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Politique. Loi sur les partis : étude de texte
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21 novembre 2004 15:16
C'est une réforme majeure qui se prépare, mais le bruit commence à peine à enfler. Les états-majors des partis politiques ont, en effet, jusqu’à fin novembre pour commenter (par écrit) l’avant-projet de loi sur les partis rédigé par le ministère de l’Intérieur. L’enjeu est de taille. Jusqu’à aujourd’hui, la vie partisane marocaine est régulée par le dahir
de 1958 sur les associations. Un cadre jugé, au Palais, trop vague, trop imprécis, bref, peu à même de doter le Maroc d’une classe politique organisée et efficiente. Le nouveau code est supposé matérialiser cet objectif. Les partis, pour l’instant, commencent à peine à constituer les commissions chargées d’examiner le texte. Mais on relève déjà quelques réticences générales, et communes.
Celle qui revient le plus souvent est la suivante : on n’aurait pu trouver mieux que ce texte pour bloquer la constitution de nouveaux partis politiques. Les conditions qu’on pose à leur création sont très difficiles, voire impossibles à respecter sans tricher. Oui, la scène politique marocaine est pléthorique (26 partis agréés), mais est-ce une solution de la figer en l’état, en bloquant l’arrivée de nouvelles formations ? Ce serait considérer que les formations existantes sont suffisamment organisées, et crédibles, pour représenter efficacement les Marocains. Et ce serait une lourde erreur. Mohammed VI, qui ne rate pas une occasion de fustiger le populisme et l’inefficacité des partis, est le premier à le reconnaître.
Autre reproche général à cet avant-projet de loi : la création d’un parti y devient… soumise à autorisation du ministère de l’Intérieur ! Ce n’est pas écrit noir sur blanc dans le texte, mais il est très facile de l’interpréter ainsi. À la moindre pièce manquante au dossier de constitution (vu le nombre de documents demandés, il est quasiment impossible qu’un dossier soit parfait), le ministère rejette la demande. Ce qui nous ramène à une attitude très classique des pouvoirs publics : pousser les citoyens à violer la loi, puis se réserver la possibilité de sévir quand on le veut, pour des motifs réels qui n’auront rien de procédural. Il s’agit, en somme, de reconduire le ministère de l’Intérieur en tant que force régalienne de contrôle.
C’est encore plus évident, quand on voit que le ministère de toutes nos passions a aussi le droit de… dissoudre un parti ! Sans parler de ses modalités, le simple fait que cette possibilité lui soit offerte suscite une levée de boucliers générale. Et pose une question de fond : le ministère de l’Intérieur dispose-t-il de suffisamment de légitimité pour se poser en arbitre neutre de la vie politique ? Assurément non, vu son long passif de manipulation et de trucages électoraux. Les promoteurs de ce texte ont agi comme si la scène politique était pacifiée et que l’État se situait indiscutablement au-dessus du jeu partisan. Rien n’est plus faux. La méfiance est toujours là et relève presque de l’instinct. Tous les hommes politiques consultés le soulignent. Cette possibilité, si elle existe, devrait être du ressort de la seule justice. Ce qui n’est même pas une garantie suffisante de liberté, vu la très relative indépendance de nos magistrats, mais enfin, il faut bien commencer un jour, quelque part. Ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas dans un ministère qui n’a pas effacé les scories de 25 ans de basrisme.
Si tout ce qui se rapporte, dans ce texte, au ministère de l’Intérieur suscite déjà l’opposition, la section concernant l’organisation financière des partis ne suscite, elle, que des applaudissements. Non sans une certaine mauvaise foi, d’ailleurs. Appliquer la transparence financière la plus stricte (c’est ce que prévoient, en gros, les articles 29 à 41) n’ira pas sans de gros déchirements internes dans quasiment toutes les formations. Mais protester ouvertement n’est pas envisageable pour un chef de parti. Qui peut se permettre de revendiquer l’opacité, sans être immédiatement l’objet de toutes les critiques ?
Fin novembre, tous les partis devront avoir rendu leur copie au ministère de l’Intérieur. Un des enjeux de ce premier round de consultations est, pour el Mostafa Sahel et ses équipes, de recevoir des remarques et contre-propositions précises, plutôt que des avis généraux. Beaucoup de partis seront, en effet, tentés de masquer des réticences profondes et inavouables (à la réorganisation financière, par exemple) par un rejet global du texte. Et leur presse pourrait ajouter à la confusion par des campagnes violentes (et générales) contre ce même texte. Si l’État se laisse prendre à ce piège, la réforme pourrait s’enliser encore une fois. Ce serait malheureux puisque, malgré de nombreuses imperfections, elle propose tout de même un certain nombre d’innovations salutaires. Voyons cela en détail.

Art. 4 : Est nulle et de nul effet toute constitution de parti politique ayant pour but de porter atteinte à la religion islamique, à la forme monarchique de l’État ou à l’intégrité territoriale du royaume ou qui, de manière générale, est fondée sur une cause ou en vue d’un objectif contraire aux dispositions de la Constitution, ou fondée sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale. "Porter atteinte" est une formulation floue qui ouvre la voie à de multiples interprétations arbitraires. Surtout quand c’est au ministère de l’Intérieur d’apprécier s’il y a "atteinte" ou pas. De plus, qu’est-ce qu’un "objectif contraire à la Constitution" ? Cela signifie-t-il que critiquer la Constitution ou réclamer son amendement est interdit ? Et ceux qui contestent l’article 19 ? Et ceux qui demandent l’abandon du bicaméralisme ? Le fédéralisme n’est-il pas une voie ouvertement souhaitée par la monarchie ? Cela nécessite une réforme de la Constitution. À en croire cet article, un parti politique n’a pas le droit de la réclamer. C’est aberrant. Enfin, l’interdiction de tout parti "fondé sur une base religieuse" est une grosse hypocrisie. Qu’est donc le PJD ? La problématique n’est pas neuve, et le parti islamiste y a répondu dès sa création en affirmant que ses statuts "ne se basaient pas sur la religion islamique". C’est ridicule. Cette loi est censée clarifier le champ politique, pas le complexifier.

Art. 8 (§ 2 et 3). Les membres fondateurs d’un parti politique déposent auprès du ministère de l’Intérieur un dossier comprenant (…) une déclaration écrite portant les signatures légalisées d’au moins 1000 membres fondateurs (…et) un état (…) accompagné d’une copie du casier judiciaire, de la carte d’identité nationale, ainsi que du certificat de résidence et de l’attestation d’inscription sur les listes électorales générales pour chacun des membres fondateurs. Cela fait donc 1000 signatures légalisées, 1000 casiers judiciaires, 1000 certificats de résidence, et 1000 attestations d’inscription sur les listes électorales. C’est-à-dire au moins 4000 démarches administratives à effectuer. Quand on connaît l’administration marocaine, on comprend pourquoi les partis accusent le ministère de l’Intérieur de leur compliquer la tâche. L’argument de ce dernier ("il faut être un minimum impliqué, quand on prétend créer un parti politique"winking smiley est un modèle de mauvaise foi. Rien ne sera plus facile que de refuser la création d’un parti sous prétexte qu’il manque un document à son dossier de constitution (sur au moins 4000, c’est bien le diable s’il n’y a pas une seule petite erreur !). Cet article est donc bel et bien une entrave à la création de nouveaux partis politiques.

Art. 22 (§2). Les statuts (d’un parti) doivent (…) permettre la désignation de l’ensemble des organes par voie élective. Pour l’instant, les partis n’osent pas trop protester contre cet article, par peur d’être accusés par leurs propres militants de refuser la démocratie interne. Pourtant, cette disposition, si elle passe en l’état, risque de bouleverser un des fondements de la vie partisane marocaine : les cooptations. L’organisation interne du parti de l’Istiqlal, pour ne citer que lui, risque de s’en retrouver complètement chamboulée. Équivalent des gouverneurs, les "inspecteurs", nommés par le bureau exécutif ou le secrétaire général pour être ses "yeux" dans les provinces, n’auraient plus de raison d’être. Ce serait une révolution.

Art. 22 (§3). (Les statuts) doivent prévoir le nombre proportionnel de femmes et de jeunes devant siéger dans les instances dirigeantes du parti. Ceux qui s’insurgent contre cette disposition (il y en a déjà) mettent en avant les complications qu’elle induira, lors des élections desdites instances. Pour honorer les quotas, il faudra répartir les candidats aux postes de responsabilités en collèges différents, et donc procéder à des élections distinctes. Certes. Mais ça a bien marché pour le Parlement, pourquoi pas pour les partis ? Le prétexte technique n’est pas suffisant pour écarter l’idée. À moins d’être contre le principe, auquel cas il faut avoir le courage de le dire sans détours. Du côté de ceux qui approuvent la politique des quotas, on regrette que cet article s’arrête au milieu du gué. D’abord, il faudrait définir l’âge en dessous duquel on est considéré comme "jeune". Ensuite, par mesure d’homogénéité, il faudrait que la loi fixe, au moins, un quota minimum de jeunes et de femmes pour tous les partis. Pourquoi pas 10 % chacun ? Ce serait un début.

Art. 23. Tout parti politique doit disposer de structures organisationnelles nationales, avec des prolongements aux niveaux régional, provincial ou préfectoral et local. "Et" ou "ou" ? Cet article mériterait d’être rédigé avec plus de précision. Parce que si c’est le "et" qui l’emporte, cela induit pour un parti l’obligation de disposer de quelque chose comme 1500 bureaux à travers le royaume. Les plus grands partis n’en ont pas plus de 300. Encore une disposition, si elle passe en l’état, qui donnera au ministère de l’Intérieur une occasion pour bloquer un parti au motif qu’il est hors la loi… alors même qu’il est impossible de respecter la loi.

Art. 24. Le mode de choix et d’accréditation des candidats du parti aux différentes consultations électorales doit être fondé sur des bases et des principes démocratiques. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Qu’avant d’être candidat d’un parti, il faudra remporter un scrutin interne, comme dans les "primaires" américaines ? Ce serait formidable, et cela éliminerait d’office la pratique bien connue de la vente des "tazquiat" (accréditations). Là aussi, les partis n’osent pas trop protester, pour l’instant. Mais d’une manière ou d’une autre, à un moment ou un autre, ils le feront. Les tazquiat rapportent beaucoup d’argent aux partis, et permettent de parachuter à la dernière minute les "candidats" que les états-majors partisans pensent à même de gagner. Les militants, eux, exècrent cette pratique, qui contrarie leurs ambitions. Luttes internes en perspective…

Art. 29. Les ressources financières du parti proviennent des cotisations de ses membres, des revenus liés à ses activités sociales ou culturelles, des aides et des subventions de l’État, (et) des dons, legs et libéralités. OK pour les trois premières sources de financement, mais quid de la dernière ? Les articles 30 et 31 stipulent que ces "dons, legs et libéralités" ne peuvent provenir d’une institution publique, ni de l’étranger. Et d’un lobby de trafiquants de drogue, par exemple ? Et de potentiels syndicats du crime ? Rien ne l’interdit. Même si c’était le cas, de toute façon, les prête-noms existeront toujours. Idéalement, il faudrait enlever aux partis la possibilité de recevoir des dons. Mais cela ôterait aux militants fortunés la possibilité de payer pour promouvoir leurs idées. Ce qui est un droit inaliénable. D’où impasse. Mais tranquillisons-nous, le problème est universel.

Art. 34. Les comptes des partis sont arrêtés annuellement. Ils sont certifiés par un expert comptable (…) attestant la sincérité des comptes qu’il décrit. Bravo ! Personne, évidemment, n’osera contester une telle décision. D’autant plus que le ministère de l’Intérieur, intelligemment, a donné deux ans aux partis existants pour être en conformité avec la loi, une fois qu’elle sera promulguée. Les trésoriers doivent déjà s’affoler (en secret).

Art. 36. L’État accorde aux partis politiques une subvention annuelle (…). Le montant global de cette subvention est fixé par arrêté du Premier ministre et il est réparti entre les partis politiques représentés au Parlement sur la base du nombre des représentants et conseillers. Tous les partis saluent, évidement, cette initiative. Mais tous préféreraient voir le montant alloué à chacun subordonné au nombre de voix obtenues, plutôt qu’au nombre de sièges. Argument : la 2ème chambre est élue au suffrage indirect, ce qui induit qu'elle l'est par rapport au décompte des voix, seul à même d’attester de la force relative d’un parti. Juste.

Art. 41. Tout parti qui ne réunit pas son congrès durant quatre ans perd son droit à la subvention annuelle. Re-bravo !! Là encore, personne n’osera protester, même si cette disposition n’arrange clairement pas les "leaders historiques" comme Aherdane ou Osman, qui s’accrochent à leurs sièges avec l’énergie du désespoir. Certains cadres partisans proposent même, pour plus de clarté, que la loi interdise à tout secrétaire général d’effectuer plus de deux mandats consécutifs à la tête de son parti. On verra s’ils oseront l’écrire dans la réponse qu’ils enverront, d’ici fin novembre, au ministre de l’Intérieur.

Art 42. Lorsque les activités d’un parti politique portent atteinte à l’ordre public, le ministère de l’Intérieur ordonne (…) la suspension du parti et la fermeture provisoire de ses locaux. Cette décision (…) ne peut être contestée que devant le tribunal administratif de Rabat. Attention, danger ! Rien de plus flou, en effet, que cette notion d’"atteinte à l’ordre public". Surtout quand c’est au ministère de l’Intérieur de décréter s’il y a atteinte ou pas. Ce devrait être à la justice de le faire, après en avoir été saisie par le ministère de l’Intérieur. Les magistrats étant, comme on sait, très soucieux de l’ordre public, nul doute qu’ils décrèteront dans un temps record ce que le ministère de l’Intérieur leur dira de décréter. Mais au moins, les apparences seront sauves.

Art. 49. Sera dissous, par décret, tout parti politique qui provoquerait à des manifestations armées dans la rue ou qui présenterait, par sa forme et son organisation militaire ou paramilitaire, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ou qui aurait pour but de s’emparer du pouvoir par la violence, de porter atteinte à la religion islamique, à l’intégrité du territoire national ou à la forme monarchique de l’État. Voila un article qui commence bien et qui finit mal. Dissoudre un parti parce qu’il a des milices armées, fort bien. Le dissoudre "parce qu’il aurait pour but" de faire ceci ou cela, c’est déjà plus tendancieux. Comment prouver un "but" sans verser dans le procès d’intention ? Enfin, on nous ressert le classique "porter atteinte". Redisons-le donc : c’est une notion floue et dangereuse pour les libertés.
 
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