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Pour pouvoir travailler, une Égyptienne se travestit en homme depuis 43 ans
28 mars 2015 22:05
Bonjour,




Contrainte d'élever seule sa fille après la mort de son mari, une Égyptienne a décidé à 21 ans qu'elle se déguiserait en homme pour pouvoir travailler. Le stratagème dure depuis 43 ans. Elle vient d'être honorée par le président Sissi.

La voix grave et rauque, le regard assuré et presque menaçant, Sisa Abu Daooh déclare : "Ceux qui ne sont pas contents, ils peuvent aller se faire voir !" Cette Égyptienne de 65 ans assume complètement son choix de vie hors du commun : se faire passer pour un homme pour pouvoir travailler. Un subterfuge qui dure depuis 43 ans, révélé il y a peu par des médias égyptiens.

Sisa se rappelle comment tout a commencé : "Mon mari est mort quand j’étais enceinte de six mois, je n’avais personne pour me soutenir." Âgée de 21 ans, elle refuse de se remarier ou de vivre de la charité, comme le voudrait la tradition. Déterminée et indépendante, elle décide de travailler pour subvenir aux besoins de sa fille. Ne sachant ni lire ni écrire, peu de choix s’offrent à elle dans une Égypte où le partage des rôles traditionnels est bien ancré, notamment dans les villages de Haute-Égypte, d’où elle est originaire. Issue d’un milieu conservateur, elle craint les critiques mais aussi le harcèlement sexuel, très fréquent en Égypte.

La jeune femme prend alors une décision radicale : se déguiser en homme. Les cheveux rasés et une "galabeya" – la tenue traditionnelle masculine – enfilée, elle travaille pendant des années dans la construction, la confection de briques ou encore dans les champs. Elle privilégie les villages où personne ne la connaît.

Seuls ses proches et ses voisins étaient au courant de sa malicieuse transformation. Son neveu raconte : "Au départ on a essayé de lui parler, de la dissuader mais elle était tellement bornée… On n’a pas voulu lui mettre la pression, on l’a laissé faire sans se préoccuper de ce que les gens diraient." Une tolérance qui n’est pas partagée par tous : ses frères et sœurs ont décidé de couper tout contact avec Sisa après sa décision radicale.

Au travail, certains collègues découvrent sa réelle identité et tentent de lui chercher des noises. Mais elle se défend, à la dure : "Si quelqu’un était malpoli avec moi, alors je l’étais aussi."

Au final, elle impose le respect, les gens comprennent que c’est avant tout un moyen de "survie". Depuis quelques années, fatiguée et affaiblie, elle cire des chaussures près de la gare de Louxor. La brosse à la main, elle confie : "J’ai fait tout ça pour ma fille. Si c’était un garçon, je ne l’aurais pas fait. Mais j’avais peur qu’elle finisse dans la rue. Alors je l’ai protégée, je l’ai élevée et j’ai pu l’envoyer à l’école jusqu’à ce qu’elle se marie."

Il y a quelques mois, des journalistes égyptiens découvrent son incroyable histoire et sortent Sisa de l’anonymat. Peu après, le gouvernorat de Louxor lui offre un kiosque à proximité de la station d’autobus où elle vend friandises et cigarettes entre deux cirages de "pompes".

Son cas finit par arriver aux oreilles du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Ce dernier l’invite au Caire le 21 mars, à l’occasion de la fête des mères, pour lui remettre la médaille de la "Mère travailleuse exemplaire".

Depuis que son "secret" a été révélé, les habitants de la ville la reconnaissent et les réactions sont en général très positives. Une passante d’un certain âge, vêtue d’une longue "abaya" (tenue traditionnelle féminine) noire, vient la saluer et déclare : "Nous sommes très fiers d’elle. Elle a travaillé comme un homme, porté des matériaux lourds. C’est très honorable !" Un homme qui vient faire cirer ses chaussures assure : "C’est une femme exceptionnelle qui s’est épuisée jour et nuit dans des habits d’homme et le plus incroyable c’est que personne ne s’en est rendu compte. Nous la traitions comme un homme et c’est un devoir de l’honorer aujourd’hui." Certains nous disent leur surprise de la découvrir en femme mais beaucoup mettent en avant son sens du devoir, son courage.

Après ses longues journées de travail, dans l’intimité de son foyer, Sisa ne quitte pas sa galabeya d’homme : "Jamais, jamais je ne l’enlèverai. Seulement quand je serai morte ! C’est ce qui nous a protégées, moi et ma fille."

Sur les murs de son petit logis, Sisa a accroché des photos de sa fille Hoda, de son défunt mari ainsi que ses anciens outils, comme des preuves de ses années de dur labeur.
Sonia Dridi © Sonia Dridi Sonia Dridi

Lorsqu’elle a du temps libre, Sisa rend visite à Hoda qui habite à quelque deux cents kilomètres de chez elle. Elle continue de subvenir à ses besoins car son mari est gravement malade. Les deux femmes sont très proches, Sisa se rappelle : "Lorsque Hoda avait six ou sept ans, elle m’a demandée où était son père. Je lui ai dit ‘Je suis ton père et je suis ta mère, ton père est mort’."

Mais ce qui était au départ un moyen de survie est devenu un véritable style de vie. Sisa a adopté des manies d’homme : sa façon de s’asseoir, de fumer, de se gratter la tête, de serrer la main à ses voisins.

Elle gagne entre trente et quarante livres égyptiennes par jour, l’équivalent de quatre à cinq euros. Les autorités égyptiennes lui ont promis une aide équivalente à 6 000 euros mais Sisa affirme qu’elle continuera de travailler, elle dit crouler sous les dettes. Cette hyperactive a aussi du mal à s’imaginer en femme au foyer : "Je pourrirais si je restais au lit. Je m’ennuierais si je ne faisais que dormir et prier. Lorsque je travaille, mes muscles sont réveillés. Je suis une femme en acier !"
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