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« 1948-1949 : Israël n’était pas mon problème »
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13 mai 2008 22:15
« 1948-1949 : Israël n’était pas mon problème »

Maurice Rajsfus

Nous publions ici un texte paru dans la Revue d’études palestiniennes en 1992. Ce texte fait partie d’un ouvrage autobiographique de Maurice Rajsfus intitulé: Une enfance laïque et républicaine aux Editions Manya (1992).

Je ne sais pas d’où je viens. J’ignore qui ont pu être mes ancêtres éloignés. Je n’ai connu qu’une de mes grands-mères – brièvement lors d’un voyage en Pologne en 1935. Mon grand-père paternel avait dû être régisseur d’un domaine forestier et je n’ai jamais su qu’elle avait été l’activité de mon grand-père Rajsfus, le père de ma mère. Je ne me souviens pas de la moindre information concernant mes arrière-grands-parents, cette génération qui avait peut-être connu les guerres napoléoniennes. D’après mon patronyme authentique, mes ancêtres, du côté de mon père, étaient sans doute originaires d’une petite ville située à l’ouest de Varsovie.

En Pologne, au début des années 20, les Juifs n’avaient pas d’autre choix que d’être membres d’une communauté obligée. Quant à ceux qui avaient fait le pari de l’intégration, ils éprouvaient les plus grandes difficultés à se fondre dans la Cité. Il y avait toujours un exalté, quand ce n’était pas une foule de fanatiques, pour rappeler leur origine aux intrépides qui se risquaient à franchir une frontière rendue très étanche. Rien de tel en France. Certes, les étrangers étaient montrés du doigt, mais pas particulièrement comme Juifs. Élevé dans un milieu ayant rompu avec la religion, pur produit de l’École laïque, je pouvais facilement donner le change et défier quiconque de me désigner comme originaire d’une tribu, quelle qu’elle soit. Au fil des années, mes attaches avec le judaïsme - déjà si ténues – s’étaient peu à peu délitées. Je n’avais été juif que par mon père et ma mère. Quant aux institutions communautaires, j’avais longtemps ignoré jusqu’à leur existence. Il en allait de même pour la religion ; ayant vécu à Vincennes depuis ma prime jeunesse, je ne savais même pas qu’une synagogue avait été édifiée dans cette petite ville de la banlieue parisienne au début de ce siècle.

Durant les quatre terribles années de l’Occupation, je n’avais été juif que par la volonté des nazis et de leurs trop nombreux et zélés collaborateurs français. Ce sont eux qui, de juin 1942 à août 1944, me désignèrent juif en me décorant de l’ignominieuse étoile jaune. La Libération venue, les priorités qui s’imposaient tenaient bien plus d’une farouche volonté révolutionnaire que d’une recherche identitaire dont la mode n’était pas encore de rigueur. Même au travers de la triste école du PCF, j’étais bien plus attiré par l’internationalisme généreux que par le nationalisme étroit. Par la suite, les années passées au mouvement laïque des Auberges de la jeunesse et dans l’extrême gauche révolutionnaire m’avaient permis d’approfondir mes choix comme mes refus. Il n’y avait aucune raison particulière de s’affirmer juif - si l’on ne pratiquait pas la religion de ses ancêtres – alors que chacun pouvait se reclasser sans problème dans une société qu’il convenait de façonner pour éradiquer définitivement les systèmes oppressifs et toutes les formes de racisme. Il fallait que de telles horreurs (celles que nous avions connues) ne puissent jamais se reproduire. Vers l’été 1948, ayant provisoirement abandonné le militantisme actif, ce n’était pas pour me consacrer à la recherche de racines hasardeuses. Mon identité ne me tourmentait pas outre mesure. Etait et restait juif qui le désirait. Sans encore théoriser sur ce sujet, je comprenais confusément que je n’avais pas à assumer l’héritage d’Auschwitz au nom du particularisme juif mal venu. L’abomination des camps d’extermination devait être dénoncée par la communauté humaine dans sa totalité, faute de quoi le combat contre tout racisme était perdu d’avance. Si j’avais été croyant, je n’aurais pas manqué de m’interroger sur les intentions de ce Dieu qui avait accepté – ou mis en œuvre – l’extermination de son peuple. Comment pouvait-on encore croire en Dieu après Auschwitz ?

Le comportement de mes contemporains durant les quatre années de l’occupation nazie ne m’incitait pas à me sentir particulièrement français ; mais il ne me faisait pas non plus obligation d’adhérer à un judaïsme nostalgique ou militant. Et pourquoi ne pas éprouver une pensée émue pour cette abominable Pologne dont j’étais également directement originaire ? Tant qu’à faire un choix, autant rester fixé dans le pays dont je parlais la langue. Même si c’était sans conviction profonde. Pour parler vulgairement, j’étais habitué à la France mais je ne serais plus le patriote inconditionnel, hérault d’une histoire héroïque, le petit Français de dix ans heureux de raconter l’histoire de France à son père polonais.

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"Si les singes savaient s'ennuyer ils pourraient devenir des hommes." (Goëthe)
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13 mai 2008 22:16
Je disposais de papiers d’identité français, je jouissais du droit du sol (héritage de la Révolution française), ce qui me permettait de vivre légalement quelque part, de pouvoir m’exprimer ouvertement sans que me soit nécessairement opposée la moindre obligation de réserve. (Je m’apercevrai rapidement que cette possibilité de libre expression comportait certaines limites.)

De quel judaïsme aurais-je pu me réclamer, moi qui n’étais ni croyant ni sioniste, qui ignorais tout du rituel traditionnel et des fêtes juives, qui ne connaissais même pas la date approximative du Kippour ? Certes, il me restait des souvenirs juifs mais ils étaient surtout liés à mes parents bien plus qu’à une vague communauté. Les seuls Juifs authentiques que j’aie jamais connus étaient mon père et ma mère, qui étaient déjà en rupture de société. Athée, et plus encore anticlérical, je ne voyais aucune raison de rejoindre le ghetto moral que recherchaient les attardés de l’identité.

Dans ma mémoire blessée, il me restait quelques rudiments de yiddish, langue profane par excellence, jargon rejeté avec mépris par les sionistes inconditionnels qui s’investissaient hâtivement dans l’étude de l’hébreu. La guerre qui nous avait tellement meurtris était terminée. Bien sûr, les plaies les plus profondes ne seraient jamais cicatrisées mais convenait-il de les arroser constamment d’eau salée - ces larmes des pleureuses professionnelles - que je ne pouvais supporter - pour faire en sorte qu’elles ne se referment plus jamais ?

A la fin des années 40, le phénomène du retour au judaïsme n’était encore qu’un vague frémissement et les candidats au voyage sur l’Exodus [1] venaient essentiellement des camps de personnes déplacées, ces errants qui après avoir galéré plusieurs années de par I’Europe centrale sans trouver de havre d’accueil, choisissaient la Palestine puis Israël comme terminus à leur voyage au bout de l’enfer. (Ceux-là n’étaient pas forcément sionistes et leur arrivée sur la Terre promise devait bien plus au comportement xénophobe des pays occidentaux qu’à une subite conversion aux thèses de Théodor Herzl.)

La proclamation de l’Etat d’Israël par David Ben Gourion, le 14 mai 1948, ne fait pas partie de mes souvenirs les plus émus. L’annonce de cet événement, attendu depuis quelques mois, était passée au milieu d’un flot d’autres informations. A la fin de 1947, je n’avais pas attaché beaucoup d’importance à la décision de l’ONU de partager la Palestine du Mandat britannique en deux États, l’un juif et l’autre palestinien. Il est vrai que, naïvement, j’avais beaucoup de difficultés à imaginer des soldats juifs et plus encore des flics juifs.

Avant même le feu vert donné par l’ONU à la création d’un État juif au Proche-Orient-d’un État de type européen, en fait - j’avais déjà une opinion bien arrêtée sur le sionisme qui, sous son fard socialiste, voire même révolutionnaire, n’était qu’une fausse idéologie sociale et identitaire. D’avoir souvent entendu mon père parler de cette Palestine où il avait vécu en 1913 et 1914, ne me permettait pas de m’enthousiasmer à l’évocation d’une réunion de tous les Juifs de la planète dans un même pays.

Après la guerre, militant de gauche, puis d’extrême gauche, je ne pouvais joindre ma voix à une clameur déplaisante qui ressemblait déjà à celle d’un groupe de pression actif. Ayant participé - au stade de la correction - à la première édition de La Conception matérialiste de la question juive, d’Abraham Léon, je partageais pleinement les jugements émis dans la postface de cet ouvrage par Ernest Mandel (sous le pseudonyme de E. Germain) en juillet 1946 :

« ...Si l’impérialisme américain feint de soutenir actuellement la cause sioniste, c’est bien moins en raison des calculs électoralistes de Truman qu’en rapport avec la pénétration systématique que les États-Unis opèrent dans le Moyen-Orient. Après s’être déjà installés en Arabie Saoudite, les magnats du pétrole yankees ont jeté des yeux avides sur l’Irak, la Transjordanie et l’ensemble du monde arabe. Ils veulent bien s’y introduire sur le dos du mouvement sioniste. »

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"Si les singes savaient s'ennuyer ils pourraient devenir des hommes." (Goëthe)
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13 mai 2008 22:19
le texte étant très long, et sa retranscription laborieuse, j'invite les intéressés à lire la suite ici

[www.alencontre.org]
"Si les singes savaient s'ennuyer ils pourraient devenir des hommes." (Goëthe)
 
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