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Ben Ali : « Mes objectifs économiques »
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19 mai 2006 20:26
Ben Ali : « Mes objectifs économiques »
TUNISIE - 14 mai 2006 - par SAMIR GHARBI

Réduction de 4 % du taux de chômage, doublement du revenu par habitant, accélération du « développement humain »… Le chef de l’État affiche de grandes ambitions pour la période 2006-2016.

Le président Zine el-Abidine Ben Ali a fixé un nouvel objectif à son gouvernement : « faire de la Tunisie un pays développé », et non plus seulement un pays émergent. Cet objectif, il l’a solennellement annoncé le 20 mars, lors du cinquantième anniversaire de l’indépendance, puis à nouveau le 6 mai, à Tozeur, où il a plus particulièrement insisté sur le développement régional.
Situé à 450 km au sud-ouest de la capitale, le gouvernorat de Tozeur compte moins de 100 000 habitants, soit 1 % de la population du pays (17 habitants au km2). Beaucoup de progrès y ont été réalisés dans le domaine social : accès généralisé aux soins, à l’eau et à l’électricité… Pourtant, les entreprises - et les emplois - tardent à venir. Qui dit développement dit, bien sûr, éradication des dernières « poches » de pauvreté. En encourageant les investissements, qui ont spontanément tendance à se concentrer dans les grandes villes côtières, à prendre la direction de l’intérieur du pays, le Sud-Ouest comme le Nord-Ouest, le président s’efforce d’étendre la modernisation de la société à l’ensemble du territoire.

Dans son discours du 20 mars, il a fixé trois objectifs intermédiaires :

1. Rejoindre, à l’horizon 2009, le peloton des pays possédant les meilleurs indicateurs en matière de développement humain ;

2. Multiplier par deux le revenu par habitant d’ici à 2016, en le portant à 8 000 dinars (6 200 dollars) ;

3. Ramener le taux de chômage de 14 % à 10 % à la fin de 2016.

Ces objectifs ont été entérinés, le 29 avril, par le Conseil supérieur du développement et seront donc intégrés aux « Perspectives décennales 2007-2016 », actuellement en cours d’élaboration. Depuis, les membres du gouvernement se mobilisent pour expliquer et promouvoir le nouveau « cahier des charges ». Le Premier ministre Mohamed Ghannouchi a profité de son premier voyage officiel à Paris, du 3 au 4 mai (il était notamment accompagné par Mohamed Nouri Jouini, le ministre du Développement économique et de la Coopération internationale, et par Afif Chelbi, celui de l’Industrie, de l’Énergie et des PME), pour dresser le bilan de la décennie écoulée (1997-2006) et annoncer de nouveaux grands projets.

Dès lors, une série de questions se posent : ces objectifs sont-ils réalistes ? À quelles conditions peuvent-ils être atteints ? Nécessitent-ils de nouvelles découvertes pétrolières ? Quel type de politique économique supposent-ils ?


1. Développement humain : oui, c’est possible

La Tunisie devrait sans trop d’efforts rejoindre le groupe des pays les plus favorisés en ce domaine. Selon les critères définis par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), il faut pour cela disposer d’un Indicateur de développement humain (IDH) supérieur à 0,8 (sur 1). Cet indicateur prend en compte trois données essentielles : les conditions de vie (Produit intérieur brut par habitant recalculé sur la base de la parité de pouvoir d’achat), l’espérance de vie à la naissance (santé et longévité) et le niveau d’instruction (alphabétisation et scolarisation). Les progrès de la Tunisie dans ces trois domaines étant constants depuis 1975, l’objectif d’un IDH de 0,8 paraît tout à fait à sa portée. En 2005, il était de 0,753 (sur la base des données de 2003). Selon nos calculs, il pourrait atteindre au moins 0,83 en 2009. Voir infographie n° 1.


2. Revenu par habitant : ?possible aussi, mais un ?peu plus difficile

En se contentant d’accentuer son effort des dernières années, la Tunisie devrait réussir à multiplier son revenu par habitant par deux. Celui-ci a déjà doublé entre 1995 et 2006, passant d’environ 2 000 dinars à 4 000 dinars (de 1 500 dollars à 3 000 dollars). Sauf accident, il devrait atteindre plus de 5 600 dinars en 2011 et 8 000 dinars en 2016. Mais, pour cela, il faudra que la croissance moyenne annuelle soit comprise entre 6,5 % et 7 %. Elle n’est que de 5 % actuellement. Voir infographie n° 2.


3. Le taux de chômage : ?possible encore, mais ?beaucoup plus difficile

Le problème de l’emploi est assurément le plus difficile. Le gouvernement estime que le taux de chômage sera cette année de 14 %, contre 16 % en 1999. À en croire l’Institut national de la statistique (INS), il y aurait aujourd’hui près de 488 000 chômeurs en Tunisie, pour une population active de 3,42 millions de personnes âgées de 15 ans et plus. Pour atteindre l’objectif présidentiel (10 % en 2016), il faudrait créer plus de 92 000 emplois par an, contre 75 000 en moyenne (hors agriculture) actuellement. Ce n’est pas irréalisable, mais c’est difficile… Voir infographie n° 3.


Comment atteindre ces objectifs ambitieux ? Tous les économistes sérieux - y compris ceux de la Banque mondiale et du FMI - sont convaincus que la Tunisie doit absolument accroître son taux de croissance « habituel » (5 % an) pour se rapprocher de celui des pays émergents (entre 7 % et 8 %). Avec un taux de croissance démographique net de 1,1 %, cela lui permettrait d’améliorer son revenu par habitant de 7 % en moyenne et de satisfaire presque toutes les nouvelles demandes d’emploi.

Si la Tunisie n’est pas, jusqu’à présent, parvenue à franchir ce palier, c’est essentiellement en raison de la faiblesse de son taux d’investissement privé (13 % du PICool, qui ne représente qu’un peu plus de la moitié de l’investissement total (23 % du PICool. Selon les chiffres officiels, les investissements privés ont représenté, au cours de la période 2002-2006, 57 % de l’ensemble des investissements, alors que l’objectif était de 60 %. Accroître l’effort du secteur privé de 1 % du PIB représenterait un investissement supplémentaire de 500 millions de dinars par an et un potentiel de 10 000 emplois dans le secteur manufacturier et celui des services. C’est la condition indispensable pour ramener le taux de chômage à environ 10 % en 2016.

Comment inciter les privés à investir davantage ? Jusqu’à présent, les autorités se sont contentées d’incitations fiscales (baisse de l’impôt sur les bénéfices, aides à l’exportation, etc.). De l’avis des banquiers, il ne s’agit là que de « saupoudrages » très insuffisants pour convaincre les investisseurs de prendre des risques à moyen et long terme. Le FMI s’est exprimé sur ce point, de manière allusive, en appelant à une « amélioration du climat des affaires ». « Un secteur privé plus dynamique, estiment ses responsables, est primordial pour permettre à la Tunisie d’atteindre un palier de croissance plus élevé, dans un environnement international marqué par une concurrence de plus en plus vive. »

Inutile de faire un dessin. Améliorer le climat des affaires exige une meilleure « visibilité ». Autrement dit : un cadre juridique stable, applicable à tous les investisseurs, sans exception. Or il existe actuellement en Tunisie une catégorie d’hommes d’affaires apparemment au-dessus des lois, qui se jouent de tous les obstacles administratifs ou douaniers et obtiennent des banques tous les crédits et facilités qu’ils peuvent souhaiter. « La justice est avec le débiteur, contre le créancier, explique un responsable bancaire chargé du contentieux. Mais lorsque les juges disent le droit, l’application de la sentence pose souvent problème. » « Le commerce parallèle - et déloyal - est roi », déplore pour sa part un industriel. Des importations sauvages se font au vu et au su de l’administration, au détriment de l’économie formelle.

Le FMI recommande donc l’instauration d’une vraie liberté d’entreprendre, d’une vraie flexibilité du travail et d’une vraie concurrence. Car la Tunisie n’est pas seule sur le marché : un investisseur étranger a désormais tout loisir de s’établir ailleurs, là où le climat des affaires se trouve être moins opaque. Moins de népotisme et de favoritisme, plus d’égalité dans les affaires et de transparence dans les prises de décision, l’attribution des marchés ou la mise en œuvre des grands projets : tels devraient être les objectifs d’un vrai « gouvernement économique ». Nul besoin pour cela d’une révolution, mais d’une évolution en douceur, accompagnée de l’émission de signaux montrant clairement que les mœurs sont en train de changer. Dans le bon sens, bien sûr. Bref, comme le dit plaisamment un banquier, il faut faire savoir que « le temps de la récréation est fini ».

Pour mener à bien les objectifs définis par le président Ben Ali, ce gouvernement a la chance de disposer d’un secteur pétrolier actif - ce qui, comme l’on sait, n’est pas le cas du Maroc, par exemple. Une nouvelle grande découverte n’est nullement indispensable : il suffit de poursuivre le « ratissage » du territoire national. Ainsi, l’exploration du bassin de Ghadamès (dans le Sud) a permis au cours des cinq dernières années de découvrir une dizaine de petits gisements pétroliers et gaziers. Plusieurs gisements célèbres - ceux d’El-Borma et d’Ashtart, notamment - sont sur le déclin, mais d’autres, peu connus des Tunisiens, prennent progressivement la relève : Adam, Hawa, Nour, Dalia, Jannet… Cette « constellation » produit 20 000 barils par jour, soit plus qu’El-Borma (12 000 b/j) et Ashtart (11 500 b/j). Au total, une trentaine de gisements onshore et offshore produisent 3,4 millions de t de brut par an (70 000 b/j) et 2,3 milliards de m3 de gaz, auxquels s’ajoute la redevance du gazoduc algéro-italien (1,2 milliard de m3/an).

L’ensemble permet à la Tunisie de satisfaire 95 % de sa consommation en volume (7 millions de tonnes-équivalent pétrole, tep), pour une consommation de 7,3 millions de t. Au cours des huit dernières années (1996-2003), la Tunisie a produit 45 millions de tep et augmenté ses réserves de 52 millions grâce à de nouvelles découvertes. L’effort d’exploration est ininterrompu et le cadre juridique sans cesse modernisé de manière à attirer les compagnies étrangères (qu’elles soient canadiennes, suédoises, émiraties, koweïtiennes ou américaines), sans parler de leurs consœurs déjà présentes en Tunisie comme Eni-Agip (Italie) et British Gas. Au total, une quarantaine sont présentes sur autant de permis. Le coût de production du pétrole demeure très attractif (5 dollars le baril), avec un taux de réussite assez élevé. Et les perspectives restent prometteuses dans le Sud (bassin de Ghadamès, Djerba) et dans l’offshore (golfes de Gabès et d’Hammamet). Par ailleurs, le récent règlement du litige frontalier avec Malte (février) ouvre de belles perspectives dans l’offshore lointain. Les réserves sont officiellement estimées à 838 millions de barils (425 pour le brut, 413 pour le gaz), soit une bonne vingtaine d’années de production. Par chance, le secteur pétrolier a été fort bien géré depuis la découverte du gisement d’El-Borma, en 1964, jusqu’à aujourd’hui. Grâce au travail d’excellents professionnels, ingénieurs et managers.

Conscient de la nécessité d’accroître les investissements privés au cours des dix prochaines années, le chef du gouvernement a engagé une campagne tous azimuts. À Paris, il était accompagné d’une délégation d’une vingtaine d’hommes d’affaires (voir J.A. n° 2365). Le pays devra réussir à mobiliser 210 milliards de dinars (160 milliards de dollars) en dix ans pour financer l’ensemble de ses besoins (remboursement de la dette, projets publics et privés). Le volume des investissements devra, pour sa part, tripler par rapport à la précédente décennie (1997-2006), et la part du secteur privé passer de 57 % en 2006 à 65 % en 2011 et à 70 % en 2016. L’essentiel (près de 90 %) de cet effort reposera sur les épaules des nationaux.

Par ailleurs, Ghannouchi ne doute pas que son pays soit capable de créer 85 000 emplois par an entre 2007 et 2011 et 100 000 entre 2012 et 2016. Ce qui permettrait de satisfaire la totalité des nouvelles demandes (845 000) et de réduire le nombre des chômeurs (- 80 000), le taux de chômage passant de 14,2 % à la fin de 2006 à 10,3 % à la fin de 2016. D’ici là, il est certain que la Tunisie aura rejoint le groupe des quarante pays disposant d’un revenu par habitant « moyen supérieur » (entre 3 000 dollars et 10 000 dollars). Mais il lui faudra, dans la meilleure hypothèse, attendre les années 2020 pour accéder au niveau des pays développés (plus de 10 000 dollars).
 
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