A huit ans, il devient cireur de chaussures et à douze, sait déjà ce qu'il fera plus tard. Petit portrait le temps d'un coup de brosse.
Plié en trois, la tête sous la table, Saïd se démène sur la chaussure gauche du client assis à la terrasse du café en face de la gare routière. Trop d'années, trop de boue, trop de poussière et trop d'éraflures l'ont rendue comme celle de droite, très récalcitrante, mais Saïd n'en a cure. Il y passera la matinée s'il le faut mais le client doit être satisfait. Finalement, Saïd passe le dernier coup de chiffon, contemple son œuvre un moment, remet brosses et pots de cirages dans la boîte, ramasse sa cartouche de Fortuna Light dans laquelle il y a plus de paquets de Marquise et d'Olympic Bleu que de Marlboro et de Fortuna et se relève avec un sourire victorieux.
Llah yerhem loualidine Le client jette un coup d'œil sous la table et se lance dans une estimation mentale du temps passé sur ses chaussures et du résultat qu'il a sous les yeux. Il fouille dans sa poche et en sort une pièce d'un dirham qu'il pose sur la table. Saïd empoche la pièce et remercie d'un « Llah yerhem loualidine » poli avant de se diriger vers un autre client qui, d'un signe de la main, le renvoie. Saïd El Arabi n'a jamais connu son père. Né il y a 12 ans à Midelt (entre Meknès et Errachidia), il décide d'aller vivre chez ses grands-parents maternels le jour où sa maman se marie avec un autre. Quand à six ans il voit les enfants du quartier porter un cartable et se diriger vers l'école, il harcèle son grand-père pour qu'il l'inscrive et finit par le convaincre. A huit ans, il est confronté à un sérieux problème : son grand-père, souffrant de graves problèmes rénaux, quitte son travail et ne peut plus subvenir aux besoins de la famille. Saïd doit quitter l'école et chercher, comme le lui conseillent les siens, une place comme apprenti mécanicien ou menuisier. A moins que... « C'est la première fois que je prenais une décision. Je me suis confectionné une boîte en bois, j'ai acheté un pot de cirage noir et une brosse et j'ai commencé à cirer les chaussures ». Pas question d'abandonner l'école. Saïd ne veut finir ni menuisier, ni mécanicien. A 12 ans, il sait déjà qu'il va devenir architecte et il fera l'impossible pour réaliser son rêve. « Bache ykoune lmaghrib zine (pour que le Maroc devienne beau) », dit-il... Ce matin, Saïd a pris son petit déjeuner chez lui. Du pain et du thé, comme tous les jours. Comme tous les jours aussi, il cotisera avec un ami à lui pour acheter de quoi manger à midi. « Un pain rond et une boîte de sardine qu'on partagera à deux ». Mais pas de limonade pour faire passer car il ne peut pas se permettre ce luxe. « Tout ce que je gagne va à ma grand-mère qui fait des courses, achète les médicaments pour mon grand-père et met un peu de côté pour l'achat des livres et des fournitures scolaires ». Les recettes varient en fonction du jour. 10 ou 15 DH par jour la plupart du temps et 30 DH quand la chance lui sourit. Saïd sait qu'il peut se faire plus mais pour cela, il faudrait qu'il sèche l'école. « Je ne me suis jamais absenté, même quand je suis malade. Je cire les chaussures entre midi et deux et un peu le soir à la sortie des cours. Sinon j'ai tout le week-end et les jours fériés pour travailler ». Saïd n'a jamais redoublé une classe et il est toujours premier en maths...
J'ai toujours détesté voir les petits cireurs! Ça me échirait le coeur...
O vous tous, qui avez vécu ces événements que mes paroles vont rapporter,
Ecoutez-moi !
Vous avez mangé le suc des grappes amères, et vos enfants en gardent les lèvres irritéesChanteur ambulant de Beni Mtir
Merci pour ce témoignage, si seulement certains enfants ici RME, qui ont la possibilité d'aller à l'école et qu'ils ont tout sous la main pour étudier, pouvaient prendre exemple sur ce petit garçon qui a son jeune age à bien compris ce qui était important les études avant tout.
La vie est comme un arc-en-ciel: il faut de la pluie et du soleil pour en voir les couleurs.
chargement...
+ 
