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LA LANGUE DE BOIS
d
29 mars 2006 16:24
La langue de bois, c’est épatant » Par Alain Rémond
J’ai sous les yeux un document tout simplement admirable. Il porte l’en-tête : « République française. Ecole nationale d’administration. » Il est titré : « Cours de langue de bois ». Oui, mesdames et messieurs, on enseigne la langue de bois à l’ENA. Pour s’en moquer, bien entendu. Pour apprendre à nos futurs hauts fonctionnaires à s’en défier.
Mais ce qui est admirable, c’est que ce cours, pris au premier degré, se révèle d’une redoutable efficacité. La langue, de bois, ça marche. Ça fonctionne. C’est épatant. Matériellement, ce cours de langue de bois se présente sous la forme d’un tableau divisé en cases, comme une grille de mots croisés. Quatre cases horizontalement, huit cases verticalement. Chaque case comprend un membre de phrase. Le jeu consiste à combiner les cases entre elles, pour composer des tirades du plus bel effet. Je vous recopie le mode d’emploi : « Commencez par la case en haut à gauche, puis enchaînez avec n’importe quelle case en colonne 2, puis avec n’importe laquelle en 3, puis n’importe laquelle en 4 et revenez ensuite où bon vous semble en colonne 1 pour enchaîner au hasard. » Ce qui est totalement jouissif, c’est ce côté aléatoire. Quoi qu’on fasse, ça marche. Quel que soit l’enchaînement, ça fonctionne. Mais rien ne vaut une petite démonstration.
Je prends donc une case de la colonne 1, puis 2, puis 3, puis 4. Vous allez comprendre tout de suite. « Je reste fondamentalement persuadé que / l’acuité des problèmes de la vie quotidienne / a pour conséquence l’urgente nécessité / d’un plan correspondant aux exigences légitimes de chacun. » N’est-ce pas convaincant ? Maintenant, je vais garder la première et la troisième case, et les combiner avec deux autres. « Je reste fondamentalement persuadé / que la volonté farouche de sortir notre pays de la crise / a pour conséquence l’urgente nécessité / d’un programme plus humain, plus fraternel et plus juste. » Poussons plus loin la combinatoire : « J’ai depuis longtemps (ai-je besoin de le rappeler ?) défendu l’idée que / la volonté farouche de sortir notre pays de la crise / interpelle le citoyen que je suis et nous oblige tous à aller de l’avant dans la voie / d’un programme plus humain, plus fraternel et plus juste. » Applaudissements dans la salle.
Allez, on essaye autre chose : « Et ce n’est certainement pas vous, mes chers compatriotes, qui me contredirez si je vous dis que / le particularisme dû à notre histoire unique / doit nous amener au choix réellement impératif / d’une restructuration dans laquelle chacun pourra retrouver sa dignité. » Puis ceci : « Dès lors, sachez que je me battrai pour faire admettre que / la nécessité de répondre à votre inquiétude journalière, que vous soyez jeunes ou âgés, / oblige à la prise en compte plus effective / d’un projet porteur de véritables espoirs, notamment pour les plus démunis. » Combinons maintenant ces deux tirades : « Dès lors, sachez que je me battrai pour faire admettre que / le particularisme dû à notre histoire unique / oblige à la prise en compte plus effective / d’une restructuration dans laquelle chacun pourra retrouver sa dignité. » Avouez-le : on ne s’en lasse pas.
Le but du jeu, c’est évidemment de construire un discours entier grâce à cet astucieux Meccano, en enfilant les lieux communs avec l’inébranlable constance du laboureur traçant son sillon contre vents et marées. Voyez, je ne suis pas mauvais non plus dans le maniement des clichés. Maintenant, faites une pause, respirez un bon coup et posez-vous la question : n’est-ce pas, très exactement, ce qu’on entend, chaque jour que Dieu fait, dans la bouche de ceux qui nous gouvernent ou qui aspirent à le faire ? Impossible, désormais, de les écouter sans décomposer leurs tirades en cases, sans imaginer toutes les combinaisons possibles. Qu’ils parlent de l’emploi, de la sécurité, des services publics, de la croissance, de la place de la France dans le monde, mêmes cases, mêmes variations. Tenez, ce nouvel échantillon : « Dès lors, sachez que je me battrai pour faire admettre que / l’aspiration plus que légitime de chacun au progrès social / doit nous amener au choix réellement impératif / d’un projet porteur de véritables espoirs, notamment pour les plus démunis. » On a entendu ça combien de fois ? On val’ entendre combien de fois encore ?
Mais il serait injuste de se limiter aux seuls hommes politiques. Dans le genre, les éditorialistes ne sont pas mauvais non plus. Je ne leur jette pas la pierre, notez bien. Trouver quelque chose d’original, de personnel, de pertinent, de percutant à écrire tous les jours, ce n’est pas forcément un cadeau. Alors, de temps en temps, pour remplir la page, on se sert de la trousse de secours, on pioche dans la valise à clichés. Les wagons s’enchaînent les uns aux autres sans heurts, sans cahots, pour former de somptueux convois de langue de bois, bardés de grands principes, fonçant sur les rails des idées générales autant que généreuses.(etvice versa). Ainsi va le monde. On parle. On cause. On meuble. Avec conviction, bien entendu. Avec sincérité, cela va de soi. Avec détermination, faut-il le préciser.
C’est ainsi que, peu à peu, les mots se vident de leur sens. On parle pour ne rien dire. On mouline du vide. Avec classe, avec distinction. Avec ce professionnalisme que rien ne vient prendre en défaut.
Oui, les professeurs de l’ENA ont de l’humour. Mais c’est un humour qui tue : je ne peux plus entendre Chirac (ou un autre) sans me reporter à ma petite grille, à mes petites cases. Sans jouer, façon Derrida, à la déconstruction de son discours. Comme quoi, l’affinement de l’exhaustion de l’interscrit de la textique, ce n’est pas de la blague.
Marianne / 16 au 22juillet 2005
29 mars 2006 22:17
les boucherons n'aiment pas trop les langues de boissmiling smiley elles sont trop dure a couper winking smiley


[www.amnistia.net]
La vie est un CDD. lorsque tu seras DCD, l'au delà sera ton CDI ,améliores ton CV en attendant ton Entretien.Allah punit les injustes tot ou tard !
 
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