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Guillaume Weill Raynal, auteur de «Les nouveaux désinformateurs»
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26 septembre 2007 19:22
Guillaume Weill Raynal, auteur de «Les nouveaux désinformateurs», au Quotidien d'Oran Hommes d'influence, relais et balivernes / par Entretien Réalisé Par Myriam Rayan


En France, ces dernières années - surtout depuis l'Intifada II -, tout ce qui touche Israël, les juifs, l'Islam, les Arabes, les banlieues... est devenu l'enjeu d'une véritable guerre sémantique. Des agents d'influence ou des « clercs de service » travaillent à valider des thèses inavouables. Dans son dernier livre « Les nouveaux désinformateurs » (éd. Armand Colin), Guillaume Weill Raynal, avocat de formation, traque dans les détails, et exemples à l'appui, la désinformation, et démasque ceux qui sont à l'�"uvre dans le paysage médiatique français. Entretien.

Le Quotidien d'Oran: Votre nouvel essai «Les nouveaux désinformateurs» s'attaque à un sujet compliqué et difficile, la désinformation. Comment naît-elle ? Quel est son processus de fabrication ? Et pour servir quelle cause ?

Guillaume Weill Raynal: La désinformation n'est qu'une exploitation, théorisée et mise en pratique sous forme systématisée, des ressources éternelles de la mauvaise foi humaine d'un côté, de la crédulité de l'autre. Voilà pourquoi il s'agit d'un phénomène difficile à cerner. Il recèle une part de spontanéité (l'envie qu'ont les gens d'être trompés, de croire à des clichés), et une part de manipulation qui consiste précisément, pour un petit nombre de personnes, à exploiter cette envie. C'est ce mélange qui rend l'analyse et la critique de la désinformation si difficiles. Il n'y a pas de «cabinet noir» avec des gens qui appuient sur un bouton, et hop, l'opinion est manipulée. C'est beaucoup plus subtil. Mais il y a effectivement de véritables campagnes de manipulation, pensées, construites et mises en oeuvre, où chaque instrument, comme dans un orchestre, joue sa partition. Si vous me permettez cette métaphore, la flûte et le triangle peuvent y avoir autant d'utilité que la grosse caisse ou les cymbales.

Volkoff le disait déjà il y a vingt ans: la désinformation n'est rien d'autre, en définitive, que l'application à la communication politique des techniques du marketing et de la publicité. Lorsque l'on sait, par exemple, que les thèmes de la campagne électorale de Sarkozy ont été définis lors de réunions de groupes «qualitatifs», calqués sur le modèle des réunions de consommateurs, je ne pense pas qu'évoquer la place grandissante que prend la désinformation dans une société de masse relève d'une vision du monde paranoïaque ou conspirationniste. Elle peut être mise au service de n'importe quelle cause. Il est impossible d'en décrire les processus de fabrication en quelques lignes. Une étude sommaire de ces processus couvre déjà un chapitre de mon livre. Pour faire court: le principe est toujours le même. Détourner l'attention, par le biais de l'émotion, des vrais enjeux au profit d'enjeux totalement artificiels. Faire réagir l'opinion aux problèmes de la planète comme s'il s'agissait d'un téléfilm sentimental et manichéen. Il y a une dizaine d'années, un film extraordinaire «Des hommes d'influence», avec Robert de Niro et Dustin Hofmann, mettait en scène ce type d'opérations avec un réalisme saisissant.

Q.O.: Comment expliquez-vous que la lutte contre l'antisémitisme soit instrumentalisée, détournée à ce point en France ?

GWR: C'est une question que j'ai longuement étudiée dans mon premier livre «Une haine imaginaire», puis dans le deuxième, «Les nouveaux désinformateurs». Je suis en train de préparer un troisième livre sur le sujet... Disons que la «question juive» hante l'imaginaire occidental. On ne raye pas d'un trait de plume 2000 ans de judéo-christianisme, jalonnés par l'antisémitisme et dont la Shoah a été le point culminant. Le mot «juif» symbolise dans cet imaginaire aussi bien l'image diabolique véhiculée par l'antisémitisme chrétien que la figure de la Victime, avec un grand V majuscule. L'ambivalence de ce mot en fait un oxymore sidérant: un mot tellement chargé et lourd de sens qu'il en vient à perdre tout sens. On peut utiliser ce mot comme on veut, car il bloque la réflexion. Dans une société qui sacralise la victime et l'émotion dans un registre nivelé à celui de la culture télévisuelle au sens péjoratif du terme, c'est pain bénit: les voitures qui brûlent en banlieues, le voile dans les collèges, le conflit israélo-palestinien, la situation en Irak, le nucléaire iranien ne sont plus décryptés qu'à travers le prisme de l'antisémitisme, dont les méchants musulmans, où qu'ils soient à travers le monde, seraient les représentants exclusifs et exemplaires.
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26 septembre 2007 19:24
SUITE :

Q.O.: Sans pour autant céder à la vision conspirationnisme, qui sert souvent d'alibi, de nombreux intellectuels juifs et parfois non-juifs - Alain Finkielkraut, Jacques Tarnero, Pierre-André Taguieff et d'autres - participent massivement à valider les arguments sur cette question. Quelle est votre analyse de ce point de vue ?

GWR: C'est l'un des points que j'avais analysés dans «Une haine imaginaire». Tous ces intellectuels se contentent d'idées toutes faites, maquillées avec de jolis concepts sociologico-philosophiques, et négligent complètement l'examen de la réalité. C'est ainsi qu'entre 2002 et 2005, ils se sont mutuellement cités en boucle pour répéter inlassablement la même affirmation selon laquelle, en France, une déferlante de haine médiatique avait diabolisé, nazifié, Israël et les Juifs. Le problème est qu'aucun d'entre eux n'a jamais cité le moindre exemple précis de ce qu'ils avançaient. J'ai moi-même cité de très nombreux contre-exemples qui ruinaient totalement leurs thèses. Le rôle de ces intellectuels est particulièrement intéressant car ils constituent ce qu'on appelle, en termes de désinformation, la «caisse de résonance»: en tant que «relais», ils sont à la fois désinformateurs et désinformés. Ils ne sont pas forcément de mauvaise foi car ils partagent avec leur public le besoin de croire à des balivernes. Le problème est qu'ils jouissent sur le plan moral et intellectuel d'un tel prestige que leur public les croit sur parole. C'est la «nouvelle trahison des clercs».

Q.O.: La frange la plus militante de la communauté juive et ses dirigeants, «travaillés» par des idées néoconservatrices venues notamment d'Amérique, tentent de reproduire en France le modèle d'organisation des juifs US. Tous ceux qui critiquent Israël sont taxés d'antisémites. Comment décryptez-vous cette réalité ?

GWR: J'ai souligné dans «Les nouveaux désinformateurs» comment fonctionnait le «couplage» du thème de l'antisémitisme et de celui de l'antiaméricanisme. La formule n'est pas de moi mais de... Pierre-André Taguieff. Il utilise, précisément, ce couplage (là où je montre comment fonctionne son instrumentalisation, c'est ce qui nous distingue, lui et moi) pour soutenir l'idée que s'opposer à la guerre en Irak ou faire remarquer que George Bush n'est pas un génie relèverait peu ou prou d'une démarche antisémite. Cette idée grotesque a été à nouveau exploitée en France, lors des présidentielles. Il s'est trouvé des gens très sérieux pour soutenir que l'anti-sarkozysme était une forme d'antisémitisme ! Alain Finkielkraut s'est même livré à une démonstration particulièrement tordue pour expliquer que ce qu'il nomme la «passion égalitaire» du Parti socialiste s'apparentait à ce que Benny Levy appelait le «meurtre du pasteur», c'est-à-dire le refus de la loi sinaïtique... Comme disait le sapeur Camembert, quand les bornes sont franchies, il n'y a pas de limites.

Q.O.: Allons plus loin dans l'explication. Dans votre livre vous vous attardez longuement sur le cas du journaliste d'Arte, Daniel Leconte, qui serait, selon vous, un «agent d'influence». Comment fonctionne le «système Leconte» ?

GWR: Vladimir Volkoff avait écrit, en 1981, Le Montage, un roman un peu oublié aujourd'hui (mais qui avait eu le Grand Prix du roman de l'Académie française) consacré à la désinformation soviétique qui sévissait alors en France et en Europe de l'Ouest. On sait que cette fiction avait été nourrie par une documentation très sérieuse sur les agents d'influence que la DGSE avait elle-même fournie à l'auteur. Le héros de ce roman est agent littéraire à Paris. Dessinez son profil sur un calque et superposez celui de Daniel Leconte: la similitude est caricaturale. Daniel Leconte gère un véritable «système», qui passe par une société de production audiovisuelle, qui vend des soirées clés en main à la chaîne Arte, sur des thèmes toujours très orientés, par une collection de livres qui recycle les reportages diffusés précédemment sur Arte, etc. Daniel Leconte déguise en enquêtes journalistiques des reportages et des livres qui ne sont que des oeuvres de propagande. Le tout avec une rare malhonnêteté intellectuelle. Il a été également de ceux qui ont monté de toutes pièces un procès truqué contre France 2 et Charles Enderlin destiné à faire croire que le reportage sur la mort du petit Mohamed Al Dura était un faux.

Q.O.: La critique de l'islamisme et de l'islamo-gauchisme vise de plus en plus clairement l'Islam et les musulmans en France. L'hebdomadaire «Charlie-Hebdo», à travers Philippe Val, son directeur, incarne cette tendance (Caroline Fourest et d'autres) ? Comment expliquez-vous que l'islamophobie soit escamotée à ce degré ?
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SUITE ET FIN :

GWR: C'est une dérive qui ressemble en de nombreux points à l'évolution des néoconservateurs américains. A l'origine, ces gens étaient issus de la gauche américaine. Ils luttaient avec un souci louable contre la tendance que peuvent avoir les démocraties à se «coucher» devant les totalitarismes. Difficile, au départ, de ne pas être d'accord avec ces thèses. Mais partant du syndrome de Munich, on a progressivement glissé vers la thèse du choc des civilisations. Je partage avec Val et Fourest les valeurs de liberté et de laïcité. C'est très facile de lutter contre l'obscurantisme et les «barbus». Tout le monde est d'accord. Là où je ne peux pas les suivre, c'est lorsqu'ils tirent prétexte de l'affaire des caricatures de Mahomet qui était de toute évidence une provocation pour faire croire que les grincements de dents, fort modérés d'ailleurs, que cette affaire a suscités chez les Français musulmans seraient une menace pour le monde libre ! Depuis quand la liberté d'expression est-elle à sens unique ? Lorsqu'on provoque les gens sur un sujet sensible, il faut les laisser s'exprimer, que leur réaction soit juste ou pas.

Val, Fourest (et BHL, et Finkielkraut) ont aussi apporté un soutien enthousiaste à Robert Redeker. Ils nous ont fait croire que ce monsieur n'avait fait que «critiquer l'islam» alors qu'il avait tenu des propos racistes caractérisés. Il faut être aveugle pour ne pas le voir. Et inversement, ils ont réussi à faire croire à un très large public et à de nombreux intellectuels que ceux qui «critiquaient» Redeker étaient des ennemis de la liberté d'expression. C'est vraiment le monde à l'envers !

Q.O.: Comment êtes-vous perçu par la communauté juive en France: vous êtes celui qui pratique «la haine de soi» ou celui qui a trahi ? Pourquoi êtes-vous engagé dans cette exigence de la vérité ?

GWR: La communauté juive s'est abstenue de tout commentaire sur mes livres à l'exception d'un article que me consacre... un psychiatre dans un ouvrage collectif dirigé par le sociologue Schmuel Trigano. Cet ouvrage s'intitule les «Alter Juifs» et dès les premières lignes, il est indiqué que ceux qui se définissent comme tels sont en réalité des «Anti Juifs». Pour ma part, je ne me suis jamais défini ni comme Alter ni comme Anti. Je suis juif, un point c'est tout. Et je n'ai pas de leçon à recevoir de ceux qui se sont arrogé le droit de distribuer les bons et les mauvais points et qui surtout se refusent à accepter le moindre débat sur le fond.

Je m'interroge d'ailleurs sur la déontologie d'un psychiatre des hôpitaux qui, dans un ouvrage public, porte un diagnostic sur celui dont la «maladie» serait d'exprimer des idées non majoritaires dans sa communauté. Ce médecin aurait certainement fait une brillante carrière en Union soviétique. Quant à mon souci de vérité, n'y voyez aucune forfanterie de ma part. Certains qualifient ma démarche de «courageuse» alors que j'ai été surtout très naïf. J'ai toujours eu le goût de la discussion et je pensais qu'il en allait de même de la part de ma communauté et de ma famille. Je pensais simplement que j'allais contribuer à nourrir un débat qui passionne tout le monde. Je ne m'attendais absolument pas à cette chape de plomb. Certains membres de ma famille m'ont dit que toute discussion avec moi serait «stérile et épuisante». Je suis tombé de haut...

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