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Guantanamo, cité prospère
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28 novembre 2006 22:31
LE MONDE | 28.11.06



Fermer Guantanamo ? Vous n'y pensez pas ! La base ne s'est jamais aussi bien portée. Depuis l'arrivée des "ennemis combattants", la population a triplé. Il y a deux ans, on ne venait qu'en transport militaire, depuis Jacksonville, dans le nord de la Floride. Maintenant, deux petites compagnies aériennes, Lynx Air et Air Sunshine, desservent "Gitmo". On embarque à l'aéroport de Fort Lauderdale, près de Miami. Pas de détecteurs de métaux, pas besoin d'enlever ses chaussures : c'est le voyage à l'ancienne, en toute confiance. Chaque voyageur est muni d'un laissez-passer établi par l'armée. On va directement du terminal à l'avion sans voir un agent de police ou de sécurité.



L'Embraer d'Air Sunshine n'a que 8 places. L'avion de Lynx Air, un Fairchild metroliner Turboprop, est un peu plus grand. A elles deux, les compagnies offrent plusieurs trajets quotidiens. Les vols sont pleins, des semaines à l'avance. Les passagers sont des représentants des 14 compagnies qui travaillent avec l'armée, des "civils" aux fonctions floues, des journalistes, des avocats. Un responsable de l'association américaine des pathologistes est venu inspecter le laboratoire d'analyses. Un interprète arabe retourne voir sa famille à Chicago.

Le vol dure trois heures, jusqu'à l'extrémité sud-est de Cuba. L'avion ne prend pas le chemin le plus court pour éviter l'espace aérien cubain. Du hublot, on aperçoit les grillages de Camp Delta. La mer se trouve à moins de 100 mètres des cellules, mais elle est inaccessible, on ne peut même pas la photographier. Les blocs grillagés des Camps 1, 2 et 3 sont serrés les uns contre les autres. On distingue Camp 5, le camp de haute sécurité. Et Camp 6, en dur lui aussi, pas encore tout à fait terminé. La prison a compté jusqu'à 770 "ennemis combattants". Elle en abrite encore 427. Aucun n'a jamais été jugé.

L'escorte attend à la descente d'avion. "Bienvenue à Gitmo", dit le premier lieutenant. Les journalistes sont accompagnés en permanence. "A partir de maintenant, ajoute-t-il, vous êtes dans un environnement contrôlé."

Avant d'être admis, il faut s'engager par écrit à ne pas tenter d'entrer en communication avec les détenus. Chaque soir, le "civil" des services de renseignement passe en revue les photos prises dans la journée. Un mirador inoccupé ? Impossible. "Cela montre un désavantage territorial." Un morceau de bleu, derrière les barbelés ? Censuré. Il est interdit de montrer la ligne côtière : l'ennemi pourrait repérer les capteurs électroniques cachés dans le sable. Sont interdits aussi les badges, les antennes... Le visage des détenus ou celui des gardiens, mais les photographes peuvent cadrer les mains, le dos ou les pieds.

Les gentils organisateurs font bonne figure, mais on sent qu'ils partent battus d'avance. Depuis le début de l'année, ils ont vu passer plusieurs centaines de journalistes. A chaque fois, ils ont la même déception quand ils reçoivent les articles. "Abominable, comme d'habitude", dit le capitaine en charge des relations publiques. Selon lui, les journalistes ne se rendent pas compte de la chance qu'ils ont. "A quand remonte votre dernière visite à un camp de prisonniers de guerre ? Etre ici,déclare-t-il, c'est une réussite en soi."

Avec 116 kilomètres carrés, Guantanamo Bay est un territoire un peu plus grand que Paris, mais il est inondé en son milieu, ce qui le rend nettement plus petit. Les Cubains ont gardé le fond de la baie. Les Américains n'ont que les anses, ce qui complique la circulation. Pour aller de la piste d'atterrissage à la base, il faut emprunter un ferry. Il y a deux ans, c'était un petit caboteur. Maintenant, c'est un bâtiment qui peut transporter des camions, des estafettes, des engins de terrassement. Dès 6 heures du matin, les véhicules de chantier font la queue pour ne pas rater la première traversée.

Avant 2002 et la "guerre mondiale" contre le terrorisme, Guantanamo était une base navale assoupie, louée à Cuba depuis 1903. Elle était peuplée des marins de l'US Navy et de leurs familles, au total quelque 2 300 personnes. En janvier, la prison va avoir 5 ans.

La population est maintenant de 8 000 personnes. "Le plus difficile est de trouver un logement pour tout le monde", dit le commandant de la base navale, le capitaine Mark Leary. Le département de la défense vient de finir un lotissement de 200 lits pour les personnels militaires. La phase II va commencer, avec 600 lits supplémentaires. "Nous sommes freinés par la pénurie de main-d'oeuvre", regrette le capitaine. Les ouvriers de la construction sont environ 2 000. Ils ont été amenés par charter de la Jamaïque et des Philippines. Le soir, on les croise à la bibliothèque, avec leur webcam. Ils communiquent avec leur famille sur les ordinateurs publics, contrôlés par l'armée. Ils sont plus nombreux que les personnels de la "task force" qui est en charge de la prison (1 800 soldats).

Tout un univers gravite autour des "ennemis combattants". East Caravella, Gold Hill Towers, les lotissements pour célibataires se succèdent sur Diamond Road, la rue principale où la vitesse est limitée à 40 km/h. Il y a maintenant des "townhouses", des petites villas pour les visiteurs, avec des barbecues et des combinaisons de plongée qui sèchent sur les cordes à linge. Et des kiosques où l'on trouve du café Starbucks. Sur la colline John Paul Jones, le point culminant de la base, quatre éoliennes ont été inaugurées en 2005. C'est la fierté du capitaine Leary. Grâce à un accord avec la compagnie Noresco, les turbines n'ont rien coûté. La base navale espère bientôt produire un quart de son énergie grâce au vent.

Les Etats-Unis consacrent 95 millions de dollars par an à l'entretien de Guantanamo. Après avoir remplacé les tuyaux en ferraille par des installations en PVC, les militaires ont d'autres projets. Ils rêvent d'un complexe judiciaire à la hauteur de l'événement qu'ils espèrent tenir en 2007 : les premiers procès américains pour crimes de guerre depuis la deuxième guerre mondiale. Sans attendre de connaître l'opinion de la Cour suprême sur les nouveaux tribunaux d'exception, l'US Navy a lancé les appels d'offres début novembre. Elle prévoit la construction de trois salles d'audience, pour tenir plusieurs procès en même temps, des logements pour près de 1 000 militaires, avocats et journalistes, d'un garage pour une centaine de véhicules officiels et d'une cafétéria de 800 place... A réaliser avant le 1er juillet 2007. Le Congrès doit examiner le projet. Les organisations de défense des droits de l'homme sont impatientes de savoir si les démocrates - qui n'ont jamais pris officiellement position pour la fermeture de Guantanamo - voteront les 125 millions demandés.


La prison des "ennemis combattants" se trouve de l'autre côté des éoliennes et des cactus, sur la pente la plus aride et la plus exposée. C'est un camp à ciel ouvert dont les murs sont des grillages. A l'intérieur des barbelés, les militaires ne portent pas l'identification rituelle. Ils ont retiré leur nom de leur uniforme. Ils se méfient des détenus et préfèrent ne pas être cités dans la presse, à l'heure où chaque article peut faire le tour du monde, grâce à l'Internet. Lors d'une visite comparable en 2004, les militaires ne craignaient pas de donner leur identité. Maintenant, même les chargés des relations avec la presse souhaitent rester anonymes. "Les familles s'inquiètent pour notre sécurité, dit un jeune gardien. Aussi bien maintenant dans le camp, que plus tard quand nous serons rentrés." Il faut donc se contenter des sigles inscrits sur les uniformes : SMO, DMO, AMO, officier responsable, assistant militaire désigné...


Au Camp Delta aussi, c'est l'expansion. A la bibliothèque des détenus, la préposée, une certaine "Maggie", prépare l'avenir. "Dans deux ans, nous serons dans un local tout neuf, affirme-t-elle. Notre objectif est d'avoir 20 000 livres." Pour l'instant, les rayonnages en comptent 5 000, dont dix volumes de Harry Potter en arabe, et côté français, un choix aussi éclectique que Cité de la joie de Dominique Lapierre et Célubée, d'Isabelle Hausser... "Les détenus adorent tout ce qui a trait à la nature, dit la bibliothécaire. Et aussi les magazines de football. Quant à Harry Potter, c'est peut-être une manière d'échapper à la détention."

Avec une bonne conscience similaire, le personnel médical (100 personnes) continue d'alimenter de force les grévistes de la faim. Deux hommes refusent de s'alimenter, depuis plus de 400 jours. Trois autres ont commencé il y a deux semaines. L'officier médical en charge (SMO) explique que sa priorité est "le bien-être des détenus" et qu'il est hors de question de les laisser dépérir. Il montre le tube de plastique jaune qui sert à nourrir de force les grévistes. "Ils sont très coopératifs, assure-t-il. Ils présentent d'eux-mêmes leur narine." Les détenus sont attachés à une chaise spéciale, venue des prisons du continent. "Ils nous remercient, poursuit le médecin. Ils se sont promis de ne rien manger tant qu'ils ne seraient pas de retour chez eux. Mais ils n'ont pas envie de mourir."Kellogg, Brown and Root (KBR), la filiale de Halliburton, qui a déjà construit le Camp 5, s'active à finir le Camp 6. C'est un bâtiment en béton, qui pourra accueillir 176 détenus. Il est flanqué de l'un des nouveaux miradors, fermés comme des cabines de grues, et pourvus de l'air conditionné.

Le Camp 6 aurait déjà dû entrer en service, s'il n'y avait eu, le 18 mai, une révolte au camp 4. C'était le camp le plus accommodant, l'endroit où les détenus, après s'être montrés dociles pendant au moins six mois, pouvaient vivre dans des cellules à neuf, et en uniforme écru. Ils étaient 160 avant l'incident. Ils ne sont plus que 40. Les autres ont été rétrogradés. Selon les autorités, les détenus se sont mutinés. Ils ont enduit le sol de leur cellule avec du savon. Quand les gardiens sont arrivés, ils ont glissé et ont été accueillis à coups de projectiles, fabriqués à partir des lampes et des montants des caméras de surveillance.

Depuis, on installe des sols antidérapants au Camp 4, et le Camp 6 est transformé en installation de haute sécurité. "Le contribuable américain en a pour 1 million de dollars", dénonce le guide.

Le Camp 5 est le fleuron de Guantanamo. KBR a apposé une plaque pour célébrer son inauguration, le 1er mai 2004. C'est une prison pratiquement sans gardiens, organisée en quatre ailes surveillées par une tourelle unique, au centre du cercle. L'ordinateur gère tout, même les douches. Après avoir été détenus dans le bruit, la chaleur et la proximité avec leurs camarades, les Afghans, Pakistanais et autres Yéménites se retrouvent soudain dans l'univers aseptisé et climatisé d'une prison construite sur le modèle de la prison d'Etat de l'Indiana.

Quelque 75 détenus sont là, indique le "NCOIC", l'officier responsable. C'est aussi là que se trouvent probablement les 14 nouveaux, dont le cerveau présumé des attentats du 11 septembre 2001, arrivés le 6 septembre des prisons secrètes de la CIA. Pour l'instant, seul le Comité international de la Croix-Rouge les a rencontrés. Le Pentagone craint les révélations. Il tente de leur interdire l'accès à un avocat, au motif que risqueraient d'être dénoncées des "procédures alternatives d'interrogatoire", ce qui compromettrait la sécurité nationale.

Dans le grand silence du Camp 5, les détenus n'ont pas de peine à saisir l'arrivée de visiteurs. Ils entendent la porte coulissante. Ils parlent, ils interpellent. Ils sont à dix mètres à peine, derrière leur porte de métal. Deux gardiens de la police militaire veillent à l'immobilité de l'endroit, mais ils ne peuvent pas faire taire les voix. Dans la cellule 104 ou 105, un homme essaie d'attirer l'attention. Sa voix s'élève comme celle d'un prédicateur en chaire. "C'est injuste, injuste, répète-t-il. C'est insupportable. Où sont les droits de l'homme ?"

La voix est amplifiée par les parois de métal. "This is wrong, this is wrong." Elle résonne et glace pendant quelques secondes les militaires eux-mêmes. Le NCOIC pousse vite le groupe vers la sortie, de l'autre côté de la voix. Il affirme ne pas avoir saisi un mot, à cause de l'accent. "Il faut que j'envoie chercher un traducteur", dit-il en refermant la porte de sécurité.



Corine Lesnes
L
29 novembre 2006 06:45
la torture , tribunaux d'exception, négation des droits de l'homme dans la pure iniquité = ils donnent raison à Ben laden ces yankees
 
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