité ne peut pas vivre en paix avec soi-même (qui se renie), non plus avec son contexte (qui la renie). Que faire?

Là surgissent le problème de la culture, et l'absence d'un discours propre et fixe. Et que tamazight apparaisse comme une culture sans discours! Il ne sera pas question ici de théoriser sur la définition du discours ou de la culture, mais plutôt d'expliquer les rapprochements de l'amazighité du culturel et du discours sous forme de précisions.



II.- L'enjeu culturel et ses métamorphoses
Etre soi ou être autre, voilà l'ambivalence dont souffre continûment le marocain ou le maghrébin. Pire encore, il y a ceux qui veulent être soi et être autre! Autrement dit, ils ne sont ni soi ni autre. Là, une précision psychologique à «se poser» afin de rechercher une catharsis personnelle. La tendance à être autrui est voisine de celle à mépriser son Ego; il s'agit de deux mouvements simultanés, mais faits de la même force et matière qui rejoignent les deux pôles de l'existence. Nullité, médiocrité, faiblesse, platitude, errance et bêtise on ne sait quel autre signe pourrait traduire l'impression ou l'idée de l'être amazigh quand il réfléchit son essence. C'est pourquoi, la formule «sois toi-même» devient urgente; l'individu maghrébin pourra ainsi se réconcilier avec son Histoire. Et cette autre formule est d'un grand recours: «il faut avoir appris à s'estimer soi-même pour échapper à la résignation.» (Jean Cazeneuve, Bonheur et civilisation, Gallimard, 1966, pp. 25-26), sorte de principe fondamental à la catharsis. Mais avant d'entamer un tel exercice, il appert que l'amazigh a besoin d'une catharsis «identitaire» (culturelle) afin de fonder dans son for intérieur, et par là assurer un certain équilibre, l'estime de soi.

C'est vrai que l'amazighité que nous portons en nous, ne peut point se définir, car le subjectif y est d'une grande portée et force, mais elle est là comme quelque chose de fixe et d'essentiel qu'on pourrait reconstruire objectivement. Et là, il y a ceux qui fuient les précisions pour rechercher des réponses solubles derrière des questions vagues: Le Maghreb est-il biculturel? Triculturel? Pluriculturel? Monoculturel, jamais. Comment expliquer cette contradiction insoluble?

Précision sous forme de tentative de réponse: A force de voir l'amazighité effacée, tronquée et altérée, l'amazigh s'habitue alors à cette image (normale). L'anormal serait de voir une amazighité mise en relief, définie et précisée. Respectée, enseignée, institutionnalisée. C'est bien l'anormal (ou le créé), point de définition, qui nous déstabilise, pas le normal (ou le naturel). De là, il faut parler au sein de ces institutions exogènes qui organisent le contexte, de la difficulté voulue à préciser la personnalité marocaine. De pures surdéterminations contextuelles. A juste titre, Jean Dubuffet écrit: «La culture est en quête de norme, est en quête d'adhésion collective, pourchasse l'anormal. La création, à l'opposé, vise à l'exceptionnel, à l'unique. Il y a lieu d'observer que le groupe auquel il est proposé d'adhérer, dont la norme la culture devra être chérie, peut avoir différente extension.» (ibid., p.93). Où sont ces normes de la culture? Quelque part, jetées dans le domaine de l'anormalité (de l'invention).

Là, précisément des questions capitales s'il en est, autour du discours sur la culture qui, au fond, mérite toute l'attention depuis l'effervescence positive, parfois négative, des lectures, des interprétations, des hypothèses et des discussions autour de l'amazighité du Maghreb. Aussi, après les discours royaux et présidentiels en faveur de tamazight, tout remue par-ci par-là, pour déterrer le passé, revoir le présent afin de retracer la voie à venir tant recherchée. Enfin, nombreux sont les discours qui veulent ceindre la question d'une culture millénaire, moutonnant dans les sept cieux, traversant les océans de la marginalisation, de l'effacement construit, pour atteindre le panthéon d'être vivant qui ne meurt…

Que se passe-t-il alors? Ces métamorphoses (point des changements) peuvent-elles assurer à l'amazighité une mise en valeur, et à tamazight une renaissance? Tamazight est hélas toujours là: pour dire combien on pense à elle, on la rejette dans les tiroirs de l'oubli! Pire encore, n'importe quel «intellecturel» se sent obligé de dire son dernier mot (sorte d'oraison funèbre «machiavélique»): d'une part ceux qui hurlent: «culture sans langue propre, premier dialecte défini, lexique à trois cents mots, syntaxe hybride, culture qui mène à la scission du Maghreb arabe et des pays islamiques, etc.» et ceux qui s'empressent à monter des structures de sauvegarde de cet héritage national, de cette culture de nos aïeux, de ce dernier maillon pour instaurer la démocratie, etc. en perfectionnant les plans d'asphyxie et de destruction. Et voilà encore des bribes de discours, des arguments et des réflexions qui remâchent des concepts (arabisation, identification, récupération de l'être, concentration, hiérarchisation, catharsis du peuple, l'évolution passéiste, malaise généralisé, politisation orientaliste, etc.) pour fonder la logique de ceux qui préparent l'extermination légale. Et des philosophies politiques qui veulent assurer le futur en massacrant le Temps: Uniformiser pour unir! Uniformiser pour fixer! Tuons l'Histoire! crient-ils toujours ces «intellecturels» homériques: visionnaires-aveugles.

Quelles sont alors les définitions de cette identité culturelle?



III.- Amazigh (être) et / ou folklorique (paraître)

Quand il est question de l'héritage amazigh, il est souvent nommé populaire ou folklorique. Un folklore amazigh? Un art populaire? Tamazight un folklore, pas une culture! Tamazight un héritage populaire, mais pas du peuple! Ce sont là les différentes interprétations qu'il faut faire du discours officiel (des télévisions, des documents, des archives…). Là encore, les marocains (par juste extension les maghrébins ou par naturelle extension les Imazighen) forment des castes, des espaces, des temps, des ethnies, des appartenances, des… D'une part, nous avons les maîtres, les seigneurs, les civilisés et les «chorfas» qui possèdent une culture dotée d'un discours cohérent et puissant, et d'autre les esclaves, les démunis, les sauvages et les … sans culture, sans discours et sans langue (car incompréhensible pour ces maîtres). Les institutions reproduisent ce rapport séculaire. Racisme in absentia, car la répulsion ne se déclare pas ouvertement…

Si démocratie l'on construit, halte aux temps folkloriques! Ces temps fous! Les Imazighen ne sont plus des paysages morts ou des manifestations superficielles, ils ont une voix, une mère…. Tamazight est, qu'on le veuille ou non, une culture, une langue et une civilisation.

Accepter maintenant l'amazighité du Maroc (en 'asservissant' tamazight à l'école, en émettant des films bidons ou des chansons «no comment», en scindant la langue en trois tranches dans des flashes d'information 'révisée', en interdisant le prénom, en altérant les toponymes, en instituant des structures où elle se recherchera infiniment, etc.) s'avère insuffisant, il faut plutôt avancer la reconnaissance de tamazight en la faisant précéder d'une autocritique sincère et détaillée. Que cette culture manifeste réellement enfin ses discours? Et une bonne part des amazighistes sont, hélas, plus intéressés par le signifiant de l'amazighité que par ses signifiés ou formes d'organisation et par ses tâches d'accomplissement (de réalisation). C'est en faisant que tamazight peut se réaliser. Par exemple, si le président Bouteflika entend insérer tamazight dans la Constitution algérienne comme langue nationale, c'est bien. Mieux encore, s'il le faisait comme couronnement d'une autocritique objective de l'Histoire de l'Afrique du nord. L'on sait bien que formes et significations vont ensemble: si tamazight est présente dans les médias, à l'école et dans les institutions; elle ne peut pas survivre aux surdéterminations contextuelles qui lui tendent d'autres discours de «négation». Ses formes et significations sont là, bien définies, et c'est en faisant qu'elle existera. Par exemple, l'IRCA essaie de procréer tamazight afin de lui ramender ses failles, ses parties effacées…, c'est bien. Mieux serait si l'IRCA déterminait ces structures qui font défaillir…

Rappelons qu'à cause de ce constant reniement (de l'amazigh, de soi) à travers l'Histoire du Maghreb naissent des interdits, des complexes, des malaises, des maux d'être. L'on sait bien que la personnalité marocaine, qui est naguère construction d'interdits et difficile à cerner dans ses scissions, retrouve le jour car à l'histoire elle appartient, mais pas l'espace car son soubassement est vu avec rancune. Sans son espace, elle ne pourrait point croître naturellement, tout le monde le sait. En faisant ce savoir, en le réalisant, la voie à venir (démocratie) est assurée.

La peur meut tragiquement l'histoire, surtout la peur de l'autre, emmène l'homme à détruire les autres, en ignorant qu'il s'autodétruit. Là une sorte de propension qui émane de l'instinct de la mort (Freud). Nnn L'istinass naît d'un remords (à entendre comme rancune) historique, d'une philosophie sophiste et d'un désir primitif qui ne peuvent développer la négation définitive de tamazight. A travers les lignes de «Almithaq Alwatani», l'on peut déchiffrer des passages d'anxiété nationale, de frustration partisane et de déformation continue. Chaque réforme de l'enseignement au Maghreb renouvelle les stratégies de destruction identitaire. Peut-on avoir un projet sensé pour l'éducation qui développe comme finalité une horrible destruction? Le statut: indéfini, et le rôle: nul.



IV.- Tamazight et le problème des concepts définitoires
A une ethnie correspond une culture, et à une culture correspond un discours. Quel serait l'emplacement de tamazight au sein de ces concepts / valeurs? Revenons en arrière, définissons les concepts.

Qu'est-ce qu'une culture? Quels sont ses contenus? Quel est ce discours qui lui est propre? Comment meuvent-ils les paradoxes de l'essence de la culture? Citons la traduction castellane de l'essai de l'anthropologue Edward T. Hall, Beyond Culture, qui apporte des réponses judicieuses: «la propia cultura consiste en una serie de modelos situacionales de comportamiento y pensamiento» (édition GG, Barcelone, 1978, p. 20). Quels sont ces modèles dans tamazight? Là, nous aurons la réponse à: Qu'est-ce que le système définitoire de cette culture? Ce sont ces éléments, critères et structures (tout un système) qui éternisent la culture en tant que discours autonome, mesuré et authentique. Chaque culture possède une identité spécifique. On ne pourra jamais faire de la culture amazighe une identité nordique, non plus orientale. La langue, la communication non verbale, l'histoire, les rites, la vision du monde qui sont les traits de toute identité ne sont pas les mêmes. Elle demeurera historiquement nord-africaine, toute spéculation autour d'une autre origine serait pour renier l'ethnie, la culture et la discours amazighs..

Pour nous, le dernier maillon de cette longue spéculation est «l'istinass» qui entend aller à l'encontre du mouvement de l'Histoire? Il serait complètement erroné d'appliquer à tamazight un autre modèle culturel pour découvrir son système définitoire. Ce serait là un travail réalisé pour des raisons idéologiques, mais point pour des critères objectifs. Par ce coup final, l'origine est redéfinie autrement, loin de ses spécificités, versée fusion dans d'autres corps-cultures.

Certes, il serait intéressant de définir toutes les spécificités du discours de la culture amazighe qui puissent le distinguer des autres discours. Là, une tâche pour les chercheurs et les idéologues de l'amazighité.

Et que dire de l'ethnie? Elle n'est pas la race, cette illusion des hommes à prétendre l'alliage tacite entre l'humain et le divin pour administrer d'autres «hommes». Dans les sociétés modernes et démocrates, cet alliage est du pur mensonge.

Si l'ethnie est définie comme un groupe d'individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue et de culture, l'ethnie amazighe englobe le marocain, l'algérien, le tunisien, le libyen, le nigérien, le malien, le burkinabé et des millions d'émigrés en Occident; là l'amazigh devient une entité universelle. Seulement, elle demeure universellement anonyme, chez soi et ailleurs! A ce propos, une simple conscience de l'amazighité de tous en Afrique du nord (ce qu'on appelle l'Union du Maghreb Arabe) ferait dissoudre toutes ces fameuses tensions politiques et économiques. C'est pourquoi, il s'avère l'urgence et la nécessité à fonder un discours d'appartenance ethnique capable d'unir ces pays errants à la guise des idéologies exogènes afin d'approfondir l'errance totale.

Tout discours «aspire» ou tend à une cohérence et à une différence. Différence et cohérence paraissent des antonymes, mais elles sont deux entités qui meuvent l'histoire du discours. Est-il le discours amazigh, porteur d'une cohérence? Ou bien est-il structuré par une illusion de cohérence? C'est-à-dire que ce discours vit dans une discontinuité irréversible où l'aspect fragmentaire construit au jour le jour son histoire.

La culture meut sans se métamorphoser, croît (ou décroît) sans altérer sa nature (essence), se multiplie au contact de la réalité, se fortifie au contact d'autres cultures par le processus de l'emprunt (ou de l'imitation). Les anthropologues énumèrent trois caractéristiques de la culture: elle n'est pas innée (mais apprise, reçue ou enseignée), définie (car elle détermine les spécificités de chaque groupe), et multiple de nature (car elle partage des points communs avec d'autres cultures de l'humanité). Tamazight renferme une série de spécificités. «La cultura es el medio de comunicacion del hombre; no existe ningùn aspecto de la vida humana que la cultura no toque y altere.» (ibid., p.23). Là, dire: que m'importe ma culture? devient une interrogation posée par un suicidé!

Le discours amazigh est de nos jours moderne à un tel degré qu'il est extrêmement inconcevable de discuter la démocratie en Afrique du nord sans s'y référer explicitement. C'est bien dans le «discours de culture» qu'apparaît toute la charge de la démocratie. En outre, le propre du discours amazigh est de projeter une lumière révélatrice sur l'histoire de l'Afrique du nord depuis les phéniciens jusqu'à la révolte «de conscience» des kabyles.

Quant au concept «discours», il se définit communément, comme un ensemble de manifestations verbales, orales ou écrites, tenues pour significatives d'une idéologie ou d'un état des mentalités à une époque. Et qu'a-t-il été du discours amazigh à travers l'Histoire? Quelles sont ses significations? Tamazight, en tant que projection culturelle, a sans doute son propre discours. Ses structurations (ou constructions) l'investissent de significations. Ce discours naît des significations du contexte nord-africain. Il n'existerait pas dans une autarcie, il ne serait pas s'il n'y avait pas d'autres cultures méditerranéennes qui à travers l'Histoire développent des échanges de culture et de civilisation. Par ce contact, il se définit davantage…

L'on rapporte l'argument de l'oralité pour dire combien tamazight est incapable de produire un discours! C'est précisément ce trait «oralement vivant» qui rend cet héritage riche et vivant. Simultanément, la culture orale est plus vive que l'écrite, mais aussi moins vivante.

Les expériences de l'Histoire montrent que la culture dominante (exogène à l'Afrique du nord) ne laisse pas d'espace pour le discours amazigh (endogène). Le maghrébin agit, tel un masochiste, à l'encontre de son être, recherchant l'autodestruction. Car le bonheur, le paradis, le progrès n'ont pas un nom amazigh. Ce monde idéal, pour tous les amazighicides, ne peut pas être de nature amazighe.

Et si, par hasard, le maghrébin ose un jour redécouvrir sa littérature orale, les créations autochtones, se déclarer citoyen africain… Aussi bien qu'il soit doté d'un esprit clair et objectif, il ne pourra pas ne pas comparer cet héritage tronqué à la culture dominante, et montrer ses dangers…

Le discours, à l'encontre de la culture qui de par sa nature n'est pas étanche, ne s'approprie que par la systématisation du «faisant» où le positif et le négatif sont nettement définis. Pour nous, cette définition ou cette distinction mettent à nu les velléités qui écartent l'être de l'histoire. Et, s'il y a quatre millions de langues dans le monde, y a-t-il également le même nombre de cultures? Plus? Moins? Qui sait! Mais combien de discours parlent? et combien est le nombre de ceux qui se taisent?



V.- De la terreur à l'instauration de la culture
Afin de propager la culture, l'Etat a de nombreux appareils, institutions et employés. Jean Dubuffet écrit: «La culture s'identifie à l'institutionnalisation. Il faut se garder de le perdre de vue et de prendre illusion qu'elle consiste seulement dans un système donné de jalonnement de la pensée, lequel il y aurait à améliorer. (…) L'institutionnalisation est quelles que soient les positions qui en sont l'objet- ce qu'il faut sans répit combattre, car elle est la force opposée à celle de la pensée individuelle et donc de la vie même; elle est proprement la force contre laquelle la pensée se constitue» (ibid., p.88). En plus de tuer l'individuel (création), l'institution classifie mécaniquement l'univers en camp des utiles (positifs) et camp des inutiles (négatifs). Cette classification se construit à partir de constructions symboliques (qui ne sont au fond qu'idéologiques).

Au Maghreb, ces institutions sont de négation. Alors, rien n'est plus nuisible à l'esprit démocratique que l'élimination symbolique et culturelle d'un peuple inutile, c'est le rendre muet alors qu'il balbutie des choses, c'est le considérer aveugle alors qu'il a une perception de l'univers, c'est le juger idiot, le jauger inutile alors que ses capacités d'être ont toujours été annihilées. De par sa tyrannie, l'institution condamne tout au déséquilibre.

Ce qui tue tamazight, ce n'est pas le pouvoir qui l'ignore, mais plutôt son utilisation qui la négativise. Ignorer (ou renier) une culture est un exercice sain (naturel, neutre), mais faire (appliquer un programme) pour renier est malsain (non naturel, effice). Par exemple, l'oubli monstrueux de l'école marocaine de l'existence d'une culture et langue autochtones n'est pas aussi grave que l'application de «l'istinass» qui essayera d'employer tamazight pour la nier structurellement et scientifiquement. C'est-à-dire de manière éduquée et polie. Ce n'est jamais l'école qui est dangereuse, mais le maître, de par ses sanctions, qui montre à l'élève (petit enfant, à l'étudiant (jeune) et au professeur amazigh (adulte) que la langue dans laquelle sont répartis les cours est la plus valable, à l'opposé de la langue de ses aïeux (parlée au foyer et dans les cimetières) est incapable de véhiculer les connaissances, les savoirs et la «culture» du civisme.



VI.- Tamazight, politiquement incorrecte…
Le politique maghrébin est aussi indifférent aux affaires du peuple que l'historien l'est des réalités qui meuvent ce bout de monde; ses cris pour fonder la démocratie sont encore loin de l'écho démocratique. Du chemin à tracer, avant de le parcourir. Et le point de départ, qu'on le veuille ou non, c'est tamazight. Et qu'est-ce qu'on fait pour parler de ce bout de terre nord-africaine et de ce peuple bien défini, l'on brandit l'épouvantail du nationalisme, confondu totalement avec patriotisme, au moment où le discours tend à la germination dans une voie d'expression (où l'exogène prédomine)! Par exemple, le seul point de convergence de l'UMA est l'amazighité tronquée; et le seul point de divergence au sein de cette institution et l'arabité déplacée. C'est pourquoi les échecs sont là. Et c'est pourquoi le grand conflit est le problème posé par les pseudo-sahraouis arabistes.

De même, incongrue est l'idée que les intellectuels maghrébins se font de l'héritage amazigh imaginé sans discours propre. Ils ignorent heureusement les significations et les formes des voies d'expression de la pensée autochtone. Sont-ils alors des intellectuels d'autres pays vivant dans ce pays? Ils vivent à l'ouest quand ils s'acharnent à défendre le discours en tant que manifestation et structuration d'un entassement de livres, d'architectures, de monuments artistiques, de peinture… Ils vivent à l'est lorsqu'ils s'imaginent l'univers du discours comme un prolongement métaphysique où le bien et le mal, le permis et l'interdit sont intelligemment fixés. Une chose est sûre: ils ne vivent pas ici et maintenant où s'enchaînent l'histoire tronquée, l'individu brisé, la parole interdite, le monument effacé… La faute est aux destructeurs de l'est et de l'ouest. L'intellectuel d'ici et de maintenant, à lui de récupérer tout et de reconstruire, en ouvrant les yeux sur le milieu pour voir l'histoire…

En général, politiquement parlant, le lieu du discours amazigh est: fixe (naguère fixé par le mouvement amazigh), mouvant (l'émigré conscient de son appartenance culturelle) et mutant (changeant de forme et de pensée). Par ailleurs, tamazight n'a pas besoin de sentiment de pitié; elle a besoin de ses droits. Car les prétendus projets qui prennent soin de tamazight sont au fond des initiatives radicales pour mater ce sol authentiquement amazigh de son authenticité. Par conséquent, une culture qui reçoit d'autres discours d'autres cultures fragmentées sans penser à les récupérer comme siens, et qui les emploie en interaction avec ses éléments de charge, prend la bonne voie.

En définitive, bien qu'elle apparaisse dans un état chaotique, la culture amazighe est un mouvement continu, et son discours incarne ces manifestations continues et homogènes, dotées positivement ou négativement de significations spécifiques. Souvent l'on pense que le chaos pousse l'univers en avant, vers le meilleur, est-ce le cas pour le discours? Non. Le discours évolue cherchant une autre forme dotée d'un autre contenu qui peut améliorer le présent à venir. L'uniformisation, implantée par des voies d'expression de plus en plus vidées d'authenticité, apparaît le discours. Par ce discours, comment définir l'histoire des Imazighen? Est-ce un ensemble d'omissions délibérées et d'hiatus construits avec un esprit étranger? Est-ce le passé déterminant un sujet nord-africain vivant tous les siècles comme une tranche de l'humanité?



En conclusion…
Conclusion simpliste qui, heureusement, ne prétend être exhaustive ni définitive. Il n'y a pas des discours bons et des discours mauvais, même chose pour la culture, la civilisation, la langue, l'ethnie… Toute ethnie doit posséder un discours, le sien, qui émerge de ses origines culturelles et historiques.

Pour nous, la culture amazighe, faut-il le dire, doit revenir sur ses conceptions, abstractions et visions pour les refonder (définir, préciser et assumer). Ce sont bien ses concepts qui structurent la culture dans ses spécificités. Tout comme la culture n'existe que dans une constante mobilité, le mouvement de l'amazighité est une évolution; elle va au-delà des limitations de sens, elle est tout et partout.

Va-t-elle mourir ou survivre (ce qui est au fait la même chose)? Ce qui est extraordinaire dans une réflexion de l'échéance, c'est qu'on entr'aperçoit tamazight disparaître en un instant court et fatidique ou agonir tout au long des millions de milliards de siècles! Posons-nous alors cette interrogation rhétorique: «Y a-t-il un maghrébin qui, en vie, ne passe pas par la mort culturelle de son amazighité?»

Pensons l'amazighité dans sa globalité, jamais dans sa linéarité. Car les lacunes ou failles (produites par l'exogène) sont fréquentes et profondes. C'est la démocratie seule qui est constructive. Car la démocratie apparaît comme la voie qui mène les peuples maghrébins à la survie générale.

Finalement, chez l'amazigh, il y a curieusement la difficulté à dire non. Et pour la construction d'une personnalité, dire non en est le premier pas ou signe…Ê! Comment savoir ce qu'on ignore depuis la naissance? Juste faut dire: La société amazighe a besoin de son propre discours. Là, nous aurons explicitement la représentation de ses préoccupations, de ses ambitions, de ses rêves…




Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda)
 
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