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Parcours. Amaoui-non
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21 avril 2006 13:47
Parcours. Amaoui-non

Noubir Amaoui. (AIC PRESS)


Populaire et populiste, à la fois leader politique et syndicaliste de l'ère hassanienne, Noubir Amaoui appartient au passé. Son “non à la monarchie régnante” est un vieux souvenir. Grandeur et désillusions de “l'orgueil de la Chaouia”.


Au téléphone, Noubir Amaoui commence par prévenir d'une voix à peine audible, entrecoupée d'une grosse toux chronique : “Je ne suis ni alem, ni artiste”. C'est sans doute vrai. Ses adversaires vont encore plus loin : “Amaoui appartient au passé, résume l'un d'eux. Il a pu être un grand leader syndicaliste et un acteur politique majeur. Aujourd'hui,
il n'est plus qu'un leader de pacotille, un homme de 70 ans qui ne sait plus très bien où aller”.

Sur le papier, Amaoui reste le numéro 1 incontesté de la CDT (Confédération démocratique du travail), la centrale syndicale la mieux représentée au parlement avec 12 conseillers à la deuxième chambre. Il dirige en même temps le parti du Congrès national ittihadi (CNI), sans avoir besoin d'en être le secrétaire général. En coiffant à la fois un syndicat et un parti, un privilège dont il est bien le seul à disposer, Amaoui fait toujours figure d'épouvantail. Mais l'image est trompeuse. Et le fils de Ben Ahmed, fierté de la Chaouia, n'est plus que l'ombre de lui-même, à des années-lumière de ce qu'il a été jusqu'à un passé récent, dans ce Maroc de Hassan II où un mot d'ordre de grève générale pouvait déstabiliser un pays, un régime.

La politique en darija
Flash-back. Nous sommes en 1978. Amaoui, aidé de quelques autres ténors proches de l'USFP, quitte la toute puissante UMT (Union marocaine du travail) pour fonder la CDT. Un témoin de l'époque explique : “C'est Omar Benjelloun (ndlr leader socialiste assassiné en 1975) qui a mené la fronde au sein de l'UMT, lançant des grèves qui ont paralysé tout le pays. Benjelloun comme les autres accusaient l'UMT d'avoir trahi, de rouler pour le patronat et pour la monarchie. Le clash était inévitable et Amaoui, à la mort de Benjelloun, n'a fait que reprendre le flambeau, en quittant avec fracas l'UMT. Et il a emmené dans ses bagages, non seulement tous les ténors restés proches de l'USFP, mais aussi des secteurs vitaux comme l'enseignement, la poste, voire la santé”. En 1978, donc, Noubir Amaoui crée un syndicat, la CDT, qui s'impose instantanément comme la première centrale du pays, la plus turbulente surtout. Harangueur des foules, il représente alors la ligne la plus dure de l'USFP, celle qui n'a pas renoncé au bras de fer avec l'autorité, tout en restant très proche du petit peuple. “Bousberdila (l'homme aux baskets)”, comme on l'appelle déjà pour faire référence à ses tenues frustes, est né pour en découdre. En 1981, par exemple, il appelle à une grève générale qui se transforme, rapidement, en émeutes sanglantes. “Amaoui, se souvient ce dirigeant de la CDT, savait que le pays était en ébullition et que les grévistes allaient être rejoints par des milliers de mécontents. Une grève, dans ce contexte, était assimilée à une insurrection générale, avec tous les risques que cela implique pour le régime. Il a quand même appuyé sur le champignon, paralysant le pays entier et imposant la centrale en première ligne des opposants de Hassan II”. Amaoui a aussi la “chance”, comme d'autres cadors de la CDT et de l'USFP, de se faire rapidement arrêter, le régime hassanien accusant implicitement tout ce beau monde de comploter contre la monarchie. Il gagne alors une image de héros, d'indomptable. Sa popularité, conjuguée à la puissance de la CDT, lui confère un statut d'intouchable au sein de l'USFP, ce qui ne plaît pas à tout le monde. Ses adversaires l'appellent le plus souvent “l'inspecteur”, pour signifier qu'il reste d'abord un ancien instit' qui a su gravir les échelons mais aussi pour mettre en doute son engagement, le mot inspecteur étant l'expression la plus répandue pour désigner un policier en civil. Tribun inspiré, Amaoui est l'un des premiers leaders politiques à manier la darija locale pour servir autre chose que le discours officiel. Il en tire une réputation de populiste renforcée par son incapacité à s'exprimer dans la langue de Molière ou Shakespeare. “Dans son genre, résume ce confident, Amaoui a été le premier fils du peuple à avoir gagné des galons à la sueur de son front, sans jamais se départir de son statut et de ses manières de fils du peuple”. C'est un compliment. Quand il reçoit quelqu'un, dans le local de la CDT à Casablanca, Amaoui peut parfaitement retirer ses chaussures et se déboutonner le haut de la chemise, “comme le faisaient ses ancêtres au bled”. Sur un plan plus politique, et en plus de tenir l'assise syndicale de l'USFP, principal contre-pouvoir alors à la monarchie, il étend son influence progressivement à la chabiba du parti, entretient des rapports plutôt bons avec Abderrahim Bouabid et, surtout, jette les ponts avec les dauphins éventuels, l'exilé Fqih Basri et Abderrahmane Youssoufi en tête.

Le roi ne doit pas gouverner
Même s'il ne maîtrise pas toutes les langues vivantes, Amaoui est un homme de communication. Ses sorties médiatiques, comme ses interventions lors des meetings syndicaux, sont de véritables brûlots où l'enfant de Ben Ahmed ne met pas de gants pour critiquer ouvertement le pouvoir. “Le roi doit régner sans gouverner” : ce slogan aujourd'hui revendiqué tant par la gauche que par la société civile, Amaoui a été parmi les premiers à en faire son dada. Et en public, s'il vous plaît, ce qui lui valut de nombreux emprisonnements. Abderrahim Tafnout, qui a interviewé le “frère Noubir”, en compagnie de Abdellah Zaâzaâ pour le compte de la publication , Houriat Al-Mouwatin, se souvient : “C'était en 1991, Amaoui avait déclamé un discours particulièrement virulent à l'occasion du 1er mai, place des Sraghna à Casablanca. Nous nous sommes dit : il est important de reproduire cela noir sur blanc, chose que l'on a faite en interviewant de nouveau Amaoui”. Encore une fois, le frère Amaoui, qui a pris le soin de retirer ses chaussures avant d'ouvrir le feu, n'y est pas allé de main molle pour critiquer la monarchie et l'inviter à régner sans gouverner. “Amaoui, poursuit Tafnout, reprenait souvent le propos de Montesquieu selon lequel le pouvoir doit être contrebalancé par un contre-pouvoir. Cette approche ne plaisait pas beaucoup à une certaine élite de gauche, mais elle enflammait les jeunes, la rue, et faisait de Amaoui un repère pour beaucoup de gens déçus à la fois par la monarchie et par les consensus mous établis par la gauche officielle”.

Amaoui ne faisait peut-être pas dans la dentelle, mais il avait du courage à revendre. Pour avoir une idée de la portée de ses sorties de l'époque, il suffit de rappeler que les journalistes qui couvraient ses meetings populaires étaient la cible régulière de harcèlements policiers répétés. L'un d'eux se rappelle qu'il arrivait que “Amaoui lui-même passe la nuit dans le local de la CDT, pour se protéger contre les descentes de police”. Le leader syndicaliste, qui avait déjà connu des lieux d'emprisonnement clandestins comme Derb Moulay Chérif ou le Corbès, devenait ainsi le champion des convocations au poste de police, des filatures, des procès en justice. Pour l'anecdote, c'est Mohamed Ziane qui représentait alors les intérêts de l'Etat marocain, dans l'un de ces fameux procès, et c'est Mohamed Lididi (actuel secrétaire général au ministère de la Justice) qui présidait le tribunal qui allait condamner un Amaoui soutenu par un collectif de mille avocats parmi lesquels un certain Mohamed Bouzoubaâ !

Victime de l'Alternance
Le frère Noubir a pesé de tout son poids pour barrer la route à Mohamed Elyazghi et favoriser la piste Youssoufi pour prendre la direction de l'USFP, à la mort de Abderrahim Bouabid. Il a été, aussi, parmi les principaux artisans du retour de Fqih Basri, le dernier grand exilé du parti. Mais son parcours a connu un point d'inflexion : l'avènement de l'alternance en 1998. “Personne ne peut exactement dire quelle a été, en fin de compte, la position de Amaoui, se rappelle l'un de ses anciens collaborateurs. Il était à la fois pour et contre l'alternance. Mais pour les jeunes de la chabiba, comme pour une bonne partie de la CDT, il s'était fourvoyé”. La conséquence de tout cela s'appelle le 6ème congrès de l'USFP, tenu en 2001. Amaoui claque logiquement la porte de l'USFP, accusé d'avoir “trahi”, et emporte dans ses bagages la CDT qu'il dirige toujours d'une main de fer. Il fonde alors le CNI et opte pour Abdelmajid Bouzoubaâ, son fidèle adjoint à la centrale, comme secrétaire général. C'est réellement la fin d'une époque : Amaoui a non seulement divorcé avec l'USFP mais il a aussi quitté, bien malgré lui, ses anciens poulains de la chabiba partis fonder Fidélité à la démocratie ou le Parti travailliste dont la figure principale, Abdelkrim Benatik, a longtemps été parmi ses proches collaborateurs. L'USFP a monté entre-temps une nouvelle centrale syndicale, la FDT, autour d'anciens de la CDT restés fidèles au courant Elyazghi. Quant au CNI, il figure aujourd'hui au bas de l'échelle politique avec un seul élu aux législatives de 2002, qui a quitté le parti depuis ! Pire, le parti est aujourd'hui menacé de scission autour de son secrétaire général sortant, Abdelmajid Bouzoubaâ.

Quand on lui expose le déroulement accéléré de tous ces événements, le frère Noubir, fatigué, lâche ce commentaire sommaire : “Notre histoire a toujours été une succession de trahisons (…). Notre rôle est de donner espoir au peuple”. No comment.





Congrès national ittihadi. Parti ou syndicat ?

Le Congrès national ittihadi a tenu, récemment, son 7ème congrès. Etonnant pour un parti né il y a moins de cinq ans. “En fait, nous explique ce dirigeant du parti, le CNI se considère comme le prolongement légitime de l'USFP. Il a longtemps bataillé pour garder, d'ailleurs, l'appellation USFP. On a délibérément choisi d'opter pour la formule 7ème congrès pour indiquer que c'est nous qui représentons véritablement aujourd'hui l'USFP”. Au-delà de la guéguerre avec l'USFP, le CNI a fait face, lors de son “septième” congrès, à une vague impressionnante de démissions conduite par le S.G sortant Abdelmajid Bouzoubaâ. Commentaire de ce dernier : “Le congrès a été biaisé par la présence de centaines d'intrus parmi les pseudo congressistes. C'est une mascarade par laquelle la CDT veut maintenir sa mainmise sur le parti et exclure toute ouverture sur le monde extérieur”. Bouzoubaâ, qui continue théoriquement d'être le numéro deux de la CDT (!), avoue implicitement avoir été “dupé” par Amaoui et lâche ce nouveau commentaire : “Logiquement, les partis politiques contrôlent les centrales syndicales qui leur sont affiliées mais, aujourd'hui, c'est le contraire qui se passe avec le CNI et la CDT. Cela crée des situations absurdes. Quand, par exemple, le parti militait contre la dernière loi de finances, les conseillers de la CDT s'étaient empressés de voter pour !”. Etonnant ? “Pas forcément, rétorque un militant resté fidèle à Amaoui. La CDT compte douze sièges parlementaires, le CNI aucun. Il est normal que le syndicat donne le ton, et non pas le parti”. Comprenne qui pourra.




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