Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
Le Monde :" Ghardaïa enflammée par les violences"
a
20 février 2014 18:34
[www.lemonde.fr]


En Algérie, Ghardaïa enflammée par les violences communautaires

LE MONDE | 19.02.2014 à 13h41 • Mis à jour le 20.02.2014 à 11h59 | Par Isabelle Mandraud (Ghardaïa,
-

Le 12 février, un calme précaire régnait à Ghardaïa, la capitale de la vallée du Mzab, à 600 km au sud d'Alger, après deux mois de violences entre Mozabites (Berbères de rite ibadite) et tribus arabes.



En Algérie, Ghardaïa enflammée par les violences communautaires
2 / 16
-

Portraits de victimes des affrontements, sur les murs d'un local de militants mozabites des droits de l'homme.
Crédits : Nadia Benchallal pour "Le Monde" facebook twitter google + linkedin pinterest
3 / 16
-

Cette école mozabite de la commune de Melika accueille des victimes qui ont perdu leurs maisons lors des affrontements entre Mozabites et Arabes.

Les venelles sombres encombrées de pierres et de détritus qui grimpent du quartier arabe Aïn Moudjahidine vers le vieux Ksar de Ghardaïa, le coeur historique de la ville peuplé de Mozabites, sont un no man's land qu'on ne franchit pas.

D'ici sont partis, le 19 décembre 2013, les premiers affrontements qui ont enflammé la grande cité de la vallée du Mzab située aux portes du désert, à 600 kilomètres au sud d'Alger, opposant tribus arabes d'un côté, et Mozabites, des Berbères musulmans de rite ibadite, de l'autre. Le 6 février, une quatrième victime mozabite, Bahdi Bachir Benaissa, succombait à ses blessures lors de nouvelles échauffourées. A deux mois de l'élection présidentielle, ces incidents, les plus graves enregistrés dans cette région, résonnent à Alger comme un signal d'alarme.

Installée ici depuis des siècles, la communauté mozabite fonctionne en circuit fermé avec ses codes et ses règles. Les hommes portent une calotte blanche et une sorte de sarouel, un pantalon bouffant plissé, tandis que les femmes, qu'il est strictement interdit de photographier, sont drapées dans de longs voiles blancs épais qui ne laissent apercevoir qu'un oeil.

Cette société de commerçants, organisée autour d'un clergé et d'un cercle de notables, gère tout, depuis les relations sociales jusqu'aux banques. La « valeur travail » est érigée en dogme. Les Mozabites, 300 000 selon les estimations, ne se mélangent pas.

UNE CITÉ-ÉTAT DU MOYEN AGE

« Ghardaïa est une cité-Etat du Moyen Age, comme Venise », décrit Abderrahmane Hadj Nacer. Mozabite lui-même, cet ancien gouverneur de la banque centrale d'Algérie a signé plusieurs appels pour dénoncer les violences. « Les conflits de voisinage ont toujours existé, souligne-t-il, mais l'Etat s'est décomposé, sans savoir construire sa légitimité. » Ces dernières années, des heurts ont en effet éclaté à plusieurs reprises avec les Arabes malékites dominés par la tribu des Chaamba présente dans tout le sud Algérien, mais elles n'avaient jamais atteint une telle intensité, avec des centaines de maisons incendiées de part et d'autre. Conflit ethnique pour les uns, il est aussi, pour beaucoup, le signe d'une défaillance de l'Etat.

Un impressionnant dispositif de policiers et de gendarmes arrivés en renfort a été déployé dans chaque quartier de Ghardaïa et des communes environnantes, imposant un calme précaire. Mais la confiance est inexistante. Les Mozabites organisent leur propre sécurité. Toutes les nuits, les jeunes en tenue « de combat » (des survêtements) montent la garde par groupes. Il n'est pas possible d'approcher « la première ligne de front », ainsi désignée par Hamouda, un chauffeur-routier quadragénaire à la tête d'une patrouille. Les « anciens », qui tempéraient jusqu'ici les conflits, sont dépassés.

Pour la première fois, surtout, la communauté mozabite a cherché à rompre son isolement. Equipés de casques et de lunettes de protection, des jeunes ont filmé sur leurs portables les affrontements et diffusé sur les réseaux sociaux des images d'une violence inouïe. Sur l'une d'elles, Baba Ismail Azzedine Ben Brahim, 22 ans, pris à partie par un groupe le 5 février, est poignardé. Sur d'autres, des manifestants arabes s'abritent derrière des policiers, preuve, selon leurs adversaires, d'un parti pris délibéré des autorités. Stupéfaite, la communauté arabe a répliqué avec d'autres images. L'une d'elles montre des Mozabites actionnant… une catapulte. « Ils lançaient des pierres de 5 à 10 kilos, un jeune est resté une semaine dans le coma », assure Hocine Recioui, fonctionnaire et membre de la « cellule de crise » mise en place à Aïn Moudjahidine. Le 14 février, trente psychologues ont été envoyés en mission ici par la direction générale de la police.

De quartier à quartier, on s'est jeté des cocktails Molotov, des pierres, de morceaux de fer découpés lancés par des « tire-boulettes ». De part et d'autre, des centaines de maisons ont été ravagées par les flammes. Les écoles ont été fermées. Certaines sont, depuis, occupées par des familles qui ont tout perdu. Dans le quartier Mehmed à majorité arabe, théâtre début février de violentes échauffourées, elles se comptent par dizaines.

Abdejalil Melakh, un universitaire, pleure sa bibliothèque partie en fumée. « C'était programmé », jure son frère en désignant, tout près, des maisons mozabites épargnées. A Melika, Fersous Abdelkacem, 27 ans, un étudiant mozabite installé à Marseille et rentré précipitamment au pays, constate les dégâts dans la maison familiale noircie. Les assaillants ont tout emporté, jusqu'au réfrigérateur. Dans le grand cimetière mozabite, un mausolée a été détruit, des tombes profanées. La plaque en marbre de l'Unesco qui rappelle que la vallée du Mzab figure sur la liste du Patrimoine mondial de l'humanité depuis 1982, est cassée.

CONTACTS ROMPUS

Les contacts entre les « sages », les notables des deux communautés se sont complètement rompus. « Lorsque j'ai vu quelques éléments de la police au milieu des manifestants arabes, c'est vrai je ne me suis pas senti algérien, avoue Mohamed Tounsi, consultant en management, un notable mozabite. Nous avons toujours cohabité avec tout le monde, mais là, ce n'est plus possible, pour la première fois des symboles comme les mausolées ont été attaqués. »

« Ça ne date pas d'hier, affirme de son côté Kamel Eddine Fekhar. Depuis l'indépendance, le pouvoir algérien réserve un traitement spécial aux Mozabites. D'abord par la censure et, avec le temps, par la violence. » Ex-membre du Front des forces socialistes et de la Ligue algérienne des droits de l'homme, il est considéré comme une des figures radicales des Mozabites. A ses côtés, une avocate du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK) est venue rejoindre le collectif des avocats chargés de défendre les jeunes interpellés.

On soupçonne quelque ingérence arabe des pays du Golfe pour imposer le courant wahhabite au coeur du territoire mozabite où le Front islamique du salut (FIS) n'avait pas récolté une voix au début des années 1990.

On désigne aussi les salafistes. Ghardaïa est la ville natale de Mokhtar Belmokhtar, le chef djihadiste issu d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) qui a organisé la prise d'otages sanglante sur le site gazier de Tigantourine d'In Amenas dans le sud-est algérien en janvier 2013. Sa famille réside toujours ici. « Les salafistes existent mais ils n'ont rien à voir dans cette histoire, s'insurge Bouamer Bouhafs, président de la Fondation des Chaamba, qui fait autorité côté arabe. Les médias ont transformé les victimes en bourreaux. Ce sont les Mozabites qui ont attaqué de façon très organisée. Ils étaient préparés avec des sifflets pour avancer, reculer. C'était une milice paramilitaire. »

L'origine de ce conflit réside dans un sujet soigneusement mis de côté, le foncier. Les villes nouvelles et hameaux, arabes en majorité, ne cessent de s'étendre autour de la palmeraie de Ghardaïa, toujours gérée par un ingénieux système de partage des eaux inventé au XVe siècle. Les Berbères ibadites se sentent en danger et le font savoir à l'approche d'une élection présidentielle remplie d'incertitudes.



Modifié 1 fois. Dernière modification le 20/02/14 18:38 par axis7.
 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook