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Malgré ses crimes, Washington se pose en modèle
M
3 avril 2006 16:59
[www.voltairenet.org]

L’auto-promotion de l’action de Washington passe par la description des États-Unis comme la patrie des Droits de l’homme et de la démocratie. Cette image continue d’imprégner la représentation de cet État dans une presse atlantiste qui reste fascinée par l’illusion de la « grande démocratie » états-unienne. Une représentation qui perdure malgré l’accumulation de rapports démontrant qu’aujourd’hui nul État ne pratique autant la torture. Salim Lamrani démontre qu’il est aujourd’hui bien difficile de croire les médias quand ils « découvrent » la torture comme un phénomène nouveau.

Depuis le 16 janvier 2006, la Section d’intérêts nord-américains de La Havane (SINA) diffuse, au nom des « droits de l’homme », des messages politiques à la population cubaine par le biais d’un immense écran lumineux. Le panneau lumineux ose même transmettre, à l’heure des scandales d’Abu Ghraïb, de Guantanamo et des prisons secrètes, l’article de la déclaration universelle des droits de l’homme stipulant que personne ne devait être soumis à la torture.

Les photos publiées dans la presse internationale concernant les sévices commis à la prison d’Abu-Ghraïb, ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. En effet, le Pentagone a décidé de garder secret 1 325 documents, photos et vidéos d’actes de torture, de viols et d’assassinats de détenus irakiens, notamment des femmes et des adolescents, réalisés entre le 18 octobre 2003 et le 30 décembre 2003. Le rapport, établi par l’agent spécial James E. Seigmund concernant ce matériel non rendu public, fait état de 660 agressions sexuelles, 93 vidéos montrant des prisonniers torturés, et 547 images de détenus décédés en prison [1].

Le Pentagone a justifié sa décision de ne pas divulguer les documents auprès du Tribunal Suprême fédéral, arguant, avec une hypocrisie monumentale, la nécessité de « protéger l’intimité des détenus irakiens d’Abu-Ghraïb ». En septembre 2005, lorsque un juge a ordonné la publication du matériel, le Département de la Défense est resté sur sa position en évoquant cette fois la nécessité de ne pas mettre en danger la vie des militaires responsables des actes de barbarie. Selon la Croix-Rouge, entre 75% et 90% des prisonniers irakiens sont relâchés au bout de plusieurs mois de calvaire sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux [2].

L’organisation internationale Human Rights Watch (HRW) a condamné le double standard appliqué par les États-Unis sur la question des droits de l’homme. « Cette administration a démontré un mépris pour les valeurs juridiques universelles. Les États-Unis n’ont aucun problème pour voir la paille dans l’œil du voisin et ne pas déceler la poutre dans le leur quand il s’agit d’émettre des critiques sur les violations des droits de l’homme », a déclaré M. José Miguel Vivanco, directeur exécutif pour les Amériques de HRW. Selon ce dernier, les sévices et traitements dégradants commis par les forces étasuniennes contre les prisonniers, au nom de la guerre contre le terrorisme, constituent la plus grande violation du droit international de l’histoire [3].

Le représentant de l’organisation internationale a également fustigé la détention illégale et sans procès de plusieurs centaines d’individus de diverses nationalités soupçonnés de terrorisme, ainsi que les assassinats commis en Afghanistan, Irak et dans les prisons secrètes d’Europe entre 2002 et 2005. « Ces prisonniers sont décédés alors qu’ils étaient détenus par les forces de sécurité nord-américaines et près d’un tiers d’entre eux […] sont le résultat d’homicides […] [et] les responsables n’ont pas encore été traduits en justice », a-t-il souligné [4].

Même le fidèle Parlement européen, dominé par la droite et grand allié des États-Unis, a publié, le 16 février 2006, une résolution exigeant la fermeture du centre de détention de Guantanamo. « Tous les prisonniers doivent recevoir un traitement conforme à la législation humanitaire internationale et être jugés dans le délai le plus court possible […] par un tribunal compétent, indépendant et impartial », affirme la déclaration qui « condamne toutes les formes de torture et de mauvais traitement et réitère la nécessité de respecter le Droit international [5] ».

De même, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, M. Manfred Nowak, a conjuré à l’Union européenne, qui s’est rendue complice des sévices commis par la CIA en permettant les vols au-dessus de son espace aérien, de s’unir à la demande et d’exiger des États-Unis qu’ils ferment définitivement la prison de Guantanamo. « Il est important que l’Union européenne joue son rôle pour convaincre les États-Unis que ses arguments juridiques pour maintenir ces personnes en détention sans accusations ne sont pas acceptables d’un point de vue du droit international », a-t-il noté [6].

M. Nowak a également sévèrement critiqué certains pays européens tels que le Royaume-Uni et la Suède pour avoir extradé des suspects vers des pays qui pratiquent la torture. Quant aux prisons secrètes, le rapporteur spécial a affirmé que « le maintien de sites secrets de détention signifie que des personnes ont disparu, ont été maintenus sans aucun contact avec le monde extérieur, et sont par conséquent plus vulnérables à la torture », ajoutant que la disparition constituait « l’une des pires violations des droits de l’homme [7] ».

Les prisons de Guantanamo et d’Abu-Ghraïb, qui ont reçu une couverture médiatique internationale en raison des sinistres exactions commises contre des individus, ne sont cependant pas les pires centres de détention étasuniens. En effet, près de 500 prisonniers sont retenus indéfiniment sur la base aérienne de Bagram, au nord de Kaboul en Afghanistan. Certains sont enfermés dans des cages depuis plus de trois ans, sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre eux et sans contact avec un avocat (contrairement aux détenus de Guantanamo). Alors que des visites soigneusement encadrées sont organisées sur la base navale cubaine occupée par les États-Unis, la prison de Bagram a été tenue secrète depuis sa création en 2002. Les autorités militaires refusent toujours de publier les noms des prisonniers et ne permettent aucune visite hormis celles de la Croix Rouge [8].

Selon M. Clive Stafford Smith, avocat britannique qui représente 40 détenus de Guantanamo qui sont passé par Bagram, plusieurs prisonniers de la base afghane ont été remis à des pays tiers pour y être torturés et plusieurs d’entre eux « ont disparus ». « Si vous pensez que des gens ont subi des traitements cruels à Guantanamo, ce n’est rien en comparaison avec ce qui se passe ailleurs », a-t-il souligné. « L’un de mes clients s’appelle Binyam Mohammed. Il a été remis au Maroc. Nous avons les numéros de vols. Nous disposons même des noms des soldats à bord du vol. Il a été torturé pendant 18 mois. On lui a tailladé le pénis avec une lame de rasoir, bon dieu ! Et maintenant, l’armée étasunienne est en train de le juger à Guantanamo. […] On lui a fait avouer qu’il avait dîné avec Khalid Sheikh Mohammed, Ramsey bin al-Shaid, Abu Zubaydah, Sheikh al-Libbi et José Padilla, tous ensemble, le 3 avril 2002, au Pakistan. Le problème c’est que deux d’entre eux, Abu Zubaydah et Sheikh al-Libbi, étaient détenus par les soldats étasuniens à cette date-là. […] Hassin bin Attash, un jeune de 17 ans, a été emmené en Jordanie et torturé durant 16 mois. Et la liste est encore longue », a-t-il rapporté [9].

D’après M. Michael Ratner, avocat étasunien représentant également des détenus retenus sur la base cubaine et président du Centre pour les droits constitutionnels (Center for Constitutional Rights), les suspects sont envoyés à Bagram car ils n’ont aucune existence juridique. En juin 2004, la Cour suprême étasunienne a sommé l’administration Bush de présenter les personnes retenues à Guantanamo devant un tribunal. Selon M. Ratner, la réponse de la Maison blanche a été d’envoyer les gens à Bagram, entre autres. « Aucune cour, aucun avocat, personne n’a le droit de rendre visite à quelqu’un à Bagram [et les États-Unis] ont installé des chambres de torture dans le monde entier », a-t-il déploré [10].

De son côté, Amnesty internationale (AI) a rendu un rapport accablant sur la détention et la torture en Irak. « De nombreux cas de torture et de mauvais traitements […] ont été rapportés […]. Les victimes ont été sujettes, entre autres méthodes, à des décharges électriques ou ont été battues avec des câbles électriques », a déclaré l’organisation [11].

Malgré la condamnation internationale des flagrantes violations des droits de l’homme commises au nom de la guerre contre le terrorisme, Washington n’hésite pas à publier son rapport annuel sur les droits de l’homme dans le monde où, évidemment, le seul pays non mentionné est les États-Unis. Là encore, sur le continent américain, les nations qui refusent de rentrer dans le rang du néolibéralisme, tels que Cuba et le Venezuela, sont stigmatisées. Il est à parier que la Bolivie de M. Evo Morales fera partie des pays « violateurs des droits de l’homme » dans le prochain rapport du Département d’État en 2007 [12].

Il n’est, dès lors, point surprenant de voir l’ambassadeur John Bolton voter contre la création du Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui remplacera la Commission des droits de l’homme, discréditée par son traitement partiel et partial de ce thème. En 2005, par exemple, la Commission avait refusé l’ouverture d’une enquête sur les exactions de Guantanamo tout en adoptant une résolution contre Cuba. Les États-Unis se sont de nouveau isolés au sein de la communauté internationale. En effet, le nouveau Conseil a été approuvé par 170 pays, et seules trois nations se sont alignées sur la position de l’administration Bush (Israël, Îles Marshall et Palau)17.

Ce n’est pas la première fois que Washington refuse d’adhérer à un instrument international sur les droits de l’homme. Les États-Unis se sont opposés au Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels et aux deux protocoles de pacte des droits civils et politiques. Ils ont également rejeté la convention contre l’Apartheid ; la convention sur la non prescription des crimes de guerre et de lèse humanité ; la convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations contre la femme ; la convention sur la suppression du trafic de personnes et l’exploitation de la prostitution ; la convention pour le statut de réfugiés ; la convention sur les droits des travailleurs émigrants et leurs familles, la convention d’Ottawa de 1997 sur les mines antipersonnelles ; la convention sur les droits de l’enfant ; la cour pénale internationale et 158 conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Salim Lamrani
Chercheur français à l’université Denis-Diderot (Paris VII)
 
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