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MONDE ARABE - Personne, ou presque, pour regretter Kerry
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4 novembre 2004 23:50
Courrier international a demandé à l’un des principaux éditorialistes d’Al Hayat, le journal de référence de la diaspora arabe publié à Londres, de commenter la victoire du président américain sortant. Voici la réponse de Saleh Bachir :

"Hormis une petite frange de 'libéraux' qui prônent une approche à l’européenne de la politique internationale, on ne peut dire que la réélection de George Bush ait déçu le monde arabe. C’est que le monde en question a vécu la dernière élection américaine sans passion. Le phénomène peut paraître paradoxal, concernant la région qui constitue le lieu de prédilection, ô combien emblématique, du déploiement de l’empire, mais le paradoxe n’est qu’apparent. Le slogan 'pas ou peu de différence entre Bush et Kerry', très en vogue dans le monde arabe durant la campagne, ne dénote pas seulement une paranoïa que l’on sait tenace dans cette région du monde, ni l’énième manifestation de la théorie du complot (non moins tenace), mais exprime une espèce de pessimisme lucide et plus ou moins légitime.

Car le monde arabe sait qu’il fait désormais l’objet d’un consensus de la classe politique américaine – et de l’opinion publique – éminemment négatif à son égard. Il sait qu’il ne serait pas devenu un partenaire pour John Kerry si ce dernier avait vaincu, pas plus qu’il ne l’aura été pour Bush durant les quatre dernières années. L’approche bien connue de celui-ci, le traumatisme du 11 septembre aidant, a en effet été érigée en paradigme, repris tel quel par le concurrent démocrate. En effet, John Kerry, qui n’est 'coupable' d’aucune sympathie ni d’aucun lien pétrolier ou pécuniaire connu avec le monde arabe, n’a jamais remis en cause le bien-fondé de la guerre en Irak, à laquelle il a apporté son appui pour n’en critiquer que les ratés et l’incurie. Quant au problème palestinien, primordial aux yeux des Arabes, le candidat démocrate n’y a pas prêté particulièrement attention, sauf pour se proclamer encore plus 'sharonien' que George Bush et pour opposer à Yasser Arafat un ostracisme encore plus catégorique que celui pratiqué par le président républicain.

John Kerry n’est donc pas apparu aussi 'européen' aux Arabes qu’au Vieux Continent. Ses différences avec Bush, au demeurant ténues, ne le rapprochent guère d’un Chirac, d’un Schröder ou d’un Zapatero. Et, si l’opinion européenne considère, pour des raisons valables et légitimes, qu’il existe de vraies différences entre les deux candidats, les Arabes ont tendance à considérer ces mêmes différences comme peu significatives. Cela sans oublier, bien entendu, cette frange assez large de l’opinion arabe, intégriste ou pas, pour laquelle les Etats-Unis représentent l’ennemi, intrinsèquement et par essence, quelle que soit la couleur politique de son administration.

Pour toutes ces raisons, il ne serait pas hasardeux de soutenir qu’il existe des Arabes, surtout parmi les gouvernants, qui auraient 'voté', implicitement et en leur for intérieur, pour le président américain sortant. La raison tient à la nature même du 'bushisme' : ce dernier est essentiellement guerrier. Or, qui dit guerre dit état d’exception, et qui dit état d’exception dit prendre ses aises avec les libertés et les droits individuels, pourvu que ceux qui les bafouent soient dans le bon camp. Et il est vrai que nombre de dictatures arabes cherchent à être réhabilitées par Washington en prenant une part active à la lutte contre le terrorisme, dans son acception la plus militaire et la plus sécuritaire. Cette priorité semble prendre définitivement le pas sur la 'lubie' passée de George Bush de démocratiser le Moyen-Orient.

Pour le reste, le monde arabe peut compter sur son impressionnante force d’inertie, propice à décourager tout changement, même promu par le plus entreprenant et le plus volontariste des empires."

 
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