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Mémoires d’une vie de chercheur avortée
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5 novembre 2012 08:38
Mémoires d’une vie de chercheur avortée (IV)

CANDIDATURES ET DÉBOIRES
Parmi les thésards qui avancent convenablement et parviennent à se doter d’un capital publication conséquent, beaucoup espèrent intégrer le corps des chercheurs, qu’il s’agisse du CNRS, de l’INSERM ou bien d’autres organismes moins connus comme l’INRA et l’INRIA. Il y a un concours auquel il faut se présenter. Depuis 1985, les chercheurs sont fonctionnaires. Le concours d’entrée fut alors modifié pour répondre aux exigences juridiques de la fonction publique. Dans l’ancien concours, ces exigences n’étaient pas satisfaites. Il y avait une disposition non légale selon laquelle le dossier devait obligatoirement inclure une lettre d’appréciation d’un Directeur du laboratoire susceptible d’accueillir le futur chercheur. On comprend aisément qu’un jeune docteur ne trouvant pas de laboratoire d’accueil se trouve exclu du concours alors que son homologue titulaire comme lui du même titre et accepté par un labo est aptes à concourir. Cette disposition est contraire aux règles constitutionnelles d’équité des concours de la fonction publique, lesquels doivent être ouverts à tous sous réserve que ceux-ci satisfassent aux conditions requises pour concourir.
Dans les faits, c’est de la cuisine juridique puisque le destin des futurs chercheurs n’a en aucune manière été modifié. Ce qui a changé, c’est la possibilité pour tout docteur de déposer un dossier, tout seul, comme un grand, sans l’aval d’un patron. Mais sans un laboratoire d’accueil, il est sûr que le candidat sera exclu. Rien n’a changé. D’ailleurs, les nouveaux dossiers prévoient que le candidat puisse éventuellement fournir un ou plusieurs avis de personnalités scientifiques sur le projet de recherche qu’il compte réaliser et qu’il soumet à la commission compétente dans laquelle il se présente. Présentation ? Un candidat ne se présente pas au CNRS, sauf en pure perte, juste pour se tester face à un jury de scientifiques. Sans laboratoire d’accueil, point de salut... Dans les faits, on doit dire : “un candidat est présenté au CNRS”. Un peu comme une aide ménagère est présentée par ses anciens patrons, ou encore un maître d’hôtel. “Bonne présentation exigée” dit la formule consacrée. Présentation exigée, tel est l’impératif pour tout futur chercheur.
Il est facile d’ironiser ainsi, mais cette procédure traduit un certain état d’esprit du monde de la recherche. Pour être honnête, on doit reconnaître le bien-fondé de cette mesure car un chercheur est amené à exercer ses activités au sein d’une équipe. Il est alors préférable qu’il soit accepté et on imagine mal imposer un individu sous prétexte qu’il aurait réussi un concours. Pour être postier, ou bien conseiller à l’ANPE, il n’y a pas de problème car on exige du fonctionnaire un ensemble de compétences, strictement définies, et susceptibles d’être exécutées par n’importe quel individu ayant réussi le concours d’entrée. Dans un laboratoire, c’est une toute autre affaire. Les docteurs sont hyperspécialisés dans des technologies et des pratiques scientifiques, si bien qu’il existe des incompatibilités techniques insurmontables. Mettre arbitrairement un jeune docteur dans un laboratoire, c’est le faire repartir à zéro, comme s’il devait à nouveau commencer une thèse, avec un thème et des techniques. Par ailleurs, la recommandation d’un candidat est un gage pour l’avenir. Le jury d’admission peut se prémunir face à l’intégration d’un chercheur aux compétences limitées. Car les seuls critères permettant de juger le candidat sont les publications. Celles-ci traduisent plus l’excellence d’une équipe que les réelles compétences du futur chercheur. Autant dire que le jury se facilite la tâche en jugeant des candidats recommandés, tout en se dédouanant face à une éventuelle erreur sur la personne. On s’apercevrait alors que notre chargé de recherche de deuxième classe est devenu un glandeur avéré, ou bien un incompétent de première classe.
Si les candidats sont recommandés, ce n’est pas pour autant que l’entrée au CNRS se passe comme une lettre à la poste, car vu le nombre de prétendants, les luttes sont âpres. Les jurys décident alors plus en fonction des situations des équipes, que sur la qualité des dossiers de candidature. La plupart des thésards attendent ce jour fatidique où le patron se décide enfin à les présenter pour le concours de chercheur. S’ils ne sont pas niais, ils savent comment se présente la situation. Parfois, ils n’ont rien à espérer, si l’équipe n’est pas bien vue par les instances d’évaluation. Autre cas de figure défavorable, celui où un jeune docteur vient d’être reçu au CNRS pour être intégré dans l’équipe. Dans ce cas, et sauf notoriété exceptionnelle du responsable scientifique, notre thésard verra son entrée refusée car le jury, dans un souci d’équilibrage, refuse de faire entrer deux chercheurs dans une équipe à une ou deux années d’intervalle. Il reste alors d’autres possibilités, comme par exemple se faire recommander par son patron à un de ses confrères, ou bien prendre le risque de partir au États-Unis effectuer le sacro-saint stage post-doctoral. Cette stratégie était payante dans les années 80. Elle ne l’est plus actuellement. Nombreux sont ceux qui restent sur la touche, se font oublier, et n’espèrent plus être intégrés car les places sont chères et ont été prises d’assaut par les poulains préférés des laboratoires. Comme dit le dicton, loin des yeux, loin du coeur...
Telles sont les conditions pas tout à fait équitables du recrutement des jeunes docteurs. Le monde de la recherche publique est financé par le contribuable. Il faut que le service rendu soit irréprochable. Ou du moins, que le recrutement fournisse à la France une armée de chercheurs efficaces, valeureux à la tâche, compétents et surtout compétitifs sur le plan international. Viennent s’ajouter des considérations économiques plus récentes, liées aux technologies et aux transferts susceptibles de créer les emplois de demain...Reste que ce système fortement encadré risque d’éjecter les quelques déjantés, allumés et autres atypiques qui pourraient faire des découvertes inattendues...C’est un tout autre débat, trop philosophique, dont on ne peut discuter ici...imaginons simplement que sur cent candidatures, on se réserve un lot de dix atypiques. Deux deviendront des chercheurs originaux. C’est tout bénef pour la recherche, même si les huit autres ont mal tourné...mais le système préfère la sécurité et jouer la carte zéro défaut, avec cent pour cent de chercheurs conformes...
Lorsque je parvins à l’âge canonique pour concourir, la situation de l’équipe, créée au début des années 80, était favorable étant donné qu’elle commençait à être reconnue dans les instances scientifiques, avec des publications au rythme soutenu depuis 1983. C’était donc le moment de présenter un candidat. En dépit du handicap lié à la bourse de docteur ingénieur, je pris l’initiative en affirmant la volonté d’être présenté pour être chercheur. Bernard M*** ne l’entendait pas de cette oreille. Nous étions deux dans l’équipe à pouvoir prétendre à la candidature. Gérard M. fut choisi pour des raisons d’antériorité. Plusieurs, parmi mes connaissances, reconnaissaient que j’avais la fibre du chercheur, bien plus que Gérard M. avec qui, je tiens à le préciser, il y avait aucun contentieux, ni aucune inimitié. Nous étions même complices car dans une même galère.
Après quelques conseils pris auprès d’amis sûrs, je décidai de m’entretenir à ce sujet auprès du Directeur du laboratoire, Jean C*** Par tradition, il était d’usage que le Directeur soit impliqué dans le déroulement des candidatures. La situation était complexe. Bernard M*** n’était guère apprécié du laboratoire de toxicologie. Sans doute le fait qu’il soit chef d’équipe à mi-temps, détaché d’un autre laboratoire. Ajoutons qu’il avait été promu Directeur de recherche à un âge jeune, suscitant quelques jalousies. De plus il était l’émanation de Claude P*** ce qui pour certains était une tare congénitale. Enfin, c’était un personnage franc dans ses positions moralisantes, plutôt fort en gueule, ce qui n’arrangeait rien. La séance du conseil de labo devait examiner comme chaque année la question des candidatures et comme prévu, mon cas avait semé une franche zizanie. Bernard M*** se faisait chahuter par ses pairs.
Je prenais les choses en main, consultais des amis chercheurs, passait des coups de fil, notamment à deux membres du jury de la commission 23. L’équipe de Bernard M*** dépend de la commission 27 de pharmacologie, où se présentait mon concurrent et néanmoins ami Gérard M.
La hache de guerre était provisoirement enterrée avec Bernard M*** qui, voyant le soin apporté à cette candidature, ne manquait pas de faire une allusion aux brillants thésards préparant intensément leur candidature pendant six mois, pour ensuite glander jusqu’à la retraite une fois l’intégration acquise. La paresse, c’était sans plus grande hantise. Lui qui ne vivait que par la recherche et pour la recherche, lui qui ne comptait pas ses heures, qui venait tous les samedis pour régler des affaires scientifiques, ne supportait pas la vue d’un chercheur respectant les légales. C’est ainsi qu’il me jugeait. Je n’étais pas disposé à sacrifier ma vie sur l’autel de l’activisme expérimental, à livrer combat comme esclave des machines et du système qui veut son lot de résultats, qui exige du scientifique des performances sans cesse croissantes, et qui pour cela, met à leur disposition les instruments de la plus haute technologie. Je n’ai jamais mis les pieds au laboratoire un samedi. Non par insoumission mais par principe d’existence.
Je croyais aux idées d’inspiration, d’élan des sens, d’affects pour parler comme Leibniz ou Deleuze. C’était une frontière de plus entre Bernard M*** et moi-même. Il croyait dur comme fer en la performance du scientifique, à son côté professionnel, exigeant en cela de laisser les problèmes affectifs dès qu’on franchit le seuil des labos. Je pensais le contraire, en invoquant le rôle positif ou négatif des affects, tout en revendiquant leur droit de cité dans le labo. Après tout, nous n’étions pas des machines, ni des pilotes de char ou d’avion...Nous étions tous deux cartésiens, le problème, c’est qu’il était dans le discours de la méthode, et moi, dans les passions de l’âme...Comment s’entendre alors ?
Le schisme s’agrandissait. Et pourtant, je tentais cette candidature. Pour moi, c’était l’occasion de prendre en main une situation, non sans quelques illusions. Quant à Bernard M***, il devait savoir que cette candidature était vouée à l’échec. Ce sur quoi il eut raison. Je n’étais même pas classé, ce qui veut dire, débouté de toute velléité d’entrer au CNRS, dans cette commission du moins. L’équipe de Bernard M*** étant inconnue par le jury, celui-ci n’avait pas jugé utile de recevoir en bonne place ma candidature pour un deuxième coup d’essai.
Car c’est comme cela que les choses progressent. Hormis les dossiers extraordinaires, et les conjonctures exceptionnelles, on ne réussit pas du premier coup. Le classement indique si les tendances sont favorables. Dans l’affirmative, un an de plus permet de renforcer son dossier et de se positionner dans les meilleures conditions. Dans certaines commissions de l’INSERM, il est habituel de voir entrer les docteurs au bout de leur troisième candidature. Bon. Avec le recul, cette affaire me semble être une comédie, la comédie humaine qui se joue depuis que l’homme moderne fut inventé, c’est-à-dire au moment des Lumières, et bien sûr en France, pays s’il en est qui inventa l’homme et les droits qui vont avec. La comédie se joue et se rejoue au fil des époques. Seules, les règles changent, avec l’esprit du temps.
Sitôt l’échec consommé, j’envisageait de remettre ça, avec en point de mire l’ouverture du concours INSERM, décalé car les dossiers sont envoyés en septembre, contrairement à ceux du CNRS que l’on poste en janvier. L’INSERM offrait le choix entre huit commissions. La deuxième était toute indiquée car elle rassemble les cancérologues. Bernard M*** proposa la première commission. Je passais une fois de plus au second plan. Je ne marchais pas dans ce deal et fort des nouvelles dispositions dues à la fonctionnarisation des chercheurs, décidai contre l’avis du chef de concourir dans la deuxième commission avec Gérard M. Il y avait de l’eau dans le gaz. Car en général, un jury n’apprécie pas qu’une équipe propose deux candidats.
J’étais visiblement désavantagé, devant rédiger un projet de recherche sans aucune aide, ce qui n’était pas le cas de mon concurrent et néanmoins ami Gérard M. Son dossier était accompagné de deux lettres d’appui, celle de Bernard M*** et celle du Directeur Jean C***. Malgré ce handicap, je parvenais à mes fins en étant brillamment classé en douzième position, tandis que mon rival devait se contenter des profondeurs du classement. Je n’étais pas mécontent de ce coup magistralement exécuté, et surtout assez surpris par les choix du jury qui n’a pas tenu compte des appréciations locales. Coup de Jarnac, inattendu mais tout ce qu’il y a de plus régulier ! Enfin une preuve de la valeur de mon dossier et le sentiment de justice. La douzième position laisse augurer d’une entrée lors de la candidature suivante. Le destin ne m’a pas offert l’occasion de le vérifier.
Gérard M. avait signé entre-temps une belle publication. Il tenterait sa chance une deuxième fois en 1986 dans la commission 27 du CNRS. Je cherchais un autre laboratoire d’accueil. J’envoyais une quarantaine de lettres, tout en multipliant les candidatures dans des entreprises privées du secteur pharmaceutique. Toutes les voies doivent être explorées, quelles que soient les motivations profondes. Le destin finit souvent par mettre son grain de sel et trier les voies de garage.
J’empruntais la ligne Toulouse-Montpellier pour rencontrer un responsable d’une petite unité CNRS travaillant sur les mécanismes cellulaires de l’immunité. En discutant avec son proche collaborateur, nous avions convenu d’un projet de recherche présentable dans la commission 27 de pharmacologie. Je déposais un deuxième dossier dans la commission 16 relevant secteur de la chimie, avec l’appui d’un scientifique de Villejuif. Quarante lettres pour deux candidatures. Nombre de Directeurs ne s’étaient pas bousculés pour m’accueillir, ni même répondre au courrier
Entre-temps, je fus convoqué chez le Directeur Jean C*** par l’intermédiaire de sa secrétaire qui, avec un ton malicieux, dévoilait que cet entretien devait aboutir à une proposition intéressante. C’était aussi l’époque des candidatures pour l’université. J’avais décidé d’y déposer quelques dossiers, même si la perspective d’enseigner en fac n’était pas réjouissante en raison d’une timidité en public loin d’être guérie, pour autant qu’on la considère comme une pathologie. Jean C*** était prêt à me recommander pour rejoindre un laboratoire de Bordeaux dont les responsables avaient obtenu la publication d’un emploi de Maître de conférences. Cette perspective semblait solide, bien plus en tous cas que les deux candidatures au CNRS. Selon les termes de ce deal, je devais effectuer un stage de quelques mois dans l’équipe de Jean C*** pour y apprendre les techniques de liaison de ligand radioactifs sur des préparations de tissus biologiques. C’était tout à fait dans mes cordes. Je déposais donc un dossier pour la fac de Bordeaux, ainsi qu’un autre pour un poste à Aix-en-Provence, coup de dés oblige. Jean C*** m’avait recommandé la discrétion la plus grande concernant cette affaire. Bien qu’extrêmement bavard sur bien des sujets, je respectais ces conditions en me doutant bien qu’elles étaient justifiées, comme j’aurai l’occasion de le comprendre plus tard.
Quelques mois à passer, entre le dépôt des candidatures en janvier et les auditions courant avril-mai. J’expédiais les affaires courantes, notamment les dernières manipulations pour la publication du Cancer Research. Avec les six mois de bourse ARC qui m’étaient dus car j’avais bossé trois mois sans indemnité de chômage, puis achevé ma thèse en étant inscrit à l’ANPE. Bernard M*** voulait me faire manipuler quelques temps avec un étudiant de passage, mais considérant les nécessités du destin personnel, je décidais de faire passer en premier la préparation des planches pour le CNRS. L’imprégnation de deux thèmes de recherches nouveaux et distincts demande un effort intellectuel certain. Après une discussion animée, je signifiais à Bernard M*** que mon destin était prioritaire. C’était lui qui avait amené cette situation étant donné son refus à me présenter dans de bonnes conditions au CNRS. S’il ne l’entendait pas ainsi, je l’invitais à une explication dans le bureau du Directeur, puis parti en claquant la porte. Divorce définitif...pas encore...

J’enchaînais les déplacements. Train de nuit...matinée à Villejuif pour discuter de la planche...entretien l’après-midi au laboratoire Servier. Boîte paternaliste, banlieue ouest de Paris, bureaux, buildings et petits pavillons, ambiance sinistre...Ai revu une connaissance de Toulouse, dîne avec elle, puis direction Austerlitz, couchette et retour à la case départ. Nous n’avons pas échangé le moindre mot pendant une semaine, Bernard M*** et moi...puis semblant de réconciliation. Il me colle son étudiant que j’encadre pour quelques expériences sur les cellules.
Une visite à Montpellier pour préparer la présentation dans la commission 27. Mauvaise intuition. Le Directeur de l’unité semblait ne pas ne reconnaître, il était fuyant, laissant le soin à son bras droit de me brieffer. Quel contraste avec la courtoisie et l’affabilité dont il avait fait preuve lors de ma visite en janvier. Dans ce cas de figure, on imagine toutes les possibilités, la plus évidente étant un coup de fil avec mon patron de Toulouse. Je l’imagine bien, en bon colonel de l’armée du CNRS, informant son homologue d’un danger éminent à l’horizon. Attention, un brillant glandeur tente de s’immiscer dans nos troupes, il est intelligent, il lit Prigogine et Morin, prépare avec soin son audition. Faut le neutraliser impérativement ! La suite ne confirme pas cette hypothèse...
Autre déplacement à Paris. L’occasion de revoir un ancien camarade des Mines qui m’accueille le matin avec des croissants, dans son deux-pièces du quatorzième. Puis direction l’école normale pour l’audition en commission 16, hamburger, déambulation sur les boulevards, dix kilomètres, sans doute pour ne plus penser à cette audition. J’ai eu le sentiment qu’ils n’écoutaient pas, qu’ils s’en foutaient complètement. Je passe la nuit chez mon ami. Le lendemain, j’ai un rendez-vous chez Rhône-Poulenc, à Vitry. À nouveau, des pavillons de banlieue à perte de vue. C’est différent de la banlieue ouest, les usines et les cheminées remplacent les bureaux. Je ne peux imaginer bosser dans cet univers. Avant l’entretien avec un haut responsable de la recherche, je poireaute dans la bibliothèque. Pendant une bonne demi-heure, quelques personnes s’affairent autour de la machine à café, et semblent inoccupées...drôle d’ambiance... laxisme... entreprise nationalisée... sécurité de l’emploi... no comment... suis mal placé pour juger et ne doit pas oublier que Le droit à la paresse de Lafargue fut un de mes premiers livres de chevet.
Retour chez mon ami. Je lui ai offert un disque de Peter Hammil pour le remercier de son accueil. Nous allons boire un pot à Saint Germain, puis il me conduit à Austerlitz...direction Toulouse...Le lendemain, les résultats du jury tombent et j’apprends par le responsable de Villejuif la triste nouvelle qui ne me surprend guère. Aucun classement en vue dans la commission 16 et donc, fin de partie.
C’est reparti pour un tour. Une fois de plus, je débarque au petit matin, le regard hagard après une nuit dans le train, ayant l’impression de pénétrer dans un autre univers...ah ! Paris. Je file dans le treizième pour plancher devant un jury toujours aussi peu loquace, peu enclin à s’intéresser à mes propos, à poser des questions. Mauvais pressentiment. Et toujours une longue marche pour oublier les événements. Je retourne chez mon pote qui décide de réunir deux anciens camarades. Nous dînons. Cela fait réunion d’anciens combattants, une soirée typique ou chacun évoque les frasques de ces années folles passées à Saint Etienne, tout en étant discret sur nos situations professionnelles respectives, comme si le passé s’accommodait parfaitement aux vapeurs d’alcool, tandis que le présent serait une gueule de bois que l’on se réserve pour le lendemain. C’est sans doute cela, le bonheur subversif, celui qu’on vise en collectivisant les joies tout en privatisant les peines. Le problème, c’est que le bonheur se conjugue avec nous étions...et que présent rime avec emmerdements...
Le lendemain, direction Austerlitz, pour un voyage à Saint Etienne. Autre périples, autres amitiés. Je revois ainsi un couple d’ami. Leur fille a le même âge que la mienne. Le lendemain, rendez-vous chez Rhône-Poulenc agrochimie à Lyon. Ces coïncidences de date sont assez sympathiques, si bien que l’utile professionnel se joint à l’agréable des retrouvailles avec le passé. La banlieue lyonnaise s’avère moins stressante que la parisienne. Je discute avec plusieurs responsables de la boîte à propos d’un emploi de chercheur. Je ne suis pas enthousiaste. La perspective de revenir dans la région ne me convient guère.
Échec complet dans la commission 27. Ce n’est pas faute d’avoir tenté. Je souhaitais en savoir un peu plus, téléphonai au rapporteur du dossier. Celui-ci me reprocha d’avoir trop insisté sur le passé et pas assez sur l’avenir. J’aurais du consacrer huit minutes au projet. Ce n’est du pinaillage sur la forme. Les véritables raisons sont ailleurs. L’unité dans laquelle je me présentais n’avait pas été renouvelée. Ses résultats scientifiques étaient jugés trop insuffisants pour que le CNRS continue à l’entretenir. Ce sont les règles de fonctionnement de cette institution. Je n’ai pas à les commenter car je suis étranger à toute cette affaire que tout au plus, on peut expliquer par les restrictions budgétaires de l’époque. Jeu cruel de ces années où certains se sont remplis les poches tandis que d’autres trinquaient...Le rapporteur du dossier me confia que celui-ci était d’un très bon niveau, et qu’il rivalisait avec ceux classés aux cinq premières places. Autant dire qu’avec un dossier d’entrant, j’étais sorti du CNRS définitivement.
Il ne faut rien regretter. Juste savoir entrer dans le jeu, et tel un flambeur face à un bandit-manchot, rêver que les trois figures vont être alignées, ce qui permet de gagner le jackpot. Je ne disposais que d’une seule figure, la mienne, avec un excellent dossier. Il eut fallu aligner les deux autres, à savoir un chef d’équipe motivé et surtout, un laboratoire bien côté scientifiquement. La bonne combinaison existait avec Bernard M***, mais c’est comme si les rouages ne pouvaient tourner ensemble pour s’aligner, trop de friction...Je ne regrette rien, j’ai passé un moment de l’existence avec l’espoir du gain. Les jeux étaient pratiquement faits. J’ai été l’acteur d’une comédie, simple acteur dans un scénario sur lequel je n’avais aucune prise. C’est comme dans un film, tout acteur doit accepter le scénario écrit par d’autres et jouer du mieux possible...
Je passe sous silence les nombreuses visites effectuées dans l’agglomération toulousaine, à la recherche d’une équipe d’accueil au CNRS ou à l’INSERM. Que de scientifiques rencontrés, de discussions inutiles... des laboratoires de chercheurs... des chercheurs sans laboratoire et ne trouvant rien... Un monde si bien codifié, si bien ordonné, au sein duquel les conventions sont parfois arbitraires. Pour exemple, je me souviens d’une conversation téléphonique avec une sommité de la recherche pharmacologique de Villejuif. Celui-ci était clair et net. Point de salut hors du stage post-doctoral à l’étranger, de préférence aux États-Unis, ou à défaut, le Canada et l’Angleterre. Or, il se trouve que ce brillant scientifique fit entrer directement une de ses étudiantes à l’INSERM, à l’issue de sa thèse...
Le destin sait parfois dédommager les joueurs, les voyageurs, les funambules, en leur offrant une porte d’entrée dans une nouvelle ville. Ainsi je prenais contact avec ceux qui allaient devenir mes futurs patrons à l’université de Bordeaux, Jean M*** et Chantal M***. C'était là le point de chute obligé, faute d’avoir pu intégrer le corps des chercheurs du CNRS. Le 2 juin 1986, je pris le train pour Bordeaux, ville étrange que je découvrais pour la première fois, à travers les vitres d’un bus me conduisant depuis la gare Saint Jean au tripode, CHU entouré d’un campus de taille moyenne, dévolu à la pratique et l’enseignement de la médecine.
J’entrais en contact avec Jean M*** et Chantal M***. Le premier était Directeur de recherche au CNRS, responsable d’une équipe dévouée à la recherche sur le muscle lisse, et la deuxième, Professeur à la faculté de pharmacie. J’étais au centre de ce deal, promis pour un poste de Maître de conférences. En raison des changements de gouvernement, le concours avait pris un retard considérable, si bien que les postes devant être pourvus en septembre 1986 le furent dans le courant du printemps 1987. C’était toujours ça d’économisé pour le budget de la nation. Il fallait que je sois patient, mais pas à n’importe quel prix.
Lors de notre entretien, j’évoquais une possibilité d’emploi à Rhône-Poulenc. Jean M*** insistait sur la différence entre une carrière privée et publique, vantant notamment les mérites de cette dernière, laquelle offre bien plus de satisfactions. C’était une manière de m’attirer. J’étais complice, non sans avoir remarqué quelques points de détail apparemment sans importance. Étant à cette époque marié, père d’une fillette, la question d’une vie à Bordeaux se posait. Jean M*** me suggéra de prendre une chambrette en attendant la solution définitive. Je comprend maintenant ces quelque mots, traduisant un mépris pour la personne humaine dont l’existence ne compte pas, sauf celle dont on se sert pour ses plans professionnels. Pour avancer, il faut refouler ces détails, ce que je fis heureusement. Sans doute étais-je trop strict, peu enclin à accepter des concessions, marqué par les valeurs de mai 68 à un point que je ne soupçonnais pas.
Il fut convenu de demander une bourse à la fondation pour la recherche médicale en attendant une nomination pratiquement acquise sur l’emploi de l’université. J’avais tant désiré rejoindre le monde de la recherche que je fonçais dans ce destin, sans rien connaître de ce laboratoire. De retour à Toulouse, je reprenais contact avec Jean C*** qui devait impérativement signer un formulaire pour cette demande de bourse. J’informais alors Bernard M*** des tractations menées à son insu. Celui-ci était furieux. Furieux d’avoir été mis à l’écart, de n’avoir pas pu émettre un avis, un mot, une appréciation, comme si son autorité avait été désavoué, comme s’il avait un droit de regard sur ma personne en raison d’un passage dans son laboratoire, un droit d’auteur sur la formation d’un thésard, droit de regard sur son avenir, sur la manière dont il va écrire son futur scénario.... Curieux monde, pas encore guéri de ses pratiques féodales...
Une semaine plus tard, l’affaire était pliée. La bourse acceptée. Jean C*** envoya une missive officielle à Bernard M*** pour l’informer qu’il me prenait sous sa responsabilité, dans son équipe, pour y effectuer un stage post-doctoral. Je pris le soin d’aller voir Bernard M*** pour l’informer de mon départ. Déménagement des affaires personnelles. Découverte des nouvelles tâches, non sans une certaine appréhension. Puis adaptation oblige, l’apprentissage suivait son cours. L’équipe travaillait sur les récepteurs pour les opiacés. Il faut de la cervelle. Une étudiante experte coupait la tête d’un lapin à l’aide d’une guillotine. Souvenirs lorsque enfant, je voyais ma grand-mère saigner le lapin avec une lame bien ajustée, pour ensuite récupérer le sang qu’elle utilisait dans la recette de cuisson.
Je me rappelle d’une discussion avec l’un des membres fondateurs de l’équipe l’ellipticine, celui qui était Maître de conférences en pharmacie à Toulouse. Bien qu’étant sur deux longueurs d’ondes différentes, nous avions toujours entretenu des relations polies et courtoises. Nous parlions de ma future intégration à Bordeaux lorsqu’il pris une attitude perplexe et me lança cette interrogation en forme d’avertissement amical : “es-tu sûr où tu as mis les pieds ? À ta place, je me renseignerais sur tes futurs patrons”. J’aurais pu le faire, mais n’ai effectué aucune manoeuvre dans ce sens, adoptant la stratégie du refoulement. Quand on est embarqué dans une histoire, la conscience ne doit laisser filtrer qu’une seule certitude, celle d’y aller. Ce n’est que plus tard que cet avertissement prendra son actualité. De toute façon, je n’avais plus le choix. Mieux vaut ne pas réfléchir, surtout quand on voit un horizon se dessiner après trois échecs au CNRS et tout ce cirque pour trouver un laboratoire d’accueil...
L’été 1986 arrivait, sur fond de cohabitation, de coupe du monde, de nuage radioactif repoussé aux frontières de la France, avec la complicité de l’anticyclone. Je voyageais sur la côte, m’arrêtai au Cap d’Agde pour acheter Libé. Je surpris une conversation entre un touriste et le buraliste. Ce dernier commentait le comportement des vacanciers : “avant, les gens se parlaient sur la plage, ils discutaient, nouaient des contacts avec leurs voisins. Maintenant, s’ils pouvaient construire un mur pour s’isoler, ils le feraient”
Sales temps, époque Mitterrand... rêves soixante-huitards envolés... carrière et fric...
Je percevais approximativement ces changements de mentalité que les sociologues avaient décelés, les amitiés s’envoler, les sentiments dériver, le règne de l’hypocrisie s’amplifier, mais impossible d’adhérer, bientôt Bordeaux...Il faut dire que sur ce point, de n’allais pas être déçu...

[www.agoravox.fr]
o
5 novembre 2012 10:32
Agoravox => J'ai pas lu désolé.
j
8 novembre 2012 15:18
Agoravox => J'ai pas lu désolé.
 
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