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Maroc, espoirs, faits et soucis
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14 juin 2005 21:21
Maroc, espoirs, faits et soucis

A. Moutawakil


Lorsque le Maroc a récupéré son Indépendance en 1956, l'événement a été accueilli avec un grand soulagement à travers le pays tout entier. (…) Ainsi, lorsque le Sultan Mohamed V, s'adressant à une grande foule devant le palais à Rabat, a annoncé la fin de la tutelle et du Protectorat, de nombreuses personnes parmi celles qui étaient présentes ont été tellement envahies par l'émotion qu'elles s'étaient évanouies, alors que « le tonnerre des applaudissements et les cris de joie stridents des femmes pouvaient être entendus partout dans la ville » (1).

Grands Espoirs

Parlant du programme politique, Mohamed V a souligné dans le même discours qu'il se proposait d'installer un gouvernement indépendant en vue de « constituer des institutions démocratiques qui émaneraient des élections libres et fondées sur le principe de la séparation des pouvoirs sous une monarchie constitutionnelle » (2). D'autres déclarations à cet effet étaient nombreuses à l'époque, notamment pendant les premiers mois de l'Indépendance. (…) En effet, les grandes promesses qui accompagnaient l'avènement de l'Indépendance ont permis de fixer un haut niveau de critères quant à la confiance du peuple dans le discours officiel et les développements futurs attendus. Peu après, on croyait que les questions de la pauvreté extrême, de l'analphabétisme, de la santé publique, que les problèmes sociaux, économiques et politiques seraient traités. (…) Aussi, il semblait qu'il n'y avait aucun doute ou différence entre le type de gouvernement à installer au Maroc. Une monarchie constitutionnelle, c'est-à-dire quelque chose de similaire au système britannique où le monarque règne mais ne gouverne pas, était la moindre à être envisagée. La monarchie elle-même ne semblait pas être hostile à cette opinion, ou peut-être était-il prudent de ne rien dire à son propos à l'époque. Toutefois, elle a franchement rejeté l'idée de ceux qui voulaient en finir complètement avec la monarchie. Cinq ans s'étaient écoulés depuis lors et le Maroc était encore sans Constitution, ni Parlement élu, ni mécanismes convenus en vue de contrôler le pouvoir du gouvernement. Néanmoins, la corruption, l'injustice, le népotisme et d'autres maux sociaux, économiques et politiques sévissaient. Mettre le pays sur la voie du progrès était encore hors de portée. La confiance publique était certainement secouée, mais elle ne s'était pas effondrée (…).

Lorsque le nouveau Roi Hassan II est monté sur le trône, il était entièrement conscient des attentes du peuple et des conséquences de la perte de leur confiance dans une époque assez sensible. Pour cette raison, il n'a pas hésité à faire les déclarations qui conviennent à l'occasion et remonter le moral du peuple. Il a promis de suivre la politique de son père en vue de compléter l'édification d'un Maroc moderne et fort. Il a affirmé dans différents discours son engagement vis-à-vis des aspirations du peuple. (…)

Maintenant, cinq décennies se sont écoulées depuis l'Indépendance, et, on le dit, lorsque l'on atteint la cinquantaine, un bilan doit être dressé.

Faits durs

Qu'avons-nous obtenu après cinquante ans de la vie de ce pays ? (…) Nous devons considérer les données statistiques et les observations suivantes qui, à propos, émanent pour la plupart des sources officielles ou préparées par des institutions qui ne sont pas hostiles au régime marocain (3). Environ 20 % de la population de 29 millions vit sous le seuil de pauvreté. Le revenu par habitant d'environ 67 % de la population est inférieur à la moyenne. Le chômage est supérieur à 20 % (1999) et de 30 % parmi les nouveaux diplômés-universitaires. Presque la moitié des adultes est illettrée (48,3 %), avec 83 % d'analphabétisme chez les femmes dans les zones rurales. La dette non encore réglée (19,6 milliards de dollars en 1998) représente environ 56 % du produit national brut, ce qui nécessite environ 25 % des revenus de l'export pour le service de la dette. La croissance économique n'a pas dépassé en moyenne 2,5 % au cours de la dernière décennie alors que la main-d'œuvre dans la zone urbaine s'accroît de plus de 5 % par an. Cinq femmes trouvent quotidiennement la mort pour des causes liées à la grossesse. Il existe une disparité flagrante entre les zones urbaines et les zones rurales du Maroc en ce qui concerne l'accès à l'eau potable, au système sanitaire, au logement, à l'éducation, aux opportunités de croissance économique et aux services sociaux.

La recherche de perspectives économiques meilleures pousse les habitants dans le monde rural à trouver refuge dans les bidonvilles. (…) La qualité de l'enseignement est médiocre et la formation professionnelle ne cible pas les priorités exigées par les conditions de l'emploi. Chaque année, des milliers risquent leur vie en tentant de s'enfuir à travers le détroit de Gibraltar en Europe où le salaire moyen est 20 fois supérieur à celui du Maroc. Le régime a pratiquement toléré la culture d'environ 134.000 hectares de hachisch, kif, faisant ainsi du Maroc le plus grand exportateur du hachisch. Les finances publiques semblent précaires. La dégradation de ressources naturelles, la pollution industrielle urbaine et la pollution agricole menacent la base productive de l'économie, les écosystèmes, la santé humaine et la productivité. Les 44 prisons du Maroc sont surpeuplées avec des conditions malsaines appartenant à un autre âge. La corruption, la violence, les maladies, les abus sexuels infligés aux enfants se multiplient rapidement. Les contraintes administratives ainsi que la corruption très répandue continuent d'entraver l'investissement et les transactions commerciales ; ainsi, pour le Maroc, la chance pour se mettre sur la voie de la croissance durable semble continuellement être insaisissable. L'incapacité du gouvernement à établir et mettre en œuvre une stratégie économique claire a privé le Maroc de combler ses déficits en matière économique et sociale. La Constitution actuelle met la plupart des pouvoirs politiques réels entre les mains de la Monarchie. Dans l'un de ses articles, « Le Monde » maintient que le Monarque n'a rien fait en vue de changer un système absolutiste dans lequel quelques courtiers non élus prennent toutes les décisions (4).

Le prince Moulay Hicham aurait dit que la Monarchie se doit de forcer l'allure de la modernisation si les Marocains veulent mettre un terme à un système de gouvernement despotique (5).

Vue sombre ?

Est-ce que la situation est si sombre ou s'agit-il d'une question de perspective ? Le Maroc souffre-t-il d'une crise grave ou est-il confronté aux problèmes courants que l'on trouve dans la plupart des pays ?

Selon un grand nombre d'observateurs, marocains et étrangers, la situation pourrait être plus sombre que ce que les statistiques sociales semblent suggérer. Toutefois, ce qui inquiète vraiment à juste titre, c'est la détérioration qui n'a cessé de s'accroître, surtout à cause des phénomènes récemment répandus. Ceux-ci comportent : le maintien du système de népotisme dans ce qui est habituellement désigné comme « la nouvelle ère », la prédominance du Palais sur la communauté des affaires « qui craint de concurrencer une Monarchie qui jouit de pouvoirs quasi-absolus » (6) et le trucage des élections pour garantir les résultats voulus et aggraver une scène politique déjà fragmentée. De tels développements ne peuvent que confirmer l'argument de ceux qui croient que la situation en général est catastrophique et que le Maroc pourra se diriger bel et bien vers l'écroulement. Cependant, d'autres personnes, y compris, bien sûr, l'ancienne garde qui domine encore l'établissement politique, ne partagent pas ce type d'analyse. Elles prétendent que ce triste tableau est brossé par les ennemis du Maroc et qu'il est loin de la réalité. Elles maintiennent que le Maroc a réalisé un progrès considérable dans tous les domaines et on doit seulement comparer la situation du pays lorsqu'il a obtenu son Indépendance et sa situation d'aujourd'hui en vue de voir comment les choses ont évolué. Il est important également de noter les signes forts de « la nouvelle ère » tels que la dernière réforme du Code du statut personnel en 2003 et la constitution d'une Commission de l'Equité et de la Réconciliation en vue de réparer les abus en matière des droits de l'Homme dans le passé et venir en aide aux victimes. Les autorités marocaines pourraient ajouter que les médias jouissent d'une plus grande liberté par rapport à tous les autres pays arabes. (…)

Préoccupations Légitimes

(…) Ainsi, il est difficile de nier la crise actuelle dont les effets sont ressentis partout et par tout le monde à l'exception de ceux qui ont des droits acquis. Un bon nombre d'observateurs indépendants, qui ne peuvent pas être accusés d'être partiaux vis-à-vis de la cause marocaine ou de prêcher pour leur saint, ont insisté sur la gravité de la situation actuelle et ont analysé ces différents aspects inquiétants. Le régime lui-même a admis dans des rares moments de probité que les maux socio-économiques qui frappent le pays sont tellement sérieux que feu le roi Hassan II aurait dit que le Maroc est menacé par une crise cardiaque. Comme c'est le cas, est-il possible d'ignorer les faits dramatiques et continuer de brosser un tableau idyllique de ce qui semble une situation désespérée ? Malheureusement, certains pensent encore que la situation se présente bien et sont prêts à s'accrocher à leur position avec acharnement en vue de maintenir leurs privilèges et d'empêcher les réformes nécessaires. Si cela était le cas, il y aurait lieu de réfléchir sur la manière de sortir de l'inertie actuelle. Les problèmes du Maroc, selon plusieurs analystes, ne peuvent être résolus dans les circonstances actuelles et ne peuvent non évidemment pas attendre plus longtemps. Une percée s'avère une nécessité pressante et absolue. Comment et quand cela pourrait-il arriver ? Devons-nous attendre toute cette décennie pour obtenir un indice significatif, sinon une réponse décisive ?


1. Stephen O. Hugues, Maroc sous le roi Hassan II (lecture : Presse ITHACA, 2001), p.72.
2. Stéphane Bernard, Conflit Franco-Marocain 1943-1956, trad. Marianne Oliver et al. (New Haven, CT : Presse de l'Université de Yale, 1968), p.340.
3. Voir, par exemple, 'Défi du Développement', disponible sur
"[www.usaid.gov.policy];
[www.usaid.gov.policy].
4. Voir, par exemple, Rémy Leveau, 'Une transition démocratique au Maroc', trad. Ed Emery, disponible sur "[mondediplo.com];
[mondediplo.com].
5. Voir David Bamford, 'Le Roi mène une offensive séduisante', disponible sur "[news.bbc.co.uk]; [news.bbc.co.uk] ;
6. Aboubakr Jamai, 'Maroc, ou les imperfections d'un modèle démocratique arabe', disponible sur
"[www.warmafrica.com];
[www.warmafrica.com]


ÊÇÑíÎ ÇáäÔÑ : 14/06/2005

 
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