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Une nuit à Paris (suite)
L
6 novembre 2022 18:11
Je ne perçois que ses yeux, et soudain, il me semble y lire un désarroi profond, comme un appel au-secours vibrant de détresse, et la déchirure se remet à saigner. J'ai mal, tout mon corps est meurtri, j'ai froid, je tremble, je suffoque à nouveau. J'ouvre les yeux, allume la lumière… J'ignore ce qui se passe, je ne cherche pas à comprendre, juste à écouter mon instinct profond. Il faut que je bouge. Je referme la porte derrière moi. Je rencontre alors Paris du cœur de la nuit, belle, lumineuse et calme. Peu de voitures, peu de passants. Je marche, je ne sais pas où je vais, mais j'y vais, je vais le retrouver, lui, mon loup gris qui m'appelle de toute son âme.

Au hasard de mes pas, je me retrouve, sans même m’en rendre compte, dans un métro dont la direction, comme la destination, me sont inconnues. Je sens à l’intérieur de moi son appel qui se fait de plus en plus criant. Je sais que je me rapproche de lui. Je me laisse guider, toujours. Je me surprends à descendre à une station proche de la tour Eiffel.
Je retrouve la Seine, comme un fil directeur, immuable et mouvant. Elle me suit, je la suis. Dans mon cœur la rose se gonfle d’Amour. Enfin, toute illuminée, la tour d’acier se dresse devant moi. Je la rejoins. Je sais qu’il n’est pas ici, mais c’est lui qui m’y a conduit. Je sens sa présence, il veut me dire quelque chose, il veut que je comprenne. Alors je l’écoute et j’observe la grande tour, fière, majestueuse, symbole de la ville lumière. Je suis surprise de la trouver emprisonnée dans un parc entouré de grilles et de portails vitrés. Autour d’elle, à même les trottoirs, quelques vendeurs de souvenirs à la sauvette, des échoppes de friandises, churros, crêpes, barbes à papa, marrons chauds à l’ancienne tentent d’attirer l’attention des passants.
A défaut de pouvoir l’approcher, je traverse le boulevard pour la voir de plus loin, dans sa globalité. Elle se dresse, belle et fière, surplombant la ville, telle une reine, une déesse peut-être. Et puis autour d’elle, les murs de sa prison de pacotille. Il est des âmes que l’on n’enferme pas.
Je me détourne, elle éteint ses lumières.

Ma conscience se modifie de plus en plus. Je suis présente moi-même, à la magie de cette aventure, mais je ne contrôle rien. C’est une question de vie ou de mort, me crie une intuition. Résister serait me mettre en grand danger.
Sans trop savoir comment, je me retrouve à nouveau dans le métro. Je sens que le temps presse et que je me rapproche de lui. Soudain, une grande fatigue m’envahit. Mes forces quittent mon corps, les battements de mon cœur se font faibles et rapides, comme ma respiration. “Ne traîne pas”, me souffle une voix.
A peine deux arrêts plus loin, le terminus est annoncé. Les stations suivantes sont fermées pour cause de travaux. Je suis au Trocadéro. C’est ici que je dois être. Je ne sais où le trouver mais je sens son souffle, chaud, haletant, sur ma joue. Une angoisse me gagne, il s’affaiblit, il a besoin de moi, je dois le trouver. Je puise dans mes dernières forces pour monter l’escalier et rejoindre la galerie lorsque j’entend le chant sublime d’un violon. Je marche vers cette musique. Elle se fait de plus en plus forte, plus vibrante. Elle m’enveloppe, m’habite, m’envoûte. Ma conscience se modifie, encore un peu plus. Je ferme les yeux, je connecte mon souffle au sien. Là, à l’intérieur de moi, il m’apparaît. C’est bien lui, le loup gris de ma jeunesse. Entre mille je le reconnaîtrais. Lui, naguère si fier, si beau, si fort, je le retrouve amaigris, faible, sa respiration, les battements de son cœur sont désormais presque inexistants. Je dois le trouver, le temps presse. Lorsque j’ouvre les yeux, le violoniste est là, devant moi.Le rythme de la musique se fait plus pressant. Le musicien me regarde intensément et me fait un clin d'œil puis me montre le couloir de droite d’un mouvement de tête.
L
6 novembre 2022 18:12
C’est là que je te trouve, au bout de ce couloir, caché derrière un tas de cartons. Tu es allongé, à bout de force, comme je le suis. Je perds l'équilibre, me retiens au mur puis me laisse glisser à côté de toi. Le temps de reprendre mon souffle, je pose ta tête sur mes genoux et te caresse tendrement. Je me connecte à toi de toute mon âme et ma voix, doucement, chante pour toi, accompagnée de la mélodie terriblement triste du violon. La déchirure saigne, encore. Alors je te demande: "Raconte-moi". Et ton âme raconte à la mienne. Tu me racontes la forêt, tes jeunes années, la liberté, la fougue de la jeunesse, la nature, l’harmonie. Tu me parles des tiens, de la meute à laquelle tu n’as jamais vraiment appartenu, toi, loup gris au milieu des loups blancs, celui qui ne se déplace pas comme les autres, qui ne hurle pas comme les autres, qui ne pense pas comme les autres. Toi, le loup gris, libre, insoumis, solitaire. Avide de vie, de sensations, d’émotions fortes, et surtout, surtout, d’Amour fou. Tu me racontes que même différent, même un peu à l’écart, tu veux appartenir à la meute, ce sont les tiens et tu les aimes. Tu veux leur plaire, tu veux qu’ils t’acceptent, alors, tu fais ce qu’ils attendent de toi, tu deviens un loup blanc dans la peau d’un loup gris. Les mois passent, puis les années, et tes rêves de liberté sont désormais enfouis sous un gouffre de tristesse.
Tu me racontes et tes souvenirs deviennent le miens. Les images fusent. Je vois ce jour où tout a basculé. Il y a eu d’abord de grosses machines qui ont coupé les arbres, et puis des chasseurs, des coups de feu, des cris, les hurlements de tes frères, puis plus rien, le vide, l’obscurité jusqu’à ce que tu te réveilles dans un lieu où tu ne reconnais rien. Il y a quelques arbres, mais surtout de hauts grillages qui sont devenus les frontières de ton nouveau monde. Je reconnais un zoo et je pleure, je pleure de toutes mes larmes, et mes larmes coulent sur ton pelage, sur tes paupières, le long de tes joues. Et nos larmes se mêlent.
Tu ne connaissais plus ni la faim ni la peur, mais tu n'avais rien à chasser. Des centaines de personnes venaient t'admirer, mais nul ne te voyait. Tu avais des compagnons de cage, ta meute était perdue pour toujours. Ta flamme s'éteignait peu à peu, tu ne ressentais même plus la tristesse, la vie en toi, la grande, la belle vie sauvage te quittait. Bientôt tu ne serais plus qu'une carcasse sans vie, sans âme.
Et puis hier soir, dans un ultime élan d'instinct de survie, le loup gris en toi s’est réveillé. Quand la grille s'est ouverte pour laisser entrer le gardien qui venait te nourrir, tu lui as sauté dessus, tu l'as mis à terre et tu as fui. Tu as couru, couru, sans savoir où aller. Tu as surmonté des obstacles, traversé des routes, emprunté des rues, des chemins, des jardins… toute la nuit, sans t'arrêter. Au matin, tu étais au cœur de Paris. Tu as pris peur quand la ville s'est éveillée. Tu as cherché une cachette et tu t'es retrouvé dans le tunnel du métro. Épuisé, apeuré, désorienté, tu m'as appelée, moi, ton âme sœur.

A présent, je te serre contre moi. Doucement, ma voix chante pour toi des mots venus du fond du temps, du cœur de la terre. Le violoniste joue toujours pour nous, sa chanson s’est faite plus douce, plus belle, moins déchirante. Je me dis qu’il doit être un ange. Et la rose en mon cœur déverse sur nous un Amour des plus purs, qui nous enveloppe, nous remplit, nous soigne. Peu à peu, nos forces reviennent, et avec elles, une force de vie nouvelle, puissante, entière. Nos souffles, nos cœurs, nos âmes toujours connectés, nous restons toute la nuit, blottis l'un contre l'autre, dans une pure osmose.
À l'aube, d'un coup tu te dresses sur tes pattes. Je reconnais ta puissance, ta grâce, ta majesté. Je te souris. Nos déchirures ont cicatrisé. Tu es en moi. Je suis en toi. Pour l'éternité. Nos regards, incandescents, fusionnent une dernière fois. Je te souffle à l'oreille : va, tu es libre. Et tu cours, tu cours sans te retourner dans les couloirs du métro. Je sais que tu trouveras la route qui t’es destinée, la forêt qui sera ton royaume, et la meute qui attend son chef. Je ne suis pas triste, je suis heureuse. Je ne rentrerai pas à Bruxelles, je veux voir Paris, l’habiter, la découvrir, l’apprivoiser… me découvrir.

6 novembre 2022 20:15
Magique, haletant, poignant... magnifique !
L
6 novembre 2022 20:17
Merci yawning smiley

J'espère que tu vas bien ?

Citation
Chocolat chaud a écrit:
Magique, haletant, poignant... magnifique !
7 novembre 2022 08:52
Bonjour la louve

J'ai beaucoup aimé.
Je te remercie pour ce partage ?
L
7 novembre 2022 08:54
Salam

Merci ?

?

Citation
~Ambre~ a écrit:
Bonjour la louve

J'ai beaucoup aimé.
Je te remercie pour ce partage ?
18 novembre 2022 07:39
Tu devrais écrire un livre, tu as beaucoup de talent.
?
L
18 novembre 2022 09:47
Salam

Merci ??
Citation
Riyad75 a écrit:
Tu devrais écrire un livre, tu as beaucoup de talent.
?
 
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