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L'Égypte entre deux maux
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16 août 2013 22:34
L'Égypte entre deux maux
19 juillet 2013

Le char ou le minaret. Telle est l’alternative qui s’offre pour l’instant aux Égyptiens, libérés de Moubarak mais pas des tendances dictatoriales de leurs dirigeants, même élus démocratiquement, pas plus que du poids d’une armée omnipotente et omniprésente, qui n’est pas disposée à lâcher l’affaire.

Techniquement, ce qui s’est passé dans la soirée du 3 juillet au Caire est bien un coup d’État: chars déployés dans les rues, président de la République destitué et détenu par l’armée, Constitution suspendue, trois cents mandats d’arrêt lancés contre des membres des Frères musulmans, répression plombée des contestataires… Mais Mohamed Morsi, le président déposé, avait de son côté fait un coup d’État institutionnel en s’attribuant les pleins pouvoirs dès novembre 2012, six mois après son élection, et en faisant adopter une modification de la Constitution qui visait à instituer un régime théocratique, taillé sur mesure pour les Frères musulmans. Par ailleurs, on peut dire que, techniquement, la «révolution des oeillets» au Portugal, en avril 1974, qui a marqué la fin de la dictature de Salazar, était aussi un coup d’État, puisqu’elle a été menée par l’armée…

La comparaison s’arrête là. L’armée égyptienne de 2013 n’est pas l’armée portugaise de 1974, loin s’en faut. Il n’empêche que son intervention a été saluée par des cris de liesse, et après des mois d’une contestation populaire massive. Une contestation menée par l’opposition laïque et libérale. La question qui se pose donc aujourd’hui est double. Les Égyptiens vont-ils pouvoir construire la démocratie à laquelle, comme tous les peuples de la Terre, ils ont droit? Pourront-ils la construire avec un parti islamiste en pleine phase de conquête politique?

Par nature, un parti religieux a le réflexe de vouloir instaurer un État dont les règles sont conformes à son dogme, et non pas aux aspirations des citoyens. Lequel dogme est par définition immuable et indiscutable, donc incompatible avec l’exercice démocratique, qui pose comme principe, au contraire, que toute loi peut être discutée et remise en question. Au lendemain des révolutions du «Printemps arabe», les Frères musulmans égyptiens, tout comme les islamistes tunisiens d’Ennahda, assuraient que leur seule référence de gouvernement était le «modèle turc»: un islamisme «modéré», apaisé, plus proche des partis démocrates-chrétiens européens que des mollahs iraniens ou des émirs saoudiens.

Nous avons vu il y a peu le véritable visage du «modèle turc»: une fois qu’il a jugé que l’armée ne représentait plus un danger pour lui, le Premier ministre modèle Recep Tayyip Erdogan a laissé parler son coeur, sa foi et ses flics, islamisant au pas de charge la société et les institutions turques, bouclant journalistes, opposants et militants par centaines, réprimant férocement les manifestations contre sa politique et sa mégalomanie… Et on ne peut même pas dire qu’il avait bien caché son jeu, puisque, dès 1994, alors qu’il n’était encore que maire d’Istanbul, il avait exposé le fond de sa stratégie : «La démocratie représente un moyen, pas une fin en soi.»

Un parti religieux est par essence totalitaire. La sécularisation n’est pas inscrite dans le génome des religions, elle résulte immanquablement d’un rapport de force. Un rapport de force sociétal, politique ou, comme ce fut le cas longtemps en Turquie, et comme ça l’est aujourd’hui en Égypte, armé.

Que les réelles motivations des militaires égyptiens aient peu à voir avec la défense de la démocratie, voire seulement de la laïcité, c’est fort possible. Mais une chose est certaine: à l’heure où une situation de quasi-guerre civile la menace, l’Égypte ne peut espérer construire une démocratie durable que si elle écarte du jeu politique tout parti qui se réclame d’un dogme religieux. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle pourra sortir de l’alternative mortifère moustachus/barbus. Parce que, un jour, les Égyptiens finiront par se lasser d’accueillir les chars avec des vivats…
 
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