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Islamistes. Les dessous d’une grâce royale
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19 novembre 2005 17:04
Le roi a grâcié 164 détenus islamistes condamnés dans le cadre de la loi anti-terroriste. Un geste surprenant, qui en appelle d'autres, et dont toute la “philosophie” échappe en bonne partie aux islamistes eux-mêmes

“Certains faisaient leur prière ou jouaient au foot quand on est venu les chercher”. Abderrahim Mehtad, président de l'association Ennassir, qui défend les droits des détenus islamistes, n'en revient pas. “C'était une surprise totale, les familles et les prisonniers eux-mêmes attendaient le règlement de leurs dossiers dans un délai de quatre à cinq ans, pas
avant”. Que s’est-il passé pour que le roi décide, le 2 novembre, de gracier 164 détenus de la Salafiya jihadiya sur les quelque 2000 hébergés par les prisons du royaume ? Au-delà de la clémence et de la magnanimité du souverain (liées à l’Aïd Fitr) qui constituent l'essentiel de la version officielle, il est clair que l'opération a été menée dans la plus grande discrétion. Depuis plusieurs semaines, des émissaires frappaient à la porte du Palais royal, accessoirement à celles du ministre de la Justice, du directeur de l'Administration pénitentiaire et de certains conseillers royaux. Les doléances se rapportaient à deux cibles : les détenus condamnés sans aucune preuve de leur implication dans des actes terroristes, et les chioukh de la Salafiya. Parmi les médiateurs, le docteur Abdelkrim Khatib et plusieurs sympathisants de Hassan Kettani, le plus connu des chioukh, qui purge actuellement une peine de vingt ans de réclusion à Salé. Un avocat, qui a bien suivi ces opérations de médiation, raconte : “Nous avions bon espoir pour Kettani, notamment. C'est un alem, pas un terroriste, il est issu d'une grande famille, et le Palais semblait sensible à ces arguments”. Pour l'anecdote, les Kettani, une famille de chorfa (descendants du prophète), fait partie du lot des bénis qui reçoivent, chaque année, le “mouton du sacrifice” à l'occasion de l'Aïd El Kébir. “Mais l'année dernière, nous explique notre interlocuteur, les Kettani ont refusé le mouton en protestation contre l'emprisonnement de Hassan Kettani, ce qui est à la fois une offense au palais et le signe d'une profonde amertume”.
La relaxation de Kettani et, plus encore, celle des autres chioukh reste, toutefois, peu probable à l'heure actuelle. Sauf surprise, les Abou Hafs, Fizazi, Haddouchi, Miloudi, Chadli, devront prolonger leur séjour à l'ombre. “On pourra relâcher les salafistes, aurait-on promis aux émissaires les plus empressés, mais on gardera les chioukh en dernier”. Pour l'association Ennassir, cela constitue une déception et une surprise, une de plus. “On ne voit pas très bien où les autorités veulent en venir. Parmi les graciés, il y a beaucoup de victimes réelles de la machine judiciaire, mais il y a aussi des gens qui se sont bien rendu coupables d'actes répréhensibles. Lâcher tout ce monde dans la nature, sans l'encadrement que seuls les chioukh peuvent assurer, est un pari risqué”. On n'en est pas à une contradiction près puisque, parmi les graciés, certains écopaient d'une peine de trente ans alors que nombreux parmi ceux qui sont restés en prison purgeaient une peine bien inférieure, ce qui est notamment le cas de deux chioukh, Kettani (vingt ans) et Abou Houdaifa (dix ans). “Sans oublier, rappelle Ennassir, que beaucoup parmi les libérés n'avaient jamais demandé de grâce, alors que d'autres, qui avaient bel et bien formulé une demande de grâce, croupissent encore en prison”.
Malgré le cafouillage, les signes de détente, de part et d'autre, restent palpables. Pour la première fois, la grâce s'est étendue à tous les groupes d'islamistes, des salafistes aux takfiristes, en passant par les terroristes de réserve. Première réponse des islamistes : une grève de la faim, déclenchée en début de semaine par les 78 détenus de la prison de Outita à Sidi Kacem, a été arrêtée aussitôt, sur demande express des islamistes détenus dans les autres prisons du royaume. Le message transmis, grosso modo, est le suivant : “Le Palais nous adresse un signal politique, à nous de le lui renvoyer”.
Forts de la grâce du 2 novembre, les islamistes misent désormais sur d'autres victoires de la sorte. à défaut de libérer les chioukh, ils tablent sur l'annulation des peines de mort prononcées contre 27 d'entre eux. Les pensionnaires du couloir de la mort, à la prison de Kénitra, guettent d'ailleurs une réduction de peine. Confirmation de l'association Ennassir : “Les condamnés à mort percevaient une mensualité de 180 DH. Le solde a été brusquement interrompu il y a quelques mois. Si nous conjugons ce changement d'attitude des administrateurs de la prison avec la remise en cause nationale de la peine capitale au Maroc, nous pouvons croire fermement que les 27 condamnés à mort ne seront jamais exécutés et que les sentences les concernant seront commuées en peines de prison”. Signalons au passage que la grâce royale du 2 novembre n'a bénéficié à aucun détenu de la prison de Kénitra, où ils sont 224 à purger des peines variant entre dix, vingt, trente ans, sans oublier les condamnés à mort. La prochaine étape, d'après certaines confidences judiciaires, devrait être la déportation de tout ce beau monde vers d'autres destinations pénitentiaires. Inutile de chercher des explications à ce “geste” très attendu, il n'y en a pas !

[www.telquel-online.com]
La liberté des autres étend la mienne à l'infini.
 
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