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l'Amérique brise la nuque de la Justice !
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2 janvier 2007 22:14
l'Amérique brise la nuque de la Justice


Par Thibault MORTIER,

Cet article a été rédigé par un reporter d'AgoraVox, le journal média citoyen qui vous donne la parole.


Les réactions à l'exécution de Saddam Hussein sont nombreuses et contrastées. Délivrance, vengeance légitime pour les uns, erreur politique pour les autres, l'élimination physique de l'ancien leader irakien est-elle un acte de justice, ou un acte de vengeance ?


Une « monstruosité juridique »


Ce sont les termes par lesquels Roland Dumas, ancien ministre français et avocat de Saddam, a qualifié le procès. Et s'il est un point qui devrait, au-delà des appréciations sur l'opportunité de la condamnation à mort de Saddam Hussein, rencontrer un accord général, c'est bien que le procès fait à cet ancien dictateur était d'une partialité inacceptable.

Comment penser que la Justice d'un pays sous occupation étrangère puisse être indépendante, alors que les pressions américaines ont été la cause de la démission de Ziad al-Khasawneh, principal avocat de la défense (pour ne pas parler de la démission du juge Rizgar Amin), que deux autres avocats, Adil Al-Zoubeïdi et Saadoun Al-Djanabi, ont été assassinés au cours du procès, que beaucoup de témoins ne sont pas venus, « trop effrayés pour venir témoigner » ? Comment imaginer qu'un pays tellement peu souverain qu'il n'est pas même capable d'assurer la détention du prévenu (Saddam Hussein a été détenu par l'armée américaine jusqu'à son exécution) puisse être capable de le juger ? Comment admettre que l'ancien raïs ne soit condamné à mort « que » pour le massacre des 143 chiites de Doujaïl, alors qu'il avait à répondre de faits beaucoup plus graves ? Comment imaginer qu'un procès bâclé en quelques semaines (le premier procès, ouvert le 19 octobre 2005, avait prononcé un arrêt de mort le 19 juin 2006, le second, ouvert le 21 août 2006, avait prononcé un arrêt de mort le 5 novembre), puisse traiter sérieusement des chefs d'accusations aussi importants, alors même que le tribunal s'interdit par statut spécial de mettre en cause tout étranger, bien qu'il soit évident que le chef d'Etat qu'était Saddam Hussein n'a pas mené sans supports internationaux les exactions pour lesquelles ce tribunal prétendait le juger ?

Tout a été fait pour installer un tribunal dont les juges ne seront pas indépendants, mais, au contraire, strictement contrôlés ; en parlant de contrôle, je veux dire que les organisateurs de ce tribunal doivent s'assurer que les Etats-Unis et les autres puissances occidentales ne seront pas mis en cause. Les statuts mêmes du tribunal feront en sorte que les Etats-Unis et les autres pays soient complètement écartés des accusations. Ce qui fera de ce procès un procès incomplet et injuste. Une vengeance du vainqueur. C'est ainsi que s'exprime Cherif Bassiouni, professeur à l'université De Paul de Chicago, rapporteur spécial à la sous-commission des droits de l'homme de l'Onu, président de la commission d'enquête sur les crimes de guerre dans l'ex-Yougoslavie (cité par Michel Despratx et Barry Lando, Le monde diplomatique, novembre 2004)


La prostitution des idéaux.


Ce qui ressemble fort à une profanation publique de l'idée de justice est à rapprocher des discours qui ont servi en 2003 à légitimer la seconde guerre contre l'Irak, cette prétendue « croisade » contre « l'axe du mal », et les « Etats-voyous », afin de lutter contre les « armes de destruction massive » qu'auraient possédées Saddam Hussein, et les implantations dont Al-Qaïda aurait disposé dans le pays.

Là encore, il s'agissait d'une utilisation mensongère d'idées élevées.

Expédions rapidement les liens présumés du régime avec des organisations terroristes. S'ils avaient effectivement existé (Abou Nidal, Carlos), ils étaient terminés depuis longtemps. Tout au plus a-t-il pu être établi quelques relations isolées avec des kamikazes palestiniens et moudjahidins iraniens.

Pour ce qui est des prétendues armes de destruction massives, les Américains les cherchent toujours. S'ils cherchaient un peu mieux, il est probable qu'ils retrouveraient trace des armes qu'ils avaient eux-même fournies au raïs en 1988, et qui l'ont aidé dans le gazage des 5000 Kurdes d'Halabja : le rapport des Nations unies sur l'armement irakien - dérobé par la CIA - révèle que c'est la firme américaine Bechtel, pourvoyeur de fonds électoraux de GW Bush, qui a fourni à l'Irak l'usine chimique qui lui était nécessaire (Gary Milhollin, expert américain en marchés d'armement, cité par Michel Despratx et Barry Lando, Le monde diplomatique, novembre 2004. Ce rapport implique aussi, hélas, des firmes françaises.)

Les Américains, dès 1963, ont apporté un soutien financier et militaire au Parti Baas, contre le président irakien d'alors, Abdel Karim Qassem, qui se rapprochait de Moscou et menaçait de nationaliser le pétrole, et contre les Kurdes, qui s'opposaient aux baassistes. Puis les Américains nous ont offert, sans facture à payer, mille bombes au napalm pour bombarder les villages kurdes, témoigne Subhi Abdelhamid, ancien ministre, ancien commandant de la force irakienne engagée contre les Kurdes.

En 1980, ce sont encore les Américains qui soutiennent l'Irak dans sa guerre contre l'Iran, estimant profitable d'écraser l'ayatollah Khomeini par Saddam Hussein : Le président Carter a fait passer à Saddam Hussein un feu vert pour déclencher la guerre contre l'Iran, indique le mémorandum, rédigé en 1984 par le secrétaire d'Etat Alexander Haig et adressé à M. Reagan. Si les Etats-Unis s'étaient officiellement déclarés neutres, une commission d'enquête américaine a révélé que des armes, notamment des bombes à fragmentation, ont été livrées secrètement à Saddam Hussein, ainsi que des informations issues des satellites US, qui ont été déterminantes dans la victoire de l'Irak sur l'Iran.

C'est en 1990 que la situation se retourne. Saddam Hussein, essentiellement pour des raisons économiques, envahit le Koweït avec ce qui peut s'appeler un assentiment tacite des Américains. C'est la Guerre du Golfe. Erreur stratégique du leader irakien, sanctionné par l'opération Desert Storm, dont les motivations n'ont pas été cachées : La politique qui consiste à assurer un accès sûr aux réserves énergétiques du Golfe Persique a été adoptée parce que, sans cet accès, à l'époque du moins, l'économie américaine aurait été affectée négativement. Cela signifierait que les gens perdraient leur emploi, et, quand les gens perdent leur emploi, ils deviennent mécontents et vous perdez vos soutiens politiques. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons fait la Guerre du Golfe. Si on laissait Saddam dominer les ressources énergétiques du Golfe Persique, cela affecterait négativement l'économie des Etats-Unis. Cela est d'ailleurs aussi vrai pour la guerre d'aujourd'hui. Ce sont les propos de James Baker, secrétaire d'Etat américain, recueillis en juin 2003 par Jihan El-Tahri. La pseudo-croisade n'était en fait qu'un prétexte bureaucratique, selon les mots de Paul Wolfowitz (secrétaire adjoint à la Défense entre 2001 et 2005 dans le gouvernement de George W. Bush, ardent partisan du renversement du régime Hussein).

Le plus grand des crimes de Saddam Hussein est sans aucun doute la répression sanglante de la révolte chiite de 1991, dont on estime qu'elle a pu tuer plusieurs dizaines de milliers de personnes. Là encore, bien que les responsabilités soient moins tranchées, les Américains sont loin d'être innocents. En effet, c'est l'appel irresponsable du 15 février 1991 : « L'armée irakienne et le peuple irakien doivent prendre leur destin en main et forcer Saddam Hussein, ce dictateur, à se retirer», lancé par Georges Bush père, et relayé par radios et tracts, qui déclencha la révolte chiite, et dans la foulée celle des Kurdes. Que dire de l'aide apportée à la répression exercée par Saddam, par le refus d'intervention américain, voire à la complicité active des troupes US ? « Sur leurs barrages, les Américains désarmaient les insurgés qui voulaient nous attaquer. Je les ai même vus, à Safwan, empêcher les insurgés d'atteindre nos lignes. » (témoignage du général Najib Al-Salhi, chargé de réprimer l'insurrection kurde dans la région de Bassorah).

Dans ce cadre, l'élimination rapide de Saddam Hussein peut trouver une explication facile : une fois mort, les dossiers chauds des collaborations internationales par lesquelles il avait pu commettre ses exactions ne seraient pas réouverts...


Le retour des barbares


En fait, le massacre le plus meurtrier commis en Irak, et probablement le plus révoltant, puisqu'il concerne entre 500 000 et un million d'enfants, ne fut pas réalisé par Saddam, mais bien par les Nations unies, que les Etats-Unis financent à plus de 20%.

Ce chiffre effrayant - publié par l'Onu - est celui des morts directement causées par l'application des sanctions imposées à l'Irak par la même Onu, de la fin de la Guerre du Golfe (1991), jusqu'à la chute du régime de Saddam, en 2003, aboutissant en 2004 au scandale « pétrole contre nourriture », vaste affaire de détournement de fonds impliquant pêle-mêle le propre fils de Kofi Annan, Saddam Hussein, de nombreux responsables politiques, chefs d'entreprises, et fonctionnaires de l'Onu.

Officiellement, les sanctions devaient obtenir que Saddam Hussein renonce à ses « armes de destruction massive ». En réalité, probablement dès 1991 et certainement à partir de 1995, elles n'étaient pas dirigées contre ces prétendues armes - on a vu ce qu'il en était - , mais contre Saddam Hussein lui même, selon le cynique calcul suivant : Si vous blessez le peuple irakien et si vous tuez ses enfants, il se soulèvera avec colère pour renverser le tyran, comme l'explique Denis Halliday (coordinateur des Nations unies en Irak, Denis Halliday a démissionné en 1998 plutôt que de continuer à appliquer le programme des sanctions, qu'il a qualifié de génocide)

Dès 1991, les bombardements américains sur l'Irak avaient visé à détruire le réseau d'assainissement et de distribution d'eau. Et pendant douze ans, jusque 2003, l'Irak a vécu quasiment sans eau potable. Des épidémies de typhoïde, toutes sortes de maladies véhiculées par de l'eau non potable sont apparues de manière foudroyante, et ce fut dévastateur, rapporte M. Halliday.

En 1995, alors que les sanctions auraient pu être levées, Leslie Stahl, journaliste américaine, a demandé à Madeleine Albright, ambassadrice américaine aux Nations unies, si leur maintien valait la mort de 500 000 enfants irakiens. La réponse fut sans détour : « C'est un choix très difficile, mais nous pensons que ce prix à payer, oui, en valait la peine. »


Bagatelle pour un massacre


La mort de Saddam Hussein, et là encore il s'agit d'un point qui ne risque pas d'être contesté par grand monde, n'apporte rien à l'Irak. Faire rendre justice à Saddam Hussein ne mettra pas un terme à la violence en Irak, déclarait G.-W. Bush au matin du 30 décembre.

Au contraire, cette exécution capitale, par l'injustice dont elle est chargée, a toutes les chances d'exacerber encore les tensions entre communautés.

Engluée depuis le début dans des déclarations mensongères, l'Amérique s'obstine à penser que les modèles préfabriqués à Washington peuvent s'appliquer, et qu'une fois le tyran mort, il ne restera plus aux Irakiens qu'à s'engager vers un régime démocratique qui puisse gouverner, assurer ses besoins, se défendre et devenir un allié dans la guerre contre le terrorisme (déclaration de G.-W. Bush, 30 décembre 2006). Une pareille naïveté pourrait prêter à rire, si elle n'avait causé tant de morts.

Les Kurdes regretteront longtemps que les dommages causés à leur communautés n'aient pas été jugés. Et on imagine mal que les sunnites, après avoir vu leur ancien leader être éliminé le jour de la fête de l'Aïd au terme d'un procès irrégulier, s'empressent de répondre à la « main tendue » du premier ministre Nouri al Maliki, qui concluait son message du 30 décembre par cette phrase délicate : Votre terre purifiée est débarrassée pour toujours des immondices de la dictature et a tourné une page noire de l'histoire de l'Irak.

Déjà, de nombreuses protestations soulèvent le monde arabo-musulman : Je n'ai aucune peine ou compassion pour l'homme, mais le moment choisi est stupide et les musulmans vont penser qu'il s'agit d'une provocation, estime Ehab Abdel-Hamid, romancier et membre de la rédaction du journal cairote Al Dostour. L'opinion publique arabe se demande qui méritait d'être jugé et exécuté : Saddam Hussein, qui a préservé l'unité de l'Irak, son identité arabe et musulmane et la coexistence de ses différentes communautés (...), ou ceux qui ont plongé ce pays dans cette guerre civile sanglante? s'interroge Abdel-Barri Atwan, du quotidien Al Quds al Arabi, publié à Londres. La Lybie vient de décréter trois jours de deuil national.

Du côté de l'Iran et du Koweït, pays tous deux attaqués par l'Irak, on se réjouit, de même qu'en Israël. Ce dernier pays gagnerait sans doute à afficher une satisfaction moins visible : l'élimination du raïs a pour corollaire le redressement de l'Iran, qui ne fait pas mystère de ses intentions monstrueuses à son égard. L'Iran est pour Israël un ennemi d'autant plus redoutable que les Etats-Unis, tant qu'ils sont embourbés en Irak, auraient d'énormes difficultés à y intervenir.

En Europe, partagée entre les Anglo-Saxons, soutenant les Américains d'une manière intransigeante, et les Français, qui avaient refusé par la voix en l'occurrence courageuse de Jacques Chirac, de participer à l'agression de l'Irak, c'est plutôt la réprobation. Ainsi, Terry Davis, secrétaire général du Conseil de l'Europe, a estimé que par cette exécution, l'Irak avait ainsi manqué une occasion de rejoindre le monde civilisé.

Le Vatican a publié un communiqué dans lequel il déplore : La mise à mort d'un coupable n'est pas la manière de reconstruire la justice et de réconcilier la société. Au contraire, elle comporte un risque de nourrir un esprit de vengeance et de semer de nouvelles violences.

S'il reste difficile de prévoir toutes les conséquence de cette exécution, il est certain que cette partie du monde n'avait pas besoin de motif supplémentaire d'explosion.


C'est à la Justice que l'Amérique a brisé la nuque.

La portée symbolique de l'élimination de Saddam Hussein est évidemment très importante, et il n'est pas certain qu'ait été mesurée l'étendue complète des dommages qu'elle peut causer dans cet ordre.

Après avoir présenté au monde un simulacre de « croisade contre l'axe du mal » qui ne déguisait en fait qu'une opération vulgairement pétrolière, les Etats-Unis présentent de nouveau au monde, par appareil judiciaire captif interposé, un procès irrégulier qui ne déguise que la passion des factions locales, et l'obstination des Américains à éliminer le raïs déchu, à défaut de trouver une solution intelligente de sortie à la guerre civile catastrophique qu'ils ont suscitée.

Au delà de ses conséquences à court terme, cette élimination tend à renforcer l'idée que la barbarie n'est pas du côté des terroristes, mais bien du côté de l'Amérique, qui n'éprouverait aucun scrupule à travestir ses intérêts derrière l'invocation des idées les plus hautes, en utilisant pour cela de grossières contre-vérités, affirmées avec un aplomb assez méprisant pour les auditoires qui les reçoivent. Et en ce sens, cette attitude américaine d'une force démesurée, mais oublieuse de la justice et soumise aux lobbies, peut être tenue responsable d'un discrédit croissant, ou d'une détestation croissante, qui ne touchent pas que leur nation, mais plus globalement le bloc occidental-chrétien, dans la partie qui se joue face au bloc arabo-musulman.

Cette régression de civilisation vers une forme de totalitarisme que ne renierait pas Saddam Hussein lui-même est d'autant moins excusable que les personnalités en présence sont différentes : d'un côté, un enfant maltraité, misérable, abandonné par son père, fuyant dès huit ans le domicile familial, devenu chef d'Etat à force de brutalités et d'exactions. De l'autre, le premier rejeton d'un ancien président de la plus puissante nation du monde, élevé dans les plus prestigieuses institutions. Or de pareilles attitudes rendent difficile de distinguer le barbare d'entre les deux.

Ce matin du 30 décembre, à Bagdad, un tyran déchu montait avec fermeté à la potence. Son cadavre à peine refroidi, les télévisions ont diffusé les images indécentes de sa mort.

Le même jour, dans son ranch de Crawford, au Texas, émergeait d'un sommeil probablement embrumé par les fêtes de fin d'année l'homme le plus puissant du monde, qui avait déclaré naïvement que la condamnation à mort de Saddam Hussein était un triomphe pour la démocratie.

Au bout du compte, il n'est pas sûr que la leçon de dignité et de courage vienne du cow-boy.


Saddam Hussein sur Wikipedia : [fr.wikipedia.org]

Un article de référence sur les alliances de l'Irak : [www.monde-diplomatique.fr]
 
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