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Leçons pour l’après-Arafat
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18 novembre 2004 22:25
Dans sa lente agonie, et par l’émotion que sa mort a suscitée bien au-delà du monde arabe, Yasser Arafat a remporté une ultime victoire. Ceux-là mêmes qui depuis longtemps l’avaient déclaré hors jeu n’ont pas été les derniers à guetter et à interpréter les rares bulletins de santé sortis de l’hôpital militaire de Clamart. Jamais peut-être la contradiction n’avait paru plus béante entre la réalité et le discours officiel américano-israélien. MM. Bush et Sharon avaient tenté de briser le lien entre Arafat et son peuple. C’est peu dire qu’ils ont échoué. Et cela devrait servir de leçon pour l’avenir. Ils pourront toujours rêver d’un Palestinien à leur botte, prêt à accepter les quelques lopins de terre qu’ils appelleront « Palestine », ils ne pourront occulter la volonté de tout un peuple. Et ils ne pourront l’empêcher de se reconnaître dans celui qui exprimera le plus fidèlement sa revendication nationale.

Certes, il n’y aura plus d’Arafat. Celui-ci était de la race des pionniers qui fondent une nation. À présent, il n’y a plus guère que Nelson Mandela qui entretienne avec son peuple une relation mélangeant aussi étroitement le politique et l’affectif. Au jour des obsèques, l’immense ferveur de Ramallah ­ « ferveur » et non « chaos », comme il a trop souvent été dit ­ a témoigné devant le monde entier de l’existence de ce peuple, et de sa volonté d’être acteur de son histoire. Les images de ces derniers jours portent en elles une leçon qu’il ne faudra pas oublier : il est impossible de contourner ce peuple, vain de contester ses représentants légitimes, et dangereux de leur imposer des solutions en trompe-l’oeil qui ne tiennent pas compte d’une revendication nationale à la fois simple et évidente. Certes, le rapport de force pourra encore permettre des « plans de paix » élaborés dans le seul but de faire porter le poids de l’échec aux Palestiniens, et la machine à désinformer qui a mystifié l’opinion israélienne après l’échec de Camp David, en juillet 2000, est encore prête à servir. Du reste, elle ne chôme pas ces jours-ci ! Mais on sait désormais que la réalité sera têtue. La leçon de ces derniers jours est qu’il faut à présent jouer franc jeu.

Il n’est plus temps de promettre « avant 2009 », comme vient de le faire George Bush, un « État palestinien » dont on ne sait rien, ni les contours, ni les conditions économiques d’existence ; il est au contraire urgent de dire quel État, et comment. Il faut afficher le but et en déterminer les moyens. Il faut identifier les obstacles et les hiérarchiser. Et cesser de poser cette lancinante question qui porte en elle-même son pesant de ridicule : le conflit est-il né de la corruption de l’Autorité palestinienne, ou de la colonisation israélienne ? Une subtile désinformation passe aujourd’hui par la soudaine passion de palestinologues néophites pour la succession d’Arafat. Il y a évidemment chez les Palestiniens, comme partout, des « durs » et des « modérés ». Mais ce serait une grave illusion de surdimensionner cet antagonisme. Car il ne se trouvera pas de « modérés » pour accepter ce qu’Arafat a refusé à Camp David, c’est-à-dire un État morcelé en entités séparées. Autrement dit, il n’y aura pas de paix sans une décolonisation franche de la Cisjordanie. Une décolonisation qui nous ramènera peu ou prou aux conversations de Taba de janvier 2001, ou à cet accord virtuel de Genève négocié voici un an par des personnalités israéliennes et palestiniennes de la société civile. Il n’y aura pas de paix sans remise en cause de ce mur qui pénètre si profondément dans le territoire palestinien. C’est à force de tricher avec la réalité que l’on engendre la violence.

Le débat qui s’engage sur les élections palestiniennes n’est de ce point de vue guère rassurant. À en croire les commentaires, la question serait de savoir si les Palestiniens vont parvenir à s’entendre, tandis que dans le même temps, ils sont encouragés à s’entre-tuer sous prétexte de désarmement des factions. Étrange détournement de sens ! Car, comment imaginer que des élections puissent se dérouler normalement si l’occupation militaire israélienne demeure aussi envahissante, si les routes sont coupées, les bureaux de vote inaccessibles, des électeurs ­ comme ceux de Jérusalem ­ exclus selon le bon vouloir d’Israël ? Voire, des candidats potentiels maintenus en détention, comme Marwan Barghouti ? L’effet de loupe sur le débat politique au sein de la mouvance palestinienne n’est pas dépourvu de perfidie. En plaçant le gouvernement israélien dans une pénombre qui l’abrite des regards, on accrédite l’idée que le sort de la paix se joue dans le huis clos inter-palestinien entre le Hamas et le Fatah. Ou pire encore, on suggère que M. Mahmoud Abbas, « homme pragmatique », comme on se plaît trop à le présenter, pourrait une fois élu, accepter n’importe quoi. C’est évidemment le prolongement médiatique du mythe d’un Arafat « obstacle à la paix ». Pour sa dernière mission avant retraite, le secrétaire d’État Colin Powell, grand avaleur de couleuvres, se rend à Ramallah « pour aider les Palestiniens » à organiser les élections fixées au 9 janvier. Subtilement, ce voyage sympathique risque de faire partie de la mystification. Car c’est à Jérusalem-Ouest, dans le bureau de M. Sharon, que gît le problème.

Denis Sieffert

 
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