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Monde arabe: "L'orientalisme a été dénaturé"
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31 décembre 2011 12:12
De ce qui fut une source de connaissance sur la sphère arabe, il ne reste que des clichés. L'historien Jean-Pierre Filiu nous appelle à "désoccidentaliser" notre regard.

Selon vous, les révolutions arabes signent la fin de l'orientalisme, création de l'Occident. Pourquoi?

L'orientalisme puise sa source dans l'expédition menée par Bonaparte en Egypte, une aventure scientifique et culturelle hors du commun qui a fourni un bagage historique inestimable. Mais, au xxe siècle, ce travail de recherche exceptionnel a été dénaturé par des idéologues qui l'ont réduit à une série de clichés, tel que "Les Arabes ne comprennent que la force".

Le 11 septembre 2001 a-t-il accentué ces idées fausses?

Des universitaires américains renommés ont avalisé cet orientalisme de stéréotypes
Parce que après la chute des Twin Towers, des universitaires américains renommés, Bernard Lewis et Fouad Ajami en tête, ont avalisé cet orientalisme de stéréotypes, et fourni ainsi une caution intellectuelle au discours ambiant, néoconservateur et belliciste, affirmant que la démocratie était étrangère aux Arabes, qu'il fallait la leur imposer par la contrainte.

Un discours qui préparait, au passage, l'invasion de l'Irak...

Exactement. D'autant plus que cette période correspond à celle où les Etats-Unis érigent l'ignorance en arme stratégique; la guerre froide a été remportée en refusant les concessions suggérées par les spécialistes de la Russie et du monde slave. Il faut donc étudier les musulmans, mais ne pas trop les fréquenter. A l'inverse d'un Bonaparte arrivant avec des experts de tous horizons, les responsables américains envoient sciemment en Irak des gens qui n'y connaissent rien. Une approche néocoloniale et paternaliste qui va aboutir à un désastre.

Un exemple de ces présupposés occidentaux?

L'idée qu'il y aurait un culte du chef, consubstantiel à une "nature" arabe; que seule la religion pousserait un peuple à se rebeller. Ou encore que les tribus (forcément réactionnaires, liberticides et violentes) seraient à la base de la société. Or, on assiste à une révolution portée par la jeunesse, où l'islam ne joue pas le rôle central, et qui débouche sur un processus parlementaire. Une révolution, enfin, faite par le peuple, et non dictée par ses supposés représentants. Que dire, par ailleurs, de ce cliché autour d'une "fatalité arabe"? Elle nie l'idée de liberté, elle exclut l'Histoire - l'Histoire, que ces mouvements de révolte écrivent jour après jour. Une histoire déroutante, dérangeante, mais ouverte.

Pensez-vous que cette maturité va les conduire à la démocratie ?

Le déficit de connaissance n'est pas là où l'on croit...
Il faut "désoccidentaliser" notre regard sur cette question, ne pas présupposer que la démocratie s'établit partout pareil. Les valeurs de liberté sont universelles, mais la Tunisie après la chute de Ben Ali a, me semble-t-il, bien plus d'atouts que l'Espagne à la mort de Franco, en 1975. De ce point de vue, ces sociétés nous appréhendent bien mieux que nous ne les connaissons, nous. Le déficit de connaissance n'est pas là où l'on croit...

Comment voyez-vous l'avenir proche ?

La révolution "cool", c'est fini. L'état de grâce aussi. Le débat va se tendre, se polariser. Mais que la révolution ait pu, en Tunisie ou en Egypte, se passer de façon aussi pacifique, voilà déjà, en soi, quelque chose d'extraordinaire.

Jean-Pierre Filiu, spécialiste de l'islam contemporain, est l'auteur de La Révolution arabe. Dix leçons sur le soulèvement démocratique (Fayard).
 
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